Olivier Fassio et Jean-Brice Viaud 1 + 1 = 3, au minimum

Rédigé par Rafaël MAGROU
Publié le 03/04/2012

Olivier Fassio et Jean-Brice Viaud

Article paru dans d'A n°207

Le sourire aux lèvres, Olivier Fassio et Jean-Brice Viaud ont des gueules d'ados. À eux deux, ils cumulent pourtant bientôt le siècle mais font figure de jeunes architectes, tant ils sont avides d'échanges et capables de rebonds. Leurs projets et réalisations témoignent de cet engouement, accompagné d'un farouche désir d'expérimentation, maîtrisée. Après bientôt vingt ans de pratique à leur compte, ils portent encore sur leur visage cette lumière qui laisse entendre que le métier d'architecte peut être source de plaisir. Avant d'en arriver là, ils sont passés par les fourches caudines des concours en agence, à plancher, faire charrette pour d'autres.

Tous deux sortis de l'école de Versailles, ils se sont fait la main sur des programmes assez variés : des logements, des équipements mais aussi des aménagements routiers. Depuis, installés à leur compte, ils ne se cantonnent pas à tel ou tel programme. Plutôt que de se conforter dans des réflexes conceptuels ou matériels, ils préfèrent s'atteler à l'expérimentation. Olivier Fassio et Jean-Brice Viaud ne cherchent pas à « faire œuvre ».Certains détracteurs leur reprocheront un manque de continuité stylistique ; eux entendent, à l'instar d'un Jean Nouvel ou de Herzog & de Meuron, la réinvention permanente d'une écriture : « Chaque programme et chaque site sont propices à des réponses appropriées. » D'ailleurs, en phase de conception, « ça fuse » dans l'agence, avec une forte réactivité, que ce soit dans leurs échanges d'idées, de tests ou de vérifications grâce à une certaine aisance avec les outils. Pour eux, ce sont « trois personnes autour de la table : le maître d'ouvrage, l'architecte et le projet », étant entendu que ce dernier a sa part de liberté d'expression.
Ensemble, ils aiment tâtonner, tester, dépasser les éléments du programme pour apporter des réponses significatives quant aux usages, mais aussi la structure ou la matérialité de leurs projets. Chaque projet est l'occasion d'élaborer de nouveaux dispositifs architecturaux : qu'il s'agisse des mises au point structurelles en bois combinées à des stores verticaux à focale réglable pour les bureaux à énergie positive de Saint-Denis ; de la mise en place d'un épiderme multifonctionnel (thermique, visuel et acoustique) à Massy ; ou encore des fenêtres d'angle des logements d'Évry qui étendent à l'horizon le domaine habitable.
En aucun cas, ils ne partent avec un a priori formel. Toutefois, la géométrie est un thème récurrent, plus ou moins conscient : en témoignent les figures abstraites des assemblages de pierre du gymnase de Versailles ou de l'unité canine de Moissy-Cramayel. Auparavant, à Saint-Thierry, un origami de zinc réalisait la synthèse de l'extension-restructuration du collège du Mont d'Hor. Le dernier concours en date – le campus Société Générale, malheureusement perdu – a sans doute été trop transparent de vérité pour un client qui n'était pas prêt à accepter un dispositif hors des schémas déjà éprouvés.
Dans leur démarche très intuitive de projet, ils entraînent d'autres architectes, avec lesquels ils s'associent sur divers programmes : David Devaux pour la culture (Massy et l'île Saint-Denis), Jean-Philippe Thomas pour l'éducation (Saint-Thierry) ou Signal Architecture sur des opérations dans le Sud.
La justesse dans le dessin les amène à façonner des assemblages précis, dont la mise en œuvre est particulièrement bien maîtrisée. Néanmoins, ils choisissent de céder la mission de chantier afin de se concentrer sur les projets et ne pas vivre leur métier comme un sacerdoce. Au contraire, ils entendent ne rien concéder à leurs vies de famille respectives, sans pour autant lâcher prise. Pour preuve, ils sont tous deux membres actifs du collectif French Touch et s'octroient le luxe de pratiquer d'autres disciplines en parallèle : outre l'enseignement, Jean-Brice Viaud affûte son regard par le biais de la photographie et Olivier Fassio est plongé dans une formation de psychanalyste. À les entendre, il existerait une vie pendant et après l'architecture.


RECONSTRUCTION DU GYMNASE RICHARD-MIQUE, VERSAILLES (78)

Du gymnase originel en béton qui a brûlé en 2004, Fassio-Viaud proposent une mue qui dépasse le simple objet architectural. Situé à la jonction du centre ancien et de faubourgs populaires, cet ensemble sportif et associatif dessine une rotule urbaine qui fait – enfin – le lien de ces composantes versaillaises. La figure est éminemment géométrique, avec ses grandes facettes rectangulaires de pierre en quinconce. C'est une véritable anamorphose de damier, un oxymoron matériel avec ces blocs massifs et sculpturaux en lévitation, dont la suspension a été rendue possible grâce à la mise en œuvre de panneaux de pierre d'Euville sur nid-d'abeilles en aluminium. L'élément en console de l'entrée renforce l'effet, alors que chaque partie correspond au contenu programmatique : salle de sport généreusement vitrée et sérigraphie de volutes, salle polyvalente équipée pour accueillir des spectacles vivants (théâtre et danse). Le tout converge en un vaste hall acidulé.

[ Maître d'ouvrage : Ville de Versailles – Surface (gymnase et salle des associations) : 1 200 m2 – Coût : 2 millions d'euros HT – Livraison : fin 2011 ]


CENTRE CULTUREL PAUL-BAILLIART, MASSY (91)

En héritant d'un bâtiment de type Pailleron (1965-1966), véritable passoire thermique, Fassio-Viaud, avec David Devaux, imaginent une nouvelle enveloppe capable d'absorber les suppléments techniques et programmatiques, sans perdre en unité architecturale. Ainsi, c'est un haut paravent madérisé, du mélèze lasuré rouge, qui, tel un Aalto un peu anguleux, alterne parties pleines et ajourées en fonction des organes internes. Ce parti présente l'intérêt de répondre aux exigences thermiques comme de préserver acoustiquement les habitations voisines. Cette intervention profite à la salle de café-concert qui voit sa capacité croître à 190 places ; elle permet aussi la restructuration de la grande salle (330 places) et la création de locaux techniques adaptés. Une consécration architecturale pour cet équipement notoire grâce à son Festival des primeurs.

[ Maître d'ouvrage : Ville de Massy – Maîtres d'œuvre : D. Devaux mandataire. Fassio-Viaud associés – Surfaces : 1 114 m2 Shon (rénovation) + 774 m2 Shon (extension) – Coût : 3,88 millions d'euros HT – Livraison : 2007 ]


CAMPUS SOCIÉTÉ GÉNÉRALE, VAL DE FONTENAY (94)

Malgré la figure innovante de cet ensemble de bureaux, avec ses anneaux imbriqués, Fassio-Viaud n'ont pas été retenus. Toutefois, leur parti pris mérite l'attention puisque la figure arrondie répondait à l'esprit « campus », en rompant avec la typologie en peigne. Le dispositif absorbait les 90 000 mètrescarrés du programme en déclinant les formats des bureaux et en limitant les vis-à-vis. Une figure en référence à l'architecture organique de Frank Lloyd Wright – qui suscite des intériorités plurielles avec ses atriums plantés –, dont l'assemblage se faisait en étagements progressifs.

[ Maître d'ouvrage : Sogeprom – Maîtres d'œuvre : Fassio-Viaud. D. Devaux et J.-P. Thomas associés – Surface : 90 000 m2 – Coût : 180 millions d'euros HT – Concours 2011 perdu ]


IMMEUBLE DE BUREAUX À ÉNERGIE POSITIVE, PANTIN (93)

Sur une parcelle à la géométrie particulièrement complexe et dans un environnement bâti très hétéroclite, la posture de Fassio-Viaud consiste à répondre par une neutralité, à la fois formelle et matérielle. Sans pour autant perdre en identité, bien au contraire. En réponse aux contraintes urbaines et architecturales, ils sculptent un volume épuré de 18 mètres d'épaisseur, scandé d'ouvertures modulaires qui correspondent aux organes programmatiques internes. Il en résulte un bloc aux formes légèrement arrondies, superbe monolithe paré de plaques de Corian® blanc – réputé insensible aux outrages du temps – et souligné d'une base vitrée qui dévoile l'entrée et le parking. Sa toiture nappée de panneaux photovoltaïques conforte le label énergie positive (HQE-BREEAM International) demandé par le maître d'ouvrage.

[ Maître d'ouvrage : PRD-Semip – Surface : 6 200 m2 Shon – Coût : 12,5 millions d'euros HT – Livraison : 2013 ]


OPÉRATION « BAS-FOURNEAUX », 242 LOGEMENTS À BALARUC-LES-BAINS (34)

Adossé à une ancienne carrière et quasiment les pieds dans l'étang de Tau, l'ensemble de logements s'organise en peigne, étirant de longs bandeaux de terrasses étagées et de coursives sur son pourtour. Si les architectes n'ont pas eu de réelle marge de manœuvre quant aux formats des logements, ils développent des matérialités en façade en puisant dans les références locales : ganivelle en habillage de garde-corps et prolongés en brise-soleil, béton matricé « pierre » en façade. Des bacs à fleurs sont intégrés dans les planchers.
[ Maîtres d'ouvrage : Nexity-George V, Pragma, Immo-finances – Maîtres d'œuvre : Fassio-Viaud, associés à Signal Architecture – Surface : 24 000 m2 Shon – Coût : 20 millions d'euros HT – Livraison : 2009 ]

COLLÈGE DU MONT D'HOR À SAINT-THIERRY (51)

En haut d'une colline à l'entrée du village, il fallait conjuguer les deux échelles de cet équipement scolaire : l'une basse, côté paysage, l'autre en R+1 plus « urbaine ». Les architectes trouvent la parade en réalisant un origami de zinc qui enveloppe toiture et façades. L'extension comprend la partie restauration, la vie scolaire, le CDI, les salles d'enseignement artistique et fabrique deux préaux, tandis que le bâtiment existant est restructuré. Là encore, la géométrie a eu raison de la complexité d'intervention sur ce site. L'horizontale étirée de cette toiture unitaire et la figure en V en plan conjurent finalement le sort et autorisent même les architectes à jouer d'abstractions visuelles.
[ Maître d'ouvrage : conseil général de la Marne – Maîtres d'œuvre : J.-P. Thomas mandataire ; Fassio-Viaud associés – Surface : 7 665 m2 – Coût : 6,3 millions d'euros HT – Livraison : 2005 ]


UNITÉ CANINE À MOISSY-CRAMAYEL (77)

Le programme est plus que simpliste (bureau et niches), mais étonnamment rugueux avec ses contraintes hypersécuritaires. Le site d'implantation de cette unité canine – pour chiens et maîtres-chiens – est volontairement éloigné des zones d'habitation. Fassio-Viaud le prennent dans le sens du poil, en mettant en place un dispositif panoptique de plain-pied en triangle et en appliquant deux matériaux principaux : béton lasuré noir et grilles en acier galvanisé pour les niches. L'enrobé au sol répond au gris du ciel. Vue de l'intérieur comme de l'extérieur, la figure générée est étonnamment graphique.

[ Maître d'ouvrage : ministère de l'Intérieur, de la Sécurité intérieure et des Libertés locales/SGAP de Versailles – Maîtres d'œuvre : Fassio-Viaud, associés à D. Devaux – Surface : 795 m2 – Coût : 1,19 million d'euros HT – Livraison : 2011 ]



OLIVIER FASSIO ET JEAN-BRICE VIAUD...SOUMIS À LA QUESTION


> Quel est votre premier souvenir d'architecture ?

Olivier Fassio : La construction de la pyramide à La Grande-Motte en 1970. Jean-Brice Viaud : Un cloître, mais lequel ? J'étais tout petit… D'ailleurs, j'aime toujours autant les cloîtres.

> Que sont devenus vos rêves d'étudiant ?

OF : Ils sont dépassés. / JBV : Bien plus que je n'osais imaginer.

> À quoi sert l'architecture ?
OF : Pas plus que le reste. / JBV : À rien de plus que le prêt-à-porter, c'est juste mieux d'avoir un beau toit qu'un toit.
> Quelle est la qualité essentielle pour un architecte ?
OF et JBV : L'intuition.
> Quel est le pire défaut chez un architecte ?
OF : Ne pas en avoir. / JBV : La certitude.
> Quel est le vôtre ?
OF : Le même, ça dépend des jours, mais surtout des nuits. / JBV : Le doute.
> Quel est le pire cauchemar pour un architecte ?
OF : Cela fait longtemps que je n'ai pas fait de cauchemar.
JBV : Je ne fais jamais de cauchemar.
> Quelle est la commande à laquelle vous rêvez le plus ?
OF : Je change de rêve tous les soirs. / JBV : Je ne rêve pas d'architecture.
> Quels architectes admirez-vous le plus ?
OF : Peter Zumthor, Louis Kahn, les architectes espagnols souvent.
JBV : Il y en a bien trop, d'Aalto à Zumthor en passant par Kahn et Scarpa. Certains potes m'épatent aussi, mais je ne veux pas faire de jaloux.
> Quelle est l'œuvre construite que vous préférez ?
OF : La chapelle de Zumthor à Wachendorf.
JBV : S'il faut choisir… peut-être la Fisher House de Kahn ?
> Citez un ou plusieurs architectes que vous trouvez surfaits.
OF : Hadid, Holl, les architectes anglo-saxons souvent. / JBV : J'ai été récemment très déçu par Hadid et Holl mais de là à les trouver surfaits…
> Une œuvre artistique a-t-elle particulièrement influencé votre travail ?
OF : Celles de Jean-Luc Godard et Lars von Trier. / JBV : Non.
> Quel est le dernier livre qui vous a marqué ?

OF : Ma vie de Carl Gustav Jung. / JBV : Blast de Manu Larcenet.
> Qu'emmèneriez-vous sur une île déserte ?
OF : Ma bibliothèque. / JBV : Surtout pas un maillot.
> Quelle est votre ville préférée ?
OF : Paris for ever. / JBV : Celle où je vis.
> Le métier d'architecte est-il enviable en 2012 ?
OF : Il est en tout cas de plus en plus envié. / JBV : Oui, encore.
> Si vous n'étiez pas architecte, qu'aimeriez-vous faire ?
OF : Bistrotier, réalisateur, maître d'ouvrage, psychanalyste.
JBV : Cuisinier, photographe, dessinateur…

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