Mais à quel usage ce bâtiment est-il destiné ? - D'A n°201

Mais à quel usage ce bâtiment est-il destiné ?

Un cabinet de dentiste dans l'Ouest parisien.
Le futur siège de Pôle (Sud) emploi en Terre Adélie.
La base secrète du docteur No, un méchant dans James Bond, dont la capture, survenue en même temps que celle de Ben Laden, est passée inaperçue.
La soucoupe que pilotera Jacques Villeret dans La Soupe aux choux 2, la suite du célèbre film tourné en 1981 par Jean Girault, avec Louis de Funès et Jean Carmet.

Une soucoupe volante en plastique blanc – pardon en FRP, PVC et EFTE – vient d’atterrir dans la cour de l’Institut du monde arabe. Passants et riverains s’interrogent : mais qu’est-ce donc? Un Ovni, suggère Aïssatou, trente-huit ans, serveuse dans un bar voisin, qui espère sans doute que les Aliens s’arrêteront pour goûter les spécialités locales,
de préférence à son comptoir. À défaut de Martiens, elle accueillera sans doute les nombreux architectes qui connaissent bien, eux, la pâtissière qui a commis cette meringue géante. Un aéroplane pour Britta, cinquante ans, sac au dos depuis Düsseldorf, en vacances à Paris avec son frère architecte, qui y voit pour sa part un «serpent». «Une huître en résine», selon Robert, Lyonnais venu en famille pour le week-end, qui ne trouve plus le plastique fantastique lorsqu’il s’agit de faire un bâtiment sérieux. Il suspecte un camion d’avoir défoncé la façade lors d’une marche arrière hasardeuse.
Sagace Robert, tu avais faux pour le camion, mais tu avais deviné que ce «céquoidon» géant relevait de la sphère alimentaire ! En effet, une brochure éditée à
l’occasion de cette rencontre du troisième type nous apprend que le bâtiment tire sa forme d’un donut (ou beignet, traduit-on charitablement pour ceux qui ne
seraient pas familiers de la série des Simpsons). Pour avoir suivi depuis 2009, dans la presse spécialisée, les pérégrinations du bernard-l’hermite new age à
Tokyo, Hongkong ou New York, les architectes n’ignoraient pas que la capsule n’était autre que le
Mobile Art commandé à Zaha Hadid par Chanel. Nemo propheta in patria, Paris n’avait jamais vu ce pavillon, pourtant propriété d’une entreprise incarnant l’élégance parisienne. Dans un élan de générosité comme seules les marques prestigieuses en sont capables, la firme Chanel a offert la chose à la capitale. Arabité de sa créatrice oblige, Dominique Baudis, directeur de l’IMA, a proposé illico le gîte à la dragée XXL, débarrassant le couturier d’une patate synthétique chaude que la crise commençait à rendre aussi coûteuse qu’encombrante. Le poids des murs, le choc des Pritzker : la capsule fait désormais face à l’un des bâtiments phares des années 1980, dessiné par Nouvel et Architecture Studio, et y restera au moins trois ans, durée du permis de construire accordé par la Ville à l’Institut. Et après, où ira-t-elle? À Sydney, supplie sur le livre d’or Bruce, vingt-huit ans, natif de la ville, qui ne semble plus se satisfaire des berlingots en céramique.

Olivier Namias