Architecte : Experience Rédigé par Richard SCOFFIER Publié le 06/09/2022 |
Un projet atypique plongé au cœur d’une zone industrielle, à proximité d’un Marché d’intérêt national (Min), une situation en général peu abordée dans les revues d’architecture. il pose cependant des questions importantes, notamment celle-ci : comment construire un abri pour des marchandises en transit dans un territoire fluctuant où le contenu importe plus que le contenant et où, a priori, l’architecture n’a pas sa place ?
Les alentours du MIN dans la zone industrielle de Fondeyre : un monde sans polarité pris entre un canal et une voie ferrée, qui ressemble à la ville mais qui n’est pas la ville. Un monde où tout est grand et où les véhicules comme les constructions semblent d’une autre échelle. Des ronds-points, des axes à la circulation intense, d’immenses parkings où sommeillent des semi-remorques, de longs entrepôts bardés de métal dont les quais sont assaillis par des portées de poids-lourds qui viennent en marche arrière livrer leurs marchandises, comme d’énormes mammifères allaités par leur mère. Un univers instable où rayonnent des constructions hyperfonctionnelles soumises à une forte obsolescence, aussi rapidement construites que détruites.
C’est là, dans la pointe de cette zone triangulaire au-dessus d’un rond-point, que Tristan Chadney, Laurent Esmilaire et Éric Lapierre, les architectes d’Experience, ont construit ce centre logistique du dernier kilomètre – de loin leur projet le plus important par sa taille – après un concours organisé par Rémi Feredj et Poste Immo, une chose assez rare pour ce type de commande...
Ils devaient concevoir un parking poids-lourds de 140 places et des entrepôts. De vastes espaces protégés pour des transits de plus de 70000 colis par jour, déposés par des transporteurs au long cours pour être triés automatiquement avant d’entreprendre la dernière étape de leur périple et d’être distribués aux particuliers par une armada de voitures électriques ou de vélos-cargos...
Chaînes causales
Ce qui est toujours fascinant chez Éric Lapierre et ses associés, c’est que selon le principe de Leibniz « toute chose à sa raison » et que leurs projets semblent irrésistiblement dépendre de l’interaction de multiples chaînes causales. Ils ont d’abord cherché ici à imaginer le bâtiment le plus grand et le plus flexible possible afin qu’il puisse s’adapter et donc résister à l’obsolescence rapide à laquelle ces hangars sont le plus souvent condamnés. En pariant sur la durée, ils ont dessiné une structure pérenne en acier recyclé composée de grandes poutres treillis et portée par des poteaux éloignés de plus de 40 mètres pour obtenir un espace ouvert aux possibles. Les grands sheds orientés au nord sont venus ensuite compléter et contre-venter cette ossature. Ils captent toute la journée une lumière constante, nécessitant le moins possible d’éclairage artificiel. La morphologie de la parcelle et de la zone a induit par ailleurs la forme du bâtiment. Il se décompose ainsi en deux corps chemisés de métal de 200 mètres de long sur plus de 40 mètres de large, l’un parallèle au canal qui ferme la zone à l’ouest, l’autre, à la voie principale – l’avenue des États-Unis – de manière à esquisser une composition triangulaire...
Le sol est creusé en rampe sur les côtés extérieurs de ce triangle pour que les gros camions qui descendent en marche arrière puissent aisément décharger leurs marchandises sur des quais placés dans la continuité du sol réel, où circuleront les véhicules légers qui pourront les récupérer et les emporter. L’administration, les sanitaires, les vestiaires ne font pas l’objet de petites constructions indépendantes : ils sont rassemblés aux extrémités dans des blocs en parpaing de deux étages qui se glissent dans la structure sans la toucher et viennent se placer derrière les murs-rideaux vitrés afin que l’animation des façades sur la ville et sur le parking soit permanente.
Sous le signe de janus
Mais ce bâtiment très raisonné n’est pas pour autant très raisonnable. Culture de ses concepteurs oblige, il ne renonce pas à une certaine ambiguïté toute venturienne. Ainsi, il se présente au nord comme un édifice XXL, au moment où les deux structures se touchent et se rejoignent pour ne former qu’une seule et même façade donnant accès à la cour triangulaire. Tandis qu’il se divise au sud en écartant ses deux ailes en éventail. Celles-ci présentent des pignons autonomes marqués par les poutres Vierendeel auxquelles se suspendent les murs-rideaux vitrés et qui se présentent en direction de la ville comme deux attiques pouvant servir de support à une signalétique, à l’instar des hangars décorés de L’enseignement de Las Vegas...
À l’arrivée, c’est un objet étrange, à la fois simple et complexe. Il procède d’un certain minimalisme : ainsi les auvents habituels au-dessus des entrées latérales qui protègent chargements et déchargements des intempéries ont-ils été avantageusement remplacés par les débords de 8 mètres des sheds de la toiture. Ce qui simplifie énormément la silhouette des entrepôts et leur donne un statut d’épures. Mais l’ensemble reste pro- téiforme : à la fois unitaire et fragmenté...
De la profondeur
C’est cependant en entrant dans ces vastes entrepôts que les choses deviennent vraiment intéressantes... Dans celui occupé par UPS, une machinerie d’une beauté époustouflante envahit l’espace. Composée de tapis roulants, de plateformes tournantes motorisées et de toboggans, elle chorégraphie le ballet mécanique des paquets et des colis escaladant et dégringolant ces montagnes russes pour arriver implacablement à bon port.
En levant les yeux, la sous-face de la toiture semble avoir anticipé le défi de la machine à trier en présentant un spectacle tout aussi inouï. Comme si les concepteurs avaient convoqué tous les éléments de l’architecture à leur disposition pour rendre cet espace attrayant : la structure, mais aussi l’électricité et les fluides... Rappelant son emploi au Centre Pompidou, la couleur est réquisitionnée pour être mise au service de cette spatialisation : les poutres treillis jaunes portent des pannes roses tout en étant contreventées par de fines croix métalliques rouges. La peau en bac acier argentée brille derrière cette structure filiforme tandis que viennent en avant se déployer les bandes blanches des convecteurs rayonnants et les tubes noirs des descentes d’eaux pluviales qui traversent l’étanchéité pour se suspendre dans le vide et se mêler à ce concert. Même tactique sur les parois latérales scandées par les rails guidant les portes coulissantes qui montent et descendent comme autant de guillotines, ces verticales sont croisées par les lignes horizontales des chemins de câbles et des canalisations d’eau qui coupent les éléments porteurs à travers des réservations circulaires. Tout semble organisé pour donner à cette plate construction industrielle une profondeur et une richesse insoupçonnées. Elle plonge le visiteur en immersion dans un immense écorché où tout ce qui est de l’ordre de la peau, de l’ossature, de la circulation et du système nerveux s’isole et s’écarte pour mieux être mis en scène et l’entourer.
Maîtres d'ouvrages : Lumin’Toulouse / Toulouse Logistique Urbaine
Maîtres d'oeuvres : Experience (Tristan Chadney, Laurent Esmilaire et Éric Lapierre) – Paysagiste : Bassinet Turquin Paysage – BET : Batiserf (structure), INEX Ingénierie (fluides), BETIP (VRD), Ginger (démolition), Bureau Michel Forgue (économie)
Surface : 18 000 m2 SDP, 26 000 m2 SHOB (prend en compte notamment les espaces de travail extérieurs sous auvent), 13200m2 d’espaces verts
Coût : bâtiments, 18 millions d’euros (700 euros/m2 SHOB) ; VRD et espaces verts, 6,2 millions d’euros ; déconstruction, 1 million d’euros ; total, 25,2 millions d’euros
Date de livraison : 2021
Maîtres d’œuvre : Amas (architectes mandataires), FBAA (architecte associé), Sara de Gouy (arch… [...] |
Maîtres d’œuvre : Guinée*Potin (architectes), TUAL (BET fluides, environnement), ESTB (structur… [...] |
Maîtres d’œuvre : tact (architectes) ; PLBI (BET structure)Maîtres d’ouvrage : SNCF Gares &am… [...] |
Maîtres d’œuvre : DATA (architectes mandataires), Think Tank (architectes associés), EVP (ingé… [...] |
[ Maître d’ouvrage : Groupement local de coopération transfrontalièreArchitectes : Devaux &… [...] |
Clermont-Ferrand[ Maître d’ouvrage : client privé – Maître d’œuvre : Récita architecture … [...] |
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