Réfugiés porte de la Chapelle à Paris, en février 2017. |
En 2015,
plus de 1 million de personnes sont entrées illégalement dans l’espace Schengen.
La crise migratoire en Europe a débuté dans les années 2010 et s’est
amplifiée avec la guerre en Syrie. Onze millions de Syriens ont
quitté leurs lieux de vie. Selon les chiffres de l’UNHCR en décembre 2016, 4,8
millions d’entre eux étaient enregistrés dans les pays limitrophes. Où
sont-ils aujourd’hui, notamment en France, et dans quelles conditions
sont-ils « reçus » ? par Stéphanie Dadour et Faten Kikano |
Syriens au Liban
En 2017, cinq ans après le début du conflit syrien, le Liban accueille près de 1,5 million de réfugiés syriens. On compte en plus approximativement 43 000 réfugiés palestiniens de Syrie (PRS), et 35 000 Libanais rapatriés de Syrie. Le Liban est par conséquent le pays du monde ayant la plus grande proportion de réfugiés par rapport à sa population (UNHCR). Alors que les débats politiques tendent plutôt à la fermeture des frontières et à l’arrêt des flux migratoires et que le délaissement des États se généralise, il ressort que le Liban accueille également la plus grande proportion de réfugiés syriens par rapport à sa population (une personne sur quatre). La France, quant à elle, reçoit très peu de demandes d’asile de la part des Syriens (moins de 1,5 % par rapport aux pays européens) et souffre d’une mauvaise réputation du fait de son faible engagement. Face à l’afflux des réfugiés, la première réaction du gouvernement libanais a été de garder ses frontières ouvertes et d’adopter une politique de non-encampment, de peur que l’expérience des camps palestiniens ne se répète. Tous les partis politiques se sont mis d’accord sur l’interdiction de camps pour les réfugiés syriens. Par ailleurs, le gouvernement intervient très peu sur le plan opérationnel, laissant plutôt les villes et les ONG agir. Ainsi, le premier réseau de support pour les nouveaux arrivants, ce sont les Syriens installés au Liban avant le conflit.
Syriens en France
En
France, en 2016, 3 562 Syriens ont effectué une demande d’asile – ce qui
les place au cinquième rang, après les Soudanais (5 868), les Afghans
(5 641), les Haïtiens (4 854) et les Albanais (4 599). Les Syriens
arrivent principalement de trois manières. Détenteurs par le passé d’un visa
de touriste ou étudiant, ils atterrissent légalement en France et font la demande d’un
changement de statut. Deuxième solution, ils procèdent à des demandes de visas
d’asile vers l’Europe à partir des pays limitrophes, comme le Liban, la
Jordanie et la Turquie. Dès lors, certains seront sélectionnés au
titre des critères posés par les États européens (niveau d’éducation,
appartenance à des minorités religieuses ou ethniques, etc.) et
répondant à des quotas. Dans ces deux cas, l’État français facilite les
démarches administratives, mais n’assure pas automatiquement un lieu
d’accueil. Près de la moitié de ces demandes est accordée,
encourageant ainsi nombre d’autres à voyager illégalement. Ce
troisième type de parcours – le plus dur, le plus dangereux, le plus
onéreux aussi – est celui des réfugiés empruntant les chemins «
clandestins » et traversant pas moins d’une dizaine de pays avant d’arriver
en France. Ceux qui sont sur le territoire français sont hébergés ou
pas, en fonction de leurs parcours, de leur date d’arrivée en France, de
leurs papiers et donc de leurs statuts. Les plateformes d’accueil pour
deman- deurs
d’asile qui sont chargées du préenregistrement des demandes (PADA) sont saturées,
particulièrement à Paris, obligeant les migrants à camper plusieurs jours
devant l’établissement. Une fois leur papier en main, ils auront
droit au CADA, à l’HUDA, à l’AT-SA, au CMU et à l’ADA. Mais en
attendant, dans ce vide juridique et social et dans l’attente d’un statut
officiel, ils se retrouvent des mois entiers à la rue, sans
perspective. Dans certains cas, les demandes du droit d’asile sont
refusées, mais faute de papiers, l’expulsion ne peut avoir lieu et
les migrants ne relèvent plus d’aucun dispositif.
Où sont les réfugiés syriens en France ?
Sillonnant
les rues de Paris, aucun Syrien à l’horizon : ni dans les files d’attente, ni
dans les campements, ni dans les rues (enfin, presque !). Leur prise en
charge dépend en réalité de leur statut. Il y a ceux dont l’eldorado
reste l’Allemagne ou le Royaume-Uni et qui finissent par y arriver. Ou
alors, et moins nombreux, ceux qui ont des liens avec la France et qui
parlent plus ou moins la langue et qui souhaitent y rester. Il y a
aussi les opposants au régime qui trouvent en France divers soutiens :
principalement des associations et organisations regroupant des
intellectuels syriens toutes confessions et « ethnies » confondues.
Pour ces derniers, contactés personnellement, l’État français semble rapidement
prendre en charge l’hébergement dans l’attente de la remise d’un titre de
séjour et avant de les répartir sur le territoire national. Sinon, ce sont
les associations communautaires qui se chargent des nouveaux
arrivants. Par ailleurs, des frictions existent entre les exilés syriens pro
ou anti-régime, notamment au niveau de la reconnaissance d’un droit à l’exil. Pour
plusieurs personnes anti-régime rencontrées, les pro-régime ne devraient
pas avoir accès aux aides dispensées à l’exil. Ils expliquent que les
Syriens mendiants dans les métros (principalement à la gare Saint- Lazare,
à Stalingrad, à la Chapelle, place de Clichy et à Belleville) seraient en
réalité des non-Syriens (des gitans d’Orient) à qui le régime aurait
fourni des passeports afin de dévaloriser l’image de la population syrienne.
Ce type de tensions est assez courant et reprend certaines divisions
présentes actuellement en Syrie. Pour d’autres, résidant dans des
hôtels (notamment grâce à leurs économies, aux dons des associations
ou à la mendicité), ou logés dans des hôtels par le biais du 115 (Samu
social), peu de portes seraient ouvertes par l’État pour l’accueil et
l’hébergement. Ce dernier cas de figure renvoie à la situation connue
du square Édouard- Vaillant à Saint-Ouen, l’un des seuls regroupements visibles
des migrants syriens non hébergés en Île-de-France, où plus de 150
personnes ont séjourné en 2014. La plupart parlaient français, s’étaient
acheté des voitures pour dormir aux alentours et, lorsqu’ils en
avaient encore les moyens, passaient quelques nuits à l’hôtel. En avril
2014, le square a été cadenassé pour cause de travaux. Peu d’entre eux
avaient déposé un dossier de demande d’asile mais, sous la pression
des associations, un guichet unique a été mis en place à la préfecture.
Pour la mairie, qui ne veut pas s’en mêler, les démarches relèvent des
compétences de l’État ; sans les associations et les bénévoles, les
nuances du terrain sont peu relayées aux autorités et aux migrants. Ces
regroupements ponctuels confèrent un minimum de sécurité à ces
populations, mais aussi une indispensable
visibilité. Elle leur permet de nouer des liens avec le voisinage et
de recevoir de l’aide des associations et des habitants. Aussitôt ces
lieux réquisitionnés, l’arrivée dans les hôtels, qui accorde déjà une
prise de contrôle aux autorités, leur rend la vie quotidienne plus difficile.
Dans l’attente des papiers, ils se voient dépourvus des aides citoyennes
et les associations ont plus de mal à les repérer. D’autant plus que
les prises de contact et de confiance deviennent plus ardues. Alors que la
majorité des Syriens du square souhaitaient séjourner en France, ceux de
Calais, proportionnellement peu nombreux, de leur côté, envisageaient
et revendiquaient un rapatriement légal vers la Grande-Bretagne. En
septembre 2015, ils étaient un peu plus de 250 à Calais, dispersés sur
trois sites (la jungle, le parvis et la gate).
La construction politique de la dissuasion
En
France, il n’existe aucune politique d’accueil d’ensemble dans la
situation actuelle (hormis une charte mise en place par le ministère
de l’Intérieur et le ministre du Logement sur le fonctionnement des
CAO). Le fait que ce soit le ministère de l’Intérieur qui soit chargé de
ce « dossier » complique la donne : certaines orientations sont
teintées de couleurs politiques et portent des valeurs vis-à-vis la présence
de migrants sur le territoire. Et des milliers de migrants demeurent sans toit
et dans l’attente. Les rouages administratifs rendent la situation
complexe : État, mairies, municipalités, associations, bénévoles,
mafias, passeurs, communautés, réfugiés. La France, petite patrie des
droits de l’homme, ne peut hurler son mécontentement et son mépris :
elle ne peut expulser tous les migrants. Par conséquent, elle met en
place une triple stratégie de dissuasion et de non-accueil : une politique
de l’attente, une politique de la violence et une politique de
l’invisibilité. En 2015, à Calais, le camp de regroupement était une création
de l’État qui avait pour ambition de rendre invisible les migrants : «
Faire disparaître les problèmes en faisant disparaître les gens des
écrans, à la fois les écrans radars et les écrans de télévision. Puis,
après quelques mois, face à cette célébrité inespérée du camp devenu
bidonville et très visité, le démantèlement a voulu signifier, dans
le contexte électoral que l’on connaît, la force de l’État, capable
d’expulser des gens, de les mettre dehors et ainsi de défendre les
frontières1. » Ce qui est aujourd’hui plus difficile à montrer relève
des dispositifs invisibles, des non-dits, des promesses non tenues, de la
violence d’action. Car si on le voulait, on le sait bien, il y aurait de
la place pour tout le monde. Mais la politique ambiante tient plutôt
de l’organisation du rejet, où la rhétorique de la gestion du vivant
complaît à l’État. Plusieurs pays européens protègent leurs frontières
et réduisent le nombre de migrants et de réfugiés. Par conséquent, les «
autres » pays limitrophes de la Syrie sont débordés. Les réfugiés y vivent
dans un contexte de grandes inégalités sociales, dans des milieux de
vie non adaptés, incubateurs à long terme de crime et de terrorisme –
des maux qu’il serait illusoire, dans une ère de globalisation, de croire qu’ils
pourraient être endigués par des frontières fermées.
1. Agier Michel, « La méconnaissance de la mondialisation nourrit la xénophobie », Place Publique, no 61, janvier-février 2017, p. 21.
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