Que la lumière soit ! - Entretien avec Alberto Campo Baeza

Rédigé par Richard SCOFFIER
Publié le 11/10/2023

Article paru dans d'A n°311

À Madrid, en cette fin d’après-midi d’août, la ville est par endroits complètement déserte, la chaleur intense reste supportable mais la lumière est parfois si aveuglante qu’elle vous oblige à fermer les yeux. Je descends une venelle silencieuse à proximité du croisement de la Gran Vía et du Paseo del Prado et, comme convenu, je sonne au numéro 4. Aucune réponse… Après plusieurs essais, la porte s’entrouvre et Alberto Campo Baeza, que je n’avais jamais vu, me dit : « L’interphone est en panne. » Et il me prend dans ses bras, comme si nous nous connaissions de toute éternité.

D’a : Vous allez avoir 77 ans et vous travaillez aujourd’hui, le jour le plus chaud de l’été. D’où vous vient cette passion pour l’architecture ?

Mon grand-père maternel, Emilio Campo Baeza Eguiluz, était un architecte important à Valladolid, l’ancienne capitale de l’Espagne, où je suis né. Il a notamment construit le Círculo de Recreo, un édifice éclectique très savant, très inspiré des immeubles parisiens et cependant animé par une exubérance toute espagnole. Ma mère m’a poussé à aller dans les pas de ce père qu’elle admirait, en cherchant à m’inoculer par tous les moyens le virus de l’architecture. Elle s’extasiait devant mes résultats scolaires et devant le moindre de mes dessins. Aussi loin que je me souvienne, je crois que je n’ai jamais douté du fait que je serais un jour architecte… Ainsi, après mes études secondaires, je me suis naturellement orienté vers cette discipline.
 
D’a : Comment se sont passées ces années d’études ? Quels ont été les enseignants qui vous ont marqué ?

Avant de commencer, j’ai dû suivre deux années préparatoires où j’ai fait énormément de dessins au fusain et de mathématiques : l’imagination alliée à la raison, une excellente introduction à ces études…
Puis, en 1966, je suis entré en première année à l’Escuela Técnica Superior de Arquitectura de Madrid, l’ETSAM, et j’ai commencé à faire des projets sous la direction d’Alejandro de la Sota. Un architecte important qui doit sa renommée à un chef-d’œuvre structurel : le gymnase de l’école de Maravillas à Madrid (1962). Je suis revenu il y a peu de temps sur son travail à la demande d’un éditeur italien (Lettera Ventidue, ndlr) pour écrire Laconico Sota, une biographie parue en 2017.
C’était un petit homme toujours souriant et toujours impeccablement habillé qui jouait tous les matins plusieurs sonates de Bach avant d’aller travailler. Nous l’admirions énormément. Je me souviens encore du premier exercice qu’il nous avait donné : un restaurant dans la baie de Santander. Presque tous mes camarades avaient dessiné des édifices wrightiens avec de grands débords de toiture. J’ai été le seul à proposer une boîte de verre montée sur des roues, qui descendait la pente côtière pour s’enfoncer dans la mer. J’avais très bien compris où il voulait nous emmener et j’ai obtenu la meilleure note…
Après lui, j’ai suivi l’enseignement de Rafael Moneo, qui ne m’a pas spécialement marqué. Il venait de rentrer à l’école où il briguait un poste de professeur mais il a finalement été nommé à Barcelone. Puis j’ai terminé mon cursus avec Julio Cano Lasso, un autre grand architecte de cette époque. Il collaborait régulièrement avec Telefónica, la société nationale de télécommunication, pour laquelle il a réalisé de très beaux bâtiments techniques : des forteresses de briques capables de maintenir leurs espaces de travail à l’abri de la chaleur et de la poussière. C’était un architecte très rigoureux, influencé par le rationalisme italien des années 1930 et toujours préoccupé de l’intégration de ses œuvres dans le paysage.

(...)

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