Nicolas C. Guillot, l’homme tranquille de l’architecture

Rédigé par Margot GUISLAIN
Publié le 01/03/2010

De haut en bas et de gauche à droite : J.B. Cubaud, J. Randy, C. Pierret, M. Saillard, C. Bonhomme, N. C. Guillot © Sélénium

Article paru dans d'A n°189

Loin des cocktails et des sunlights de la profession, pas à pas, sans coups d'éclat mais avec une silencieuse obstination, Nicolas C. Guillot fait son chemin sur les sentiers escarpés du métier. Il a livré récemment plusieurs équipements publics, dont trois témoignent d'une réflexion qu'il mène depuis longtemps sur les salles polyvalentes à vocation culturelle. Du plan-masse à la résolution architecturale, les bâtiments de Nicolas C. Guillot s'écrivent comme une histoire simple, celle d'une réflexion qui, étape après étape, atteint son but sans détours, ni retours en arrière, ni temps d'arrêt.

Ce sens pragmatique de la création architecturale établit une relation sans heurts avec le maître d'ouvrage, dépourvue de « l'arrogance » qui représente pour lui le pire défaut que l'on puisse rencontrer chez un architecte. Une évidente souplesse de caractère lui a sans doute valu de pouvoir s'adapter facilement aux programmes interchangeables des salles polyvalentes dont il est devenu, projet après projet, une sorte de spécialiste. L'école de la salle polyvalente, dont on peine à prononcer le mot tant elle est assimilée à une salle à tout faire, lui a en effet dispensé des enseignements précieux : quel statut donner à un équipement public de petite commune ? Comment découper ou fragmenter un volume massif pour s'immiscer dans un environnement de petit bourg ? Comment permettre à une salle de sport de se métamorphoser en salle de spectacle et réciproquement ? Elle lui apprendra aussi à imaginer des salles des fêtes qui donnent vraiment envie de faire spontanément la fête, comme la dernière-née de Néris-les-Bains avec sa piste de danse circulaire à moitié dans les airs.

Cet homme tranquille de l'architecture faillit pourtant en perdre l'envie pendant ses études à Lyon, dont il garde le souvenir d'enseignements ternis par la routine. C'est le travail en agence qui le sauvera de la déception et lui montrera, grâce aux concours, la dimension créative de l'architecture. À cette époque, son intérêt va vers les Tessinois, Vacchini, Galfetti ; il applaudit aussi le Némausus de Nouvel, grâce auquel il comprend que l'architecture ne se duplique pas mais qu'elle se reformule pour chaque site. Diplômé en 1989, il fonde son agence à Lyon et pour plusieurs concours s'associe à un autre Lyonnais, l'architecte Christian Drevet. Son aîné lui apprendra à rassembler ses idées autour d'un concept, et tous deux fileront la parfaite entente pendant une dizaine d'années : salle du Sémaphore à Roussillon, logements à Grenoble, à Clermont-Ferrand, ensemble multisalles à Rillieux-la-Pape…

Au début du troisième millénaire, il se lance en solo avec un bâtiment à Sérignan dans l'Hérault, qui donne le coup d'envoi d'une orientation vers les équipements festifs des petites communes. À cette occasion, il travaille sur les aménagements extérieurs avec Daniel Buren, dont il met en lumière l'installation artistique. Après une douzaine de bâtiments publics polyvalents, entre lesquels ont pu s'insérer d'autres types de projet (une start-up à Marennes, le studio de cinéma de Villeurbanne, la piscine de Caluire…), les derniers chantiers de Nicolas C. Guillot témoignent d'un virage net vers une ample diversification des programmes : Maison des sciences de l'homme à Dijon et Centre de formation des apprentis du bâtiment à Aubergenville, dans les Yvelines.

Crèche et MJC, Lyon
En observant le quartier Saint-Just de Lyon, limitrophe avec la banlieue, l'architecte fait le constat de la joyeuse hétérogénéité d'un urbanisme de type faubourg où les différentes périodes du XXe siècle ont apporté leur grain de sel, formant une symphonie urbaine dont la part de discordance donne matière à élaboration. Nicolas C. Guillot reprend à son compte cette discontinuité géométrique avec un bâtiment cubique, clairement décomposé en trois couches superposées. Celles-ci suivent chacune leur propre direction, en reprenant les géométries alentour. Le bâtiment donne alors l'impression de tourner sur lui-même afin de profiter au maximum des façades et multiplier vues et orientations, trouvant là le dynamisme attendu d'une MJC. Au rez-de-chaussée, le socle occupé par une crèche est implanté en retrait par rapport à la rue : un dépose-minute et un petit parvis d'accueil occupent l'espace laissé ainsi vacant. Au premier étage, la salle d'exposition vitrée réaligne en surplomb le bâtiment sur la rue. En couronnement, une troisième couche abrite les salles de créativité (danse, arts plastiques, musique). Par cette superposition, l'architecte poursuit son exercice de décomposition volumétrique par strates horizontales – également sensible dans le projet d'Allevard-les-Bains – qui cherche à incorporer les caractéristiques du site dans le construit.

Salle des fêtes et salles culturelles et sportives, Cailloux-sur-Fontaines, Rhône
Au sein de la communauté urbaine du Grand Lyon, Cailloux-sur-Fontaines est un village bucolique qui s'est doté d'un nouvel équipement municipal au milieu des prés. Placé à l'entrée de la commune, à l'écart des habitations, il s'intègre au paysage comme le ferait un édifice agricole, volume massif qui ne dissimule pas son caractère. L'architecte a choisi le bois, posé en clins à la manière d'une maison des champs, pour recouvrir tout le bâtiment, comme s'il s'agissait d'une immense grange servant à accueillir la vie communautaire du village. La fête, les concerts, le théâtre, la gym, la danse : autant d'activités animées qui exigent une excellente isolation phonique : structure béton, isolation extérieure + bardage pour les murs et doubles fenêtres pour les ouvertures. Cette contrainte explique en partie cette architecture que l'on sent travaillée de l'intérieur, par évidements. Deux axes perpendiculaires de circulation fendent le bâtiment : éclairés zénithalement et vitrés à leurs extrémités, ils s'empruntent comme des passages couverts par lesquels le paysage se faufile et irrigue le bâtiment.

Salle de sport & spectacle, salle multi-activités, Allevard-les-Bains, Isère

Baptisé « La Pléiade », ce bâtiment de sport, de spectacle et de vie associative est né de l'initiative d'un élu, à la fois maire et romancier (Philippe Langenieux-Villard). Légèrement en surplomb sur le bourg, il vient structurer un nouveau petit centre urbain situé en limite de ville, là où s'amorcent les pentes montagneuses d'Allevard-les-Bains. L'enjeu pour Nicolas C. Guillot était de trouver un moyen d'insérer le volume imposant d'une salle de sport et de spectacle entre des chalets. Pour y parvenir, il va suivre ce qu'il nomme « la règle du jeu » (la nature du programme) et « la règle du lieu » (la nature du site). De la conjonction de ces deux règles naît un bâtiment accroché à la pente et qui cherche à s'alléger : un soubassement en béton gris encastré dans la pente, surmonté d'une enveloppe métallique de couleur jaune. Ces deux strates horizontales clairement distinctes, l'une fichée dans la terre, l'autre plus aérienne et contemporaine, filent la métaphore, en plein site montagnard, d'une émergence géologique du bâtiment en deux périodes successives.

Médiathèque et archives municipales, Saint-Jean-de-Maurienne, Savoie
Nicolas C. Guillot a conçu ce bâtiment comme une ode à la montagne, aussi abstrait en façade qu'un gros sérac qui aurait dévalé des sommets pour terminer sa course sur la place du village. En forme de demi-rotonde, la médiathèque assoit ainsi sa centralité au cÅ“ur de Saint-Jean-de-Maurienne, malgré l'effet de surprise que provoque ce monolithe contemporain dans le tissu traditionnel de la cité savoyarde. Le verre domine, ses reflets renvoyant aux glaciers et aux neiges des montagnes en  arrière-plan. Il vient en surépaisseur de façade sous forme de brise-soleil en verre dépoli. Leur fonction est d'homogénéiser la lumière naturelle qui pénètre dans la médiathèque. À l'intérieur, les différences d'orientation au soleil sont effectivement absorbées, comme si un grand papier calque ajouré enveloppait le bâtiment sans l'enfermer. La couleur est elle aussi laissée aux portes de l'édifice : c'est un univers monochrome, peint en blanc du sol au plafond, et étrangement onirique qui accueille le public. Jusqu'aux meubles, dont la blancheur donne à l'espace de lecture des adultes un aspect légèrement fantomatique, propice au silence.

Maison du département, Villeurbanne, Rhône

Faire au mieux avec un budget minimum peut résumer ce type d'opération à vocation très sociale (accueil des demandeurs de RMI, de l'aide à l'enfance…), située dans un quartier populaire de Villeurbanne (les Buers, où un bidonville préexista aux grands ensembles actuels), le long d'un axe de circulation appelé à devenir intense. Nicolas Guillot privilégie la façade, en sachant que les bureaux, surtout avec un tel budget, resteront très banals dans leur organisation. Il préfère jouer avec l'enveloppe et « l'humaniser pour une population fragilisée ». La façade des bureaux est tournée vers la cour, alors que les locaux de réunions et de services s'affichent le long de l'avenue. Libéré de la trame rigide des bureaux, l'architecte peut jouer sur rue sa petite musique composée de fenêtres aux formats variés qui rompent avec la solennité administrative et donnent au bâtiment une échelle domestique plus accueillante. Par cette inversion, le bâtiment acquiert sa propre noblesse, quand d'autres édifices publics verseront davantage dans la démonstration électoraliste du mandat bien rempli.

Ensemble socioculturel, Néris-les-Bains, Allier

Cette salle polyvalente en forme de soucoupe volante est l'extension d'une gare désaffectée depuis les années cinquante, reconvertie en salle des fêtes et dépôt municipal. La reconversion se poursuit aujourd'hui par la rénovation-restructuration de l'existant et par la création de deux volumes vitrés en extension. Sur l'emprise des anciennes voies ferrées, le premier volume supplémentaire est une galerie qui longe la façade de la gare. Celui-ci apparaît d'autant plus solidaire de l'existant qu'il semble incarner le souvenir des quais : longue façade transparente, toiture en zinc et succession de poteaux se réfèrent aux ouvrages industriels du XIXe siècle qui recouvrent les gares. L'idée de Nicolas C. Guillot est de faire de cette première partie de l'extension un espace intermédiaire entre l'ancien et le nouveau, un tampon qui permettra de créer un deuxième volume de forme libre. Comme si un souffleur de verre avait déformé le vitrage de la galerie et généré une excroissance en forme de bulle. Pour cette navette spatiale entièrement vitrée dans laquelle on pourra faire la fête, les limites de la transparence pouvaient venir des contraintes de l'isolation phonique : contradiction résolue par une double peau de verre dont l'entre-deux offre un déambulatoire qui fait le tour de la salle.

Nicolas C. Guillot… soumis à la question

> Quel est votre premier souvenir d'architecture ?
Nicolas C. Guillot : L'église où je suis né et la rénovation de la maison de ma tante.

> Que sont devenus vos rêves d'étudiant ?
NCG : Anéantis dès la première année, mais ils reviennent.

> À quoi sert l'architecture ?
NCG : À rien d'autre qu'un peu plus que le nécessaire pour s'abriter et méditer.

> Quelle est la qualité essentielle pour un architecte ?

NCG : L'écoute.

> Quel est le pire défaut chez un architecte ?

NCG : Être aveugle, l'arrogance.

> Quel est le vôtre ?

NCG : L'obstination.

> Quel est le pire cauchemar pour un architecte ?
NCG : L'accident.

> Quelle est la commande à laquelle vous rêvez le plus ?

NCG : Le musée des Confluences.

> Quels architectes admirez-vous le plus ?
NCG : En général, tous ceux qui ont une foi intense dans leur travail. Sinon Zumthor pour l'exigence, Wright pour l'élégance, SANAA.

> Quelle est l'œuvre construite que vous préférez ?

NCG : Beaubourg, les thermes de Vals, la cathédrale de Vienne (Isère).

> Citez un ou plusieurs architectes que vous trouvez surfaits.

NCG : Suivez mon regard.

> Une œuvre artistique a-t-elle plus particulièrement influencé votre travail ?
NCG : Plutôt que d'influence, parlons de correspondances : les Godfathers pour la hargne, Scelsi pour l'apesanteur, Gauguin pour la mélancolie, Brömmel pour le regard, etc.

> Quel est le dernier livre qui vous a marqué ?
NCG : Le Paradis, un peu plus loin de Mario Vargas Llosa , un beau livre sur l'engagement politique et artistique.

> Qu'emmèneriez-vous sur une île déserte ?

NCG : Un esprit ouvert.

> Votre ville préférée ?
NCG : A priori, j'aime bien Hong-Kong, mais je n'y suis pas encore allé. Sinon, Lyon commence à me plaire aussi.

> Le métier d'architecte est-il enviable en 2010 ?
NCG : Envié, certainement.

> Si vous n'étiez pas architecte, qu'auriez-vous aimé faire ?
NCG : Rocker, peintre, ingénieur, réalisateur. Finalement architecte, c'est un peu de tout ça.

> Que défendez-vous ?

NCG : La raison, la performance, l'au-delà.

> Quelle question auriez-vous aimé que l'on vous pose ?
NCG : Que penses-tu de « Them Crooked Vultures » ?


Biographie

> 1958 : naissance à Sainte-Colombe-lès-Vienne (Rhône) de Nicolas C. Guillot. L'initiale à l'américaine lui permet de se différencier d'un collègue homonyme.
> 1989 : diplômé de l'école d'architecture de Lyon.
> 1990 : création de l'agence. Premier concours gagné en association avec Christian Drevet (salle Le Sémaphore à Roussillon).
> 1998 : lauréat du concours pour la salle de spectacle de Sérignan (Hérault).

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