Mulhouse, retour à la Cité Manifeste

Architecte : Lacaton et Vassal - Duncan Lewis
Rédigé par Emmanuel CAILLE
Publié le 05/01/2005

Le conformisme de la commande de logements autant que le mur de réglementations qui en régissent la production suffisaient à justifier l’espérance que le lancement de l’opération de la Cité manifeste à Mulhouse a pu susciter parmi les architectes. Si le résultat, par la façon dont il est vécu par ses habitants et par l’exemplarité qu’il a légitimement acquise au sein d’une maîtrise d’ouvrage française frileuse, peut être salué comme une réussite, ses acquis architecturaux sont beaucoup plus discutables. La déception a été à la hauteur d’une attente gonflée par un battage médiatique lui-même boosté par la présence de « starchitectes » et de jeunes équipes en vogue. 

 

Le flot de critiques émises par les architectes n’était sans doute pas exempt de jalousies, mais il était souvent justifié par l’agacement de voir mis en avant des projets parfois bien moins novateurs et subtils que de nombreuses études et réalisations effectuées depuis plusieurs décennies mais avec plus de discrétion et moins d’appuis institutionnels. À cet égard, l’arrogance d’un Matthieu Poitevin, déclarant sans rire : « ... Le logement social n’a pas évo- lué depuis cinquante ans. Ce genre de projet ne fait que remettre l’architecture dans son temps », n’a pas apaisé la colère de ses confrères, d’autant que son projet – « un mur, un toit et je redescends comme dans un dessin d’enfant » (sic) – est le moins maîtrisé et le plus conventionnel des cinq. 

La faiblesse de certains projets ne doit cependant pas occulter d’autres propositions réellement inventives : ainsi, les logements d’Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal, au-delà des limites de leur radicalisme (mais celui-ci ne sied-il pas à une cité manifeste ?), sont une réussite, tant d’un point de vue spatial que de la maîtrise de leur mise en œuvre. Duncan Lewis, Scape Architecture + Block parviennent à renouveler intelligemment la typologie en croix des maisons ouvrières voisines. Leurs venelles reliant les deux rues parallèles, entre deux groupes de maisons, sont bienvenues ; elles enrichissent l’espace public de cette hiérarchie de rythmes et d’échelles qui manque cruellement aux autres projets. Quant aux grillages, laissons la végétation les envahir avant d’en juger la pertinence. Les stars ont déçu, Ban et de Gastines se sont pris les pieds dans les Algeco et Jean Nouvel, avec des erreurs de débutant, est bien en deçà de Némausus, ses logements réalisés à Nîmes il y a plus de quinze ans. Les remarques acerbes sur la pauvreté des espaces publics ne font cependant pas justice à une appropriation par les habitants qui, après un an de vie communautaire, semble riche d’expériences satisfaisantes. L’une des qualités de l’opération réside dans son évidente capacité d’évolution qui n’est pas sans rappeler celle de la vieille cité ouvrière voisine dont elle se veut l’héritière. L’expérimentation a, par sa nature exceptionnelle, un coût qu’il serait injuste de lui imputer. Chacun des cinq projets, modeste par sa taille, n’a ainsi pu bénéficier d’une économie d’échelle sans laquelle une opération, qui a l’ambition d’être novatrice par sa mise en œuvre, ne peut atteindre des prix réellement compétitifs. Là se situe sans doute la force de Lacaton et Vassal : ils maîtrisent des solutions éprouvées ailleurs, alors que l’utilisation des procédés Styltech par Nouvel, Lewis et Ban, mal adaptés aux savoir-faire des entreprises locales, s’est transformée en cauchemar. 

Les défauts que présente la Cité manifeste ne doivent cependant pas faire oublier les qualités qui font de ce nouveau quartier un lieu apprécié par ses habitants. Une analyse sans concession devrait être le point de départ d’une nouvelle Cité manifeste, que l’on appelle de nos vœux. 

 

Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal 

Sur un niveau bas réalisé en structure béton (3 mètres de hauteur sous plafond), l’étage est constitué d’une enveloppe/serre en trois travées longitudinales de 4,20 mètres sous faîtage. Les niveaux haut et bas des logements s’imbriquent afin de faire bénéficier chaque séjour d’un long linéaire de façade ensoleillée. Ils s’ouvrent de plain-pied sur une terrasse bitumée. À l’arrière, le garage est une surface appropriable, chauffée. À l’étage, la première travée forme jardin d’hiver. Seules les salles de bains sont cloisonnées.

 

Duncan Lewis, Scape Architecture + Block 

Trois plots séparés par des venelles de 1,50 mètre investissent toute la parcelle. Ils comprennent chacun quatre logements répartis entre les branches d’une croix, reprenant la typologie de la cité d’origine. Le noyau de base correspond à un deux-pièces double hauteur avec chambre à l’étage. Les pièces supplémentaires se greffent sur celui-ci en porte-à-faux. Des structures légères grillagées phagocytent les espaces extérieurs. Les limites se brouillent, le végétal absorbe le construit.

 

Jean Nouvel, AJN 

Sous une grande toiture filante, une bande de maisons ouvertes sur des jardins en longueur exprime la limite de l’îlot. Deux porches effectuent le lien de la cité avec la rue voisine. Un vide central relie les séjours en rez-de-chaussée et les chambres à l’étage, ouvertes en balcon côté jardin. La généralisation des obliques entre mitoyens génère des pièces à angle biais. Chaque chambre dispose d’une douche et d’un lavabo.

 

Shigeru Ban et Jean de Gastines 

Au nord et au sud, les maisons s’adossent à un mur de refend filant sur toute la parcelle. L’empilement de volumes cubiques en périphérie des habitations (initialement prévues pour être des Algeco) détermine un séjour double hauteur sur lequel certaines pièces viennent en surplomb. Le plus souvent, les chambres sont à rez-de-chaussée et le séjour double hauteur à l’étage donne sur une terrasse, accessible par un escalier extérieur.

 

Matthieu Poitevin et Pascal Reynaud 

Maisons mitoyennes de deux niveaux avec jardin. Le niveau bas est traité en béton selon un plan à redans avec séjours au sud (poutres en bois) et garages surdimensionnés au nord. Les diverses volumétries de l’étage, traitées en bardages aux couleurs franches, libèrent des balcons.



Date de livraison : 2005

Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal <br/> Crédit photo : DR  Duncan Lewis, Scape Architecture + Block <br/> Crédit photo : DR  Jean Nouvel, AJN <br/> Crédit photo : DR  Shigeru Ban et Jean de Gastines <br/> Crédit photo : DR  Matthieu Poitevin et Pascal Reynaud <br/> Crédit photo : DR

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