Loger le pauvre, l’immigré, le demandeur d’asile - II. Au-delà des normes ? - Aux Pays-Bas, un centre pour demandeurs d’asile comme un quartier de maisons

Rédigé par Pascale JOFFROY
Publié le 08/02/2017

Un cluster forme le premier espace collectif, ouvert sur l'espace libre central fédérateur. Les avancées du toit forment très modestement un seuil protecteur.

Dossier réalisé par Pascale JOFFROY
Dossier publié dans le d'A n°251

Concevoir l’hébergement comme une maison en guise de respect pour le demandeur d’asile, voilà l’ambition nourrie par ce projet. En adoptant des typologies communes de maisons hollandaises et de cours partagées, l’objectif est de faire de l’abri du réfugié un habitat comme les autres, où la pièce à vivre-cuisine devient lieu d’ancrage et de partage. Malgré une esthétique austère et le regroupement à l’échelle d’un quartier, offrir un toit – même momentané – est ici un vrai support d’existence.

Ce centre pour 2 000 demandeurs d’asile est installé dans une ancienne base militaire de l’Otan située à la frontière nord des Pays-Bas avec l’Allemagne, près du village de Ter Apel. Sur une superficie de 10 hectares dont l’aménagement s’achève en 2017, primo-requérants ou réfugiés en attente du traitement de leur dossier y séjournent sur des périodes allant de quelques jours à quelques mois, avant leur transfert vers un autre établissement. Un secteur spécifique est dévolu à ceux qui doivent repartir.

La compétition lancée en 2014 par l’Agence centrale pour les demandeurs d’asile (en néerlandais COA) pour l’aménagement du site a été remportée par l’agence néerlandaise De Zwarte Hond, avec l’entreprise BAM. Le programme demandait à l’origine huit cours fermées, que les architectes ont transformées en « clusters Â» ouverts sur un vaste espace central, de façon à éviter l’impression d’enfermement et de mise sous contrôle. Par ce retournement de la configuration existante, il s’agissait aussi d’éviter les tensions, réelles ou ressenties, que pouvait susciter la densité. De la grande aire centrale aux 258 appartements pour huit personnes dotées d’espaces individuels et partagés, l’articulation des espaces privés et collectifs fait l’objet d’une attention particulière formalisée dans une déclinaison soignée des échelles. L’« unité de voisinage Â» du cluster crée une entité urbaine repérable et favorise la cohésion et la convivialité entre les résidents, sans les isoler pour autant de l’ensemble du site où ils sont libres de se promener, de faire de l’exercice ou des jeux sur différents espaces récréatifs.

Les clusters ont été réduits de 50 à 30 mètres de large – une dimension que les architectes ont expérimentée dans des programmes de construction plus classiques – et certaines parties dédensifiées en taillant dans l’existant. Chacun d’entre eux accueille des laveries ou des espaces de distribution de matériel comme le dentifrice ou les serviettes, placés dans de petits kiosques. L’aire centrale regroupe les bâtiments de service généraux sous la forme de pavillons, ainsi qu’un centre de soin et une école à part entière avec plusieurs salles de classe encadrant une cour.

 

Maisons hollandaises

Chaque section regroupe en U un ensemble de maisons accolées où se superposent deux appartements distincts, au rez-de-chaussée et à l’étage. Les maisons obéissent à la typologie hollandaise classique avec leur double porte sur rue et leur escalier droit d’accès à l’étage, une typologie efficace, en même temps que l’image symbolique d’une entité domestique rassurante, même pour un séjour court. La rigueur de la brique, celle de la tradition néerlandaise en prélude à l’accueil définitif, marque aussi le respect et la volonté de se démarquer des architectures de conteneurs ou autres formes de circonstance inventées par l’actualité de la migration.

Les plans des appartements sont réduits à l’essentiel, avec l’idée que chacun a besoin à la fois de s’isoler et d’être avec les autres. Les chambres d’une ou deux personnes sont toutes dotées de baies larges, dans un format de base de 5 m sur 1,80 m. Mais les paliers larges, la présence de séjours-cuisines collectifs et de salles de bains communes proposent une vie de groupe dont l’utilité n’est pas à démontrer dans ces situations de vie. Alors que l’existence d’une simple tisanerie se défend encore en vain en France sur les lieux d’hébergement, la cuisine est ici l’élément central à la fois culturel et symbolique de l’habitation : on peut cuisiner seul ou à plusieurs, partager un repas, respecter les habitudes alimentaires de son pays. Les réfugiés vont et viennent librement au village situé à 2,5 kilomètres de là, où se trouvent de nombreux commerces, certains low cost. Ceux qui doivent quitter le pays sortent également, mais dans des conditions plus restrictives et surveillées. Un bus régulier dessert le village, mais la vente de vélos d’occasion va bon train dans le secteur. Plusieurs fois par semaine, de petits marchés locaux se tiennent également à l’entrée du centre.

Il n’y a pas de distinction entre les logements pour personnes seules et ceux pour familles, ce qui diffère des pratiques françaises où les structures pour les familles sont spécifiques, et numériquement insuffisantes. Les familles voisinent avec d’autres personnes dans le même appartement, le regroupement par langue étant privilégié mais non systématique. En revanche, une femme seule n’habite jamais une espace avec des hommes seuls.

L’ensemble des travaux dénote un investissement à long terme, aussi bien dans l’isolation et les panneaux solaires qui permettent un bilan énergétique neutre que dans la conception des réseaux de fourniture d’énergie, qui, selon les architectes, doivent pouvoir être changés facilement au regard de la rapidité d’évolution des prix des types d’énergie.

 

Fiche technique

[ Maître d’ouvrage : Agence centrale pour les demandeurs d’asile (COA)

Architectes : De Zwarte Hond

Paysagiste : Felixx

Entreprise générale : BAM

Surface : 35 113 m2 ]


Lisez la suite de cet article dans : N° 251 - Mars 2017

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