Philippe Guyard et Boris Bregman |
GBAU, quatre lettres imbriquées au carré. C’est sous ce sigle anonyme que court désormais Philippe Guyard, architecte singulier installé au pied du Salève, la montagne qui borne Genève au sud, associé depuis maintenant quatre ans à Boris Bregman, autre solitaire croisant entre la Suisse et la Haute-Savoie, deux frontaliers…
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S’associer à cinquante ans en dit long sur le besoin de rapprochement pour pallier l’isolement d’une pratique en province. En général, c’est l’âge de la rupture pour les associations constituées dès l’installation, après l’école... Ces deux caractères tranchés et plutôt dissemblables se sont vite retrouvés sur la même longueur d’onde. Philippe Guyard, dégaine de cow-boy, est d’un naturel énergique et prolixe. Boris Bregman, plus Raminagrobis que chasseur alpin, est du genre calme et posé. Installé sur ses genoux, le chat abyssin de la maison ne s’y est pas trompé. La conversation ronronne et l’esprit bat la campagne alors que la tempête sévit derrière la baie panoramique d’un salon reconverti en bureau. Mi-agence, mi-habitation, le prisme de béton souligné de menuiseries en chêne abrite une demi-douzaine de collaborateurs souvent originaires des écoles de la région, où les deux architectes enseignent. Difficile de les retenir dans ce coin – on est ici route du Coin, à Collonges-sous-Salève – entre la Suisse toute proche aux salaires avantageux et les métropoles rhône-alpines aux attraits plus évidents. Les deux associés, eux, tiennent bon accrochés à la pente. Boris Bregman par ses racines locales, Philippe Guyard par choix de vie, après des débuts en Haute-Marne et un intermède parisien dont témoigne un immeuble quai de Seine, lauréat du concours des Jeunes Architectes de la Ville de Paris (1991), dans lequel l’influence historiciste de Stanislas Fiszer est perceptible en écho à la rotonde de Ledoux.
Un fil à dérouler dans Paris ? L’appel de la montagne et une épouse suisse en ont décidé autrement.
Alors travailler à deux, c’est mieux : cela brise la routine et stimule. Une réciprocité d’intérêt bien comprise préside à l’association. Philippe Guyard fait figure d’exemple dans le département – le bon élève aux yeux du CAUE – et un diplôme suisse permet d’envisager la compétition dans la Confédération voisine. Le plaisir pris ensemble à faire le concours pour la bibliothèque universitaire de Fribourg leur a servi de test en 2010. Dix concours plus tard, présentés en Suisse et tous perdus, le plaisir ne s’est pas émoussé. Un premier gagné en France, la médiathèque de Sallanches (Haute-Savoie) actuellement en construction, leur sert de consolation. Et si les affaires précédemment engrangées par Philippe Guyard et ses références font tourner l’agence au quotidien, la communion est totale tant les objectifs sont partagés et les sensibilités proches. Frontaliers, marié ou diplômé côté suisse, ils sont forcément devenus un peu Helvètes dans l’approche et l'exécution de leurs projets, mais pas seulement.
Fils d’un professeur d’histoire, Philippe Guyard a visité beaucoup de monuments dans sa jeunesse et contracté l’amour du bel ouvrage auprès des maîtres qu’il s’est choisi entre Nancy et l’Italie, avant de tendre vers l’épure typologique et les topographies construites au plus près du terrain. Si le site commande, le projet parfois s’émancipe pour camper le programme ou dérouler une pensée constructive autonome. Boris Bregman qui a fait ses classes chez Jacques Anziutti avant de suivre l’enseignement de Patrick Berger, à Lausanne, le rejoint sur cette ligne paysagère qui fait de la construction l’horizon indépassable de l’architecture. Le dépouillement recherché rend la résolution technique impérative. Les limites s’estompent entre gros œuvre et second œuvre tout comme art de vivre et art de bâtir fusionnent dans le projet d’architecture. Les deux associés en vantent la cohérence à l’instar de l’organisme constitué de cellules judicieusement agencées en un tout. Ils en attendent une dignité innée et une sorte de bienséance qui rayonne de l’intérieur, indifférente aux effets de manche produits au-dehors. Dignité, bienséance, deux notions qu’ils affectionnent et deux mots qui reviennent sans cesse dans leur discours, déplorant au passage le travers spectaculaire pris par les concours. La séduction est un jeu dérisoire dont ils aimeraient se dispenser pour convaincre plus objectivement par l’exercice de la rationalité et par une sensibilité argumentée en regard du lieu et du programme.
Identifiés comme des adeptes de la culture construc- tive et du détail – ce qui est jugé un peu vexant –, ils revendiquent la force de l’idée et la pertinence du trait avant le savoir-faire du constructeur, l’ABC du métier. L’art de bâtir ne saurait être une finalité en soi-même si la médiocrité ambiante en fait un critère déterminant. Ils affirment aimer le plan et la coupe autant que le détail bien dessiné et la mise en œuvre impeccable qui s’ensuit. À rebours, ils se tiennent à distance de la surenchère technique et se déclarent tentés par la simplicité et la frugalité, convaincus que le développement durable réside dans la recherche des archaïsmes et le retour aux fondamentaux. Ils aspirent à des formes évidentes, dictées par l’usage, et veulent revenir à des choses plus frustres. Ce qui n’exclut pas de coordonner la construction et de sérier les éléments dans une optique de préfabrication des plus performantes. Un tropisme helvétique manifeste chez ces deux frontaliers que la récente votation suisse de nature protectionniste n’empêchera pas de circuler librement entre territoires, traditions et inventions.
Médiathèque de Sallanches (74), 2014
Une emprise maximale entre des murs existants et un profil bas engravé dans le terrain. Un espace ouvert et flexible, sans façade représentative sinon sa couverture plissée pour capter la lumière.
AIG
Le projet de la Maison du lac d’Aiguebelette, à Nances, en Haute-Savoie. Non retenu de Bregman Guyard architectes. 2010.
Complexe festif, sportif et culturel du Salève Collonges-Sous-Salève (74)
Tapi dans la pente en aval du village de Collonges, l’imposant complexe communal se glisse dans le paysage sans obérer la vue panoramique des immeubles riverains sur le pays genevois. Le bâtiment qui épouse les contours du terrain est lui-même tourné vers la vue, sa salle des fêtes posée au-dessus des salles de sport engravées dans la pente et desservies par un axe transversal. Le bâtiment s’abstrait du contexte autant qu’il se fait discret, jusque dans son émergence vitrée. La figure n’est pas sans rappeler la Nouvelle Galerie nationale de Mies van der Rohe, à Berlin, par son pavillon de verre balisé aux quatre coins de poteaux cruciformes en acier et posé en terrasse sur un vaste socle de locaux divers.
Restaurant d’altitude à 2 250 m, site de la Croix-de-Chamrousse (38), 2013-2014
Un sillon creusé dans la montagne pour ce restaurant panoramique d’une capacité de 600 repas/jour.
Salle festive et culturelle et maison des associations, Chens-sur-Léman (74)
Pour seul matériau, un lattis de mélèze revêt le volume de la salle communale et maison des associations, des façades et pignons jusqu’aux rampants de toiture de cette longère d’inspiration agricole. Autant que la citation typologique, la référence aux bâtiments « néopseudo-ruraux » du Japonais Kengo Kuma est évidente et assumée. Elle répond à une recherche sur l’unicité du matériau qui résonne pertinemment avec l’architecture savoyarde. Sous cette enveloppe brute et rugueuse, le bâtiment recèle des espaces intérieurs tout aussi simples mais aux surfaces lisses et polies, voire sophistiquées, avec des parois en polycarbonate rétroéclairées et des pans entiers de miroir glacé. Une expérience sensorielle sous un couvert boisé bien inséré.
Centre ensam, école d’ingénieurs des arts et métiers, Savoie-Technolac, le Bourget-du-Lac (73), 1998
Un bâtiment campus organisé au carré et ouvert sur le paysage jusque dans sa terrasse accessible.
Maison-musée du Salève, ferme de Mikerne, Présilly (74), 2007
Une structure en bois muséographique érigée en doublure intérieure d’un grand corps de ferme aux pierres historiques.
Gymnase de Monery, Rumilly (74)
Ces deux boîtes signalétiques alignées le long des voies ferrées comme des entrepôts gomment tout repère d’échelle comme elles dissimulent leur vraie nature et leur hauteur réelle sous une peau lisse de polycarbonate coloré et de bardage plissé. Semi-enterrées et articulées par une charnière commune de locaux et de vestiaires, elles confinent à l’abstraction totale sans omettre de capter la lumière par les bandeaux translucides de leurs couronnements aux débords prononcés. Une figure de style qui réifie l’architecture sans faire insulte au paysage, des abords plus ou moins délaissés aux coteaux verts en toile de fond.
Bâtiment d’accueil touristique, Manigod (74), 2011
Un monotype qui donne une vision idéalisée et amplifiée de l’architecture locale.
Groupe scolaire de Lullin (74), 2004
Deux volumes aux toitures emphatiques pour compléter l’îlot mairie traité en cour commune ; un clin d’œil régionaliste appuyé.
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N° 226 - Mai 2014
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