Minot-Gormezano, la phénoménologie existentielle

Rédigé par Olivier NAMIAS
Publié le 01/05/2009

Minot-Gormezano

Article paru dans d'A n°182

Construite davantage à partir de l’expérience que sur l’idée de la représentation, la photographie de Minot-Gormezano manifeste une approche phénoménologique du paysage. C’est dans le lieu que le sujet, toujours présent dans l’image, construit son rapport au monde et se construit lui-même.

Le rapide examen d’un modeste appareil photographique confirme la présence d’un unique oeilleton et d’un unique déclencheur, ce qui fait naturellement du photographe un auteur solitaire. Pourtant, à l’instar des célèbres Becher (Bernd et Hilla), Pierre Minot et Gilbert Gormezano signent une oeuvre photographique réalisée en tandem. La méthode de travail a été mise au point dès leur rencontre en 1981, dans les rues d’un Paris qui entamait une nouvelle phase majeure de sa rénovation. Pierre Minot est alors enseignant dans les écoles d’art de l’État ; il participe avec l’architecte Yves Tissier à un enseignement sur l’appréhension des espaces vécus. Gilbert Gormezano, même s’il minore le bagage intellectuel qu’il a acquis en préalable à cette expérience photographique aux accents philosophiques, est médecin et universitaire.

Le duo parcourt les zones en friche de la capitale. Gilbert tient l’appareil et suit les évolutions de Pierre dans l’espace : « Il y avait une fascination pour ces lieux à l’agonie, voués à disparaître. Notre intention était de vivre des expériences dans ces lieux hors du temps et de la cité, plutôt que de faire un travail photographique. Pierre explorait sensoriellement le lieu, et dans une sorte de danse à deux je cherchais ma place pour prendre une photographie », souligne Gilbert Gormezano. Pierre Minot insiste de son côté sur la dimension complète, absolue, de ces explorations : « Le corps était plutôt nu, c’est-à-dire le corps de l’homme dépouillé de son aspect social. Les interventions ne relevaient pas du théâtre dans le sens où aucun rôle n’était joué, où il se serait agi de raconter une histoire. C’était, et du reste c’est le cas dans nos pratiques d’aujourd’hui, une forme d’expérience radicale du côté de la saisie photographique et de l’appréhension physique. » Après cette première série, Minot et Gormezano ont quitté les espaces clos pour de plus vastes, tout en conservant le même dispositif. Les images présentées dernièrement à la Maison européenne de la photographie lors de l’exposition « L’Ombre, le Reflet » montraient les différentes déclinaisons de ce paso doble photographique.


LE SUJET CRÉATEUR

Minot et Gormezano sont restés fidèles à l’argentique et aux tirages noirs et blancs, développés avec soin. Les images sont assemblées sous forme de diptyques ou de triptyques, plus rarement montrées seules. Les légendes ne permettent pas de situer la scène photographiée : soit un paysage et ses forces – telluriques, météorologiques –, soit un détail de la nature. La figure de Pierre Minot se fait discrète et protéiforme : tantôt silhouette, tantôt ombre étirée ou, de façon très inhabituelle, simultanément ombre et reflet. Cette image « réalisée sans trucage » est l’un de ces petits miracles produits par la photographie : « Pour voir le reflet d’une personne dans sa propre ombre, il faut se placer face à la lumière directe mais réfléchie, avoir le reflet très noir qui se découpe dans l’ombre. Seul, il est très difficile d’observer cette simultanéité, il faut le truchement de l’autre. En résumé, on accède à cette vision par l’expérience de l’autre. »

Dans Les Étincelles - II, la partie centrale du triptyque, avec sa figure posée au sommet du paysage, évoque fortement Le Voyageur contemplant une mer de nuages peint par Caspar David Friedrich en 1817-1818. Mais la dimension dominatrice du tableau du peintre romantique allemand est remplacée par un ton légèrement ironique. L’homme est plus petit, comme dans d’autres photographies, immergé, voire fondu dans le paysage. Il reste une présence incontournable. « La figure humaine nous rappelle que notre rapport au monde est forcément un rapport d’interprétation », dit en substance le philosophe Robert Misrahi, qui suit le travail des deux photographes depuis plusieurs années, poursuivant : « presque sans paradoxe, on pourrait dire que c’est la photographie qui donne au monde sa réalité. Le paysage, c’est ma perception de la montagne, mais une fois que je me détourne, la perception que j’en ai va s’effacer avec le temps. La photographie se fait le témoin d’un instant unique, elle est toujours là et fait perdurer le monde. »

Les articles récents dans Photographes

Bertrand Stofleth, Géraldine Millo : le port de Gennevilliers, deux points de vue Publié le 11/03/2024

Le CAUE 92 de Nanterre accueille jusqu’au 16 mars 2024 une exposition intitulée «&nbs… [...]

Yves Marchand et Romain Meffre Les ruines de l’utopie Publié le 14/12/2023

L’école d’architecture de Nanterre, conçue en 1970 par Jacques Kalisz et Roger Salem, abandonn… [...]

Aglaia Konrad, des images agissantes Publié le 20/11/2023

Aglaia Konrad, née en 1960 à Salzbourg, est une photographe qui se consacre entièrement à l’ar… [...]

Maxime Delvaux, une posture rafraichissante Publié le 11/10/2023

Maxime Delvaux est un jeune photographe belge, adoubé par des architectes tels que Christian Kerez,… [...]

Harry Gruyaert, la couleur des sentiments Publié le 04/09/2023

Harry Gruyaert expose tout l’été au BAL, haut lieu parisien de la photographie, créé en 2010 p… [...]

Doubles dames : Lynne Cohen et Marina Gadonneix Publié le 29/06/2023

L’exposition « Laboratoires/Observatoires » du Centre Pompidou réunit dans un même espace … [...]

.

Réagissez à l’article en remplissant le champ ci-dessous :

Vous n'êtes pas identifié.
SE CONNECTER S'INSCRIRE
.

> L'Agenda

Mars 2024
 LunMarMerJeuVenSamDim
09    01 02 03
1004 05 06 07 08 09 10
1111 12 13 14 15 16 17
1218 19 20 21 22 23 24
1325 26 27 28 29 30 31

> Questions pro

Quelle importance accorder au programme ? [suite]

C’est avec deux architectes aux pratiques forts différentes, Laurent Beaudouin et Marie-José Barthélémy, que nous poursuivons notre enquête sur…

Quelle importance accorder au programme ?

Avant tout projet, la programmation architecturale décrit son contenu afin que maître d’ouvrage et maître d’œuvre en cernent le sens et les en…

L’architecture au prisme des contraintes environnementales : le regard singulier de Gilles Perraud…

Si les questions environnementales sont de plus en plus prégnantes, les labels et les normes propres à l’univers de la construction garantissent…