Quelles mesures pour le logement social ?

Rédigé par Emmanuel CAILLE
Publié le 29/08/2013

85 logements sociaux à Clichy-sous-bois, Edith Girard architecte + Delphine Cédénot, assistante

Dossier réalisé par Emmanuel CAILLE
Dossier publié dans le d'A n°220

Retrouvez dans cet article une interview d'Edith Girard, ainsi que les propositions d'Armand Nouvet, Eva Samuel, Yves Ballot et Natahlie Franck, CAB, Serge & Lippa Goldstein, Arc/Pôle et Jean-Pierre Pranlas-Descours.


Article paru dans le dossier « Logement social : espacer et rassembler Â» du numéro 220.

Edith Girard : « Il est impossible de penser le logement sans la ville Â»


DA : Qu'est-ce qui a changé aujourd'hui par rapport aux année quatre-vingt, lorsque vous avez commencé à concevoir des logements sociaux ?

Édith Girard : La conception de logements n'est malheureusement plus au centre des préoccupations des architectes les plus médiatisés ; sans doute est-ce un domaine moins photogénique ? Mais cela n'empêche pas de nombreux architectes de continuer à penser à une meilleure manière d'habiter.


DA : Les architectes disent qu’il n’y a jamais eu autant de règlements, que la limite du raisonnable a été franchie.

EG : Il y a toujours eu des règlements. Le problème, c’est la superposition des règlements et leur changement perpétuel. Des règles concernant les « personnes à mobilité réduite Â» aux normes BBC ou à la dictature des DTU, c’est un écheveau d’injonctions qui peuvent être contradictoires. Ainsi, certaines normes Handicapés ne fonctionnent pas pour ceux pour qui elles ont été créées. Cent pour cent de logements accessibles aux PMR, c’est idiot. Il faudrait conserver 20 % ou 30 % non soumis à cette règle du tout plain-pied qui bride les solutions inventives. Mais il faut parfois savoir se saisir de ces contraintes pour en faire un avantage qualitatif. Rue des Vignoles à Paris, par exemple, dans l’appartement témoin, nous avions profité des 30 centimètres supplémentaires nécessaires pour pouvoir tourner avec un fauteuil dans le couloir pour y créer une fente de lumière. Il ne faut pas affronter en râlant mais en essayant de détourner ; l’architecte est celui qui transforme la contrainte en opportunité.

Le problème principal est moins le règlement que la judiciarisation qu’il entraîne. On pourrait souvent ne pas se soumettre à certaines règles, mais lorsque survient un sinistre, même si ce hors normes n’est pas responsable du désordre, la responsabilité nous sera appliquée parce que nous n’avons pas respecté cette norme.


DA : Les architectes se plaignent unanimement de la réduction des surfaces par unité de logement.

EG : Oui, ce qui a changé depuis ces dernières années, c’est que les surfaces sont toujours plus petites. Les offices HLM doivent équilibrer leur budget, et les gens ne sont solvables qu’à tel taux de loyer ; et pour l’office, il y a un prix de revient que l’on ne peut pas dépasser.


DA : Un petit trois-pièces se vend toujours mieux qu’un grand deux-pièces. Est-ce qu’il y a une surface minimale, un espace au-deçà duquel il n’y a plus de transformation possible ?

EG : On peut concevoir petit et bien, mais si en plus on rajoute toutes les nouvelles réglementations, on atteint un seuil critique de qualité.


DA : L’étanchéité entre les différents statuts de l’espace – public ou privé – paraît de plus en plus forte, particulièrement en France. Or l’existence d’un espace commun partagé au sein d’un ensemble d’habitation ne pourrait-elle pas permettre de pallier en partie la réduction des surfaces habitables ?

EG : Si, et il existe des moyens d’entrouvrir, de travailler sur cet entre-deux. Nous ne sommes pas obligés d’accéder physiquement à certains espaces, mais ils peuvent être accessibles virtuellement, et cela produit des espaces contrastés, qualité essentielle de la ville. Quand nous nous rendons dans une villa parisienne, nous ne pouvons nous promener que dans l’allée mais nous profitons visuellement du jardin, même si ce jardin conserve l’intimité de chaque logement. Il s’agit de conserver ce rapport entre la rue, l’espace public et un espace contenu, non enfermé mais retenu. Je ne parle pas de l’espace totalement ouvert des grands ensembles, plutôt d’un espace ouvert mais contenu.

Si l’espace public est de qualité, il n’est pas forcément nécessaire de bénéficier d’un espace résidentiel commun, non au sens de résidentialisation mais d’espace partagé par les voisins.

Dans une ville, toute cette graduation génère la qualité. Il est impossible de penser le logement sans la ville.


DA : S’il y a un sujet tabou chez les architectes, c’est le degré de morcellement de la commande. Si l’on confiait pour la même surface 100 logements à trois architectes au lieu de 30 à dix architectes, y aurait-il des économies à faire ?

EG : Dans les années soixante, on passait aux architectes une commande de 1 000 logements. On a divisé les opérations car on voulait légitimement davantage de diversité. Mais aujourd’hui, là où il y a dix opérations, on pourrait sans doute les réduire à deux sans que l’architecture n’en pâtisse.

Cependant, le morcellement présente l’avantage d’ouvrir la commande aux jeunes architectes qui peaufinent avec enthousiasme leurs quinze logements.


DA : La rémunération des architectes est-elle suffisante pour les motiver à s’investir davantage dans la question du logement ?

EG : Ce qui a changé depuis vingt ans, c’est que nous ne sommes peut-être pas moins bien payés, mais la conception est devenue beaucoup plus complexe. Je ne parle pas seulement d’un point de vue technique, car notre profession doit s’adapter. Ce qui est terriblement chronophage, c’est le temps passé à négocier chaque chose : les programmes qui changent tout le temps sans que nous soyons rémunérés, la multiplication des intervenants, le temps que prend chaque opération à se monter financièrement et politiquement. Toutes choses qui nous échappent, mais qui ont un coût important.

Sans doute certains architectes baissent-ils les bras et passent-ils moins de temps en études. Les honoraires à 6 % du coût d’objectif, en mission complète, pratiqués par de nombreux promoteurs, cela n’est pas normal, ce n’est même pas le prix de revient des études. Il ne faut pas s’étonner ensuite que certains architectes se désintéressent du logement.


Armand Nouvet : « Renforcer la relation entre espaces privés et public Â»


Eva Samuel : « Raisonner financièrement sur des durées beaucoup plus longues Â»


Yves Ballot et Nathalie Franck : « Supprimer la TVA en partie ou en totalité Â»


CAB : « Retrouver l'esprit de la tribu Â»


Serge & Lippa Goldstein : « Restructurer lourdement le patrimoine ancien en lieu et en place d'une construction neuve Â»


Arc/Pôle : « Accorder au logement social davantage de présence dans le débat public Â»


Jean-Pierre Pranlas-Descours : « Penser l'amélioration du logement social par des conditions plus transversales Â».



Lisez la suite de cet article dans : N° 220 - Septembre 2013

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