Parler, discuter, négocier : L’architecture contemporaine en Belgique francophone

Rédigé par Richard SCOFFIER
Publié le 01/12/2015

La cage aux ours à Bruxelles par MSA

Dossier réalisé par Richard SCOFFIER
Dossier publié dans le d'A n°241

La très intéressante exposition « entrer: » présentée jusqu’au 12 janvier 2016 au Centre Wallonie-Bruxelles à Paris et les derniers feux de la saison Mons Capitale européenne de la culture nous donne l’occasion de revenir sur l’architecture contemporaine en Belgique francophone, six ans après notre dossier paru sur le même thème dans le numéro 183 de juin 2009. 

S’il existe une culture architecturale spécifique à la Belgique francophone, elle est moins centrée sur la notion de création ou d’oeuvre que sur la notion de service. Ainsi, de nombreux jeunes architectes passent par l’école de la micro-intervention pour faire leurs premières armes en tant que maîtres d’oeuvre. Une extension demandée par un voisin, un garage réclamé par un cousin ou la maison des parents d’un copain d’école dessinent les limites d’un service civique non institutionnel qui permet d’accéder à la commande et d’avoir la possibilité de concevoir des projets plus ambitieux. Ces pratiques – qui peuvent s’insérer dans l’équivalent belge du stage HMONP – déterminent aussi l’existence d’une activité professionnelle qui ne se résume pas à la réponse à un programme et à un site, mais reste fondée sur la parole, le dialogue et la négociation. Une activité à la lisière de la psychologie, de la pédagogique et du poker, qui vise à instruire et à accompagner les clients dans une expérience parfois éprouvante mais toujours importante. Cette culture prend aussi ses racines dans le milieu militant et associatif qui structure très fortement la vie politique en Belgique. Le paysage professionnel qui en découle est ainsi constitué, en marge des grosses structures, de petites agences capables de se regrouper ou de s’associer occasionnellement pour répondre à des commandes plus conséquentes. Les architectes Gauthier Coton, Xavier Lelion & Anne-Sophie Nottebaert en sont un bon exemple : ils conservent chacun une activité indépendante et font équipe pour les projets plus importants. Quant au collectif L’Escaut, il a mis au point une formule inédite. Il fonctionne comme une coopérative dont la quinzaine d’associés se réunit chaque semaine pour discuter collégialement des travaux en cours, tandis qu’un conseil d’administration, élu pour un an, fixe les objectifs de l’agence à plus long terme. Une organisation qui a une incidence forte sur la conception, comme ils le promettent sur la page d’accueil de leur site web : « Pas de style, ni de méthode type, nous développons des moyens particuliers pour apporter une réponse située et poétique à chaque projet. » 



VILLES DE LA PUISSANCE 

La ville de Bruxelles est plus complexe que celle de Paris, elle se présente comme une agglomération de communes dirigées par des bourgmestres là où notre capitale n’est divisée que par des arrondissements dépendant étroitement de la mairie de la capitale : éternel antagonisme des villes de la puissance et des villes du pouvoir. Ces communes possèdent leurs quartiers aisés et leurs quartiers populaires, leurs équipements et peuvent mener des politiques édilitaires complètement différentes. Les gardecorps dissemblables qui protègent les rives du canal séparant Bruxelles de Molenbeek, à proximité immédiate du centre-ville, peuvent apparaître comme le symbole de cette hétérogénéité… Quant à Mons, elle semble plus schizophrénique. Sous l’impulsion de son maire et ancien Premier ministre, Elio Di Rupo, elle mène une politique ambitieuse. Ce dont témoignent la gare ferroviaire confiée à Santiago Calatrava – qui a déjà réalisé la gare de Liège – et le Palais des congrès de Daniel Libeskind. La première, un chantier pharaonique, accumule les retards et les dépassements de budget. Le second, qui n’est pourtant pas sans intérêt, reste cruellement sans enjeux architecturaux, philosophiques ou urbains. Déjà démodé à peine achevé, il se contente de répéter la manière du maître d’il y a quinze ans en s’habillant de bois pour se mettre au goût du jour. Cette signature en trois dimensions, aujourd’hui échouée ironiquement en bordure d’une esplanade où se tiennent des fêtes foraines, peut ainsi se mesurer avec d’autres manèges beaucoup plus sophistiqués et contemporains. Plus pertinentes et plus subtiles restent les autres actions engagées pour la candidature de Mons au titre de Capitale culturelle européenne. Des actions modèles portées par des projets aux budgets très resserrés et sachant investir des infrastructures existantes. Les organisateurs ont ainsi opté pour de nombreuses réhabilitations permettant la création d’un véritable tissu culturel. Une stratégie en cohérence avec la programmation des manifestations festives pariant sur la multiplicité de petits événements assurant un rythme continu et très soutenu. Ainsi, c’est la chapelle désaffectée des Ursulines qui accueille l’artothèque. Un véritable collage surréaliste qui met en scène les planchers accueillant les collections des musées de la ville à travers les baies en ogive de la nef, tout en exprimant implacablement notre société de l’archive. Le Mons Memorial Museum vient réactiver l’ancienne halle en déshérence de la Machine à eau. Contrairement à ce que son nom pourrait laisser imaginer, l’intervention architecturale reste résolument non monumentale. Et elle sait s’interroger avec ses moyens propres sur la retransmission spontanée de l’histoire. Quant à l’Arsonic, il vient occuper l’ancienne caserne des pompiers. Cet équipement d’un nouveau type tente d’apporter une réponse à la révolution de l’écoute et aux attentes d’un public avide d’éprouver à nouveau la relation fondamentale de la musique à l’espace. Enfin, les logements réalisés sur le site de l’ancienne caserne Léopold se présentent comme une opération exemplaire permettant à l’espace public d’être à la hauteur des nouveaux rituels culturels urbains incubés par cette année festive. 



HISTOIRES BELGES 

La plupart des constructions présentées dans ce dossier comme dans l’exposition du Centre Wallonie-Bruxelles sont aussi intéressantes par le récit de leur réalisation : de véritables odyssées scandées de remises en cause, de rencontres fortuites et de hasards heureux. Ainsi la commande pour le parc des Quatre-Vents à Bruxelles concernait à l’origine une construction passive pour abriter un minuscule local associatif qui devait prendre place dans un jardin public très étriqué. Les architectes de Baukunst ont d’emblée réinterrogé et reformulé la demande en proposant d’agrandir le jardin et de glisser le petit programme social dans des espaces non utilisés de l’école communale contiguë. En construisant en échange un préau permettant aux écoliers à l’étroit dans leur cour de récréation de profiter du jardin… Pour la place Verboeckhoven à Bruxelles, dénommée la Cage aux ours à cause de son centre évidé permettant de voir passer les trains en contrebas, le contrat de quartier ne prévoyait qu’un aménagement paysager. L’agence MSA a préféré voir le problème autrement. Constatant qu’une partie de l’espace public, isolé des flux de circulation, avait été indûment colonisée par une fraction de la population, ils ont proposé de le transformer en lieu de passage. Une passerelle à gradins posée sur le vide central permet ainsi à la place balkanisée de recouvrir son statut d’espace partagé. À Dison, une des communes les plus pauvres de Belgique, c’est encore une autre histoire. Plutôt d’ailleurs une pièce de théâtre mettant en scène quatre personnages : un promoteur immobilier désireux de créer un centre commercial à la périphérie de la ville en faisant table rase de l’usine à lait en déshérence. Un directeur de l’urbanisme qui lui refuse le permis de construire et deux architectes qui lui conseillent de conserver cette construction mémorielle et de la réhabiliter… La véritable histoire de l’artothèque de Mons commence une fois le projet gagné par les agences L’Escaut et Gigogne. Pour rentrer dans les prix, ils avaient conservé à contrecoeur les planchers en béton construits à la va-vite dans la chapelle des Ursulines par le propriétaire précédent. La bonne surprise est venue cette fois de l’entreprise, pour laquelle il valait mieux les déposer et insérer dans la nef une structure métallique… Faisons un pas maintenant dans les Ardennes flamandes. Un homme sonne à la porte d’une maison et demande la permission de la visiter. Il en ressort satisfait et demande au propriétaire qui l’a si obligeamment accueilli les noms et les coordonnées des architectes qui l’ont construit. Guillaume Becker et Kobe Van Praet de l’agence Vers.A seront contactés peu de temps après pour concevoir un très intéressant programme expérimental de pavillon de jardin pour ce passionné d’architecture… Quant à l’histoire des Matador et de leur ensemble de logements sur le site de l’ancienne caserne de Mons, elle est plus triste et illustre le côté sombre de cet espace politique traversé de puissances et de forces contradictoires. Ils n’ont pas affronté de taureau, mais le tout-puissant fonctionnaire délégué régional de la commune qui trouvait la brique utilisée trop sombre et a décidé, sans même les consulter, de faire repeindre en blanc une partie des murs de leurs bâtiments. Que de belles histoires pour meubler nos nuits d’insomnies d’architectes français, pour qui tout commence et se termine par un contrat, le reste ne concernant que les juges et les avocats… 

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