Mais à quel usage ce bâtiment est-il destiné ? - D'A n°224

Mais à quel usage ce bâtiment est-il destiné ?

Une ferme à oursins de l’époque soviétique dans le massif de l’Oural
La patinoire de Piplitchevo, construite en 1984 pour accueillir les Spartakiades d’hiver de 1982
La première casse pour façade de bureau, dans un lieu tenu encore secret
L'épave d'un bombardier américain furtif B2 abattu par les talibans en Afghanistan

L’œil rivé sur le bassin, à scruter un public pataugeant brasse, crawl ou papillon, le maitre-nageur ne peut prêter attention à l’architecture de son lieu de travail. Profitant de l’absence d’un regard vigilant, l’architecture de la piscine se débride, se déchaîne et échappe finalement à tout contrôle. Quand nager n’était qu’une affaire d’hygiène et de préparation militaire, les incartades étaient timides. « Salaud qui salit l’eau », avait écrit Louis Bonnier avec les mosaïques du pédiluve de sa piscine de la Butte-aux-Cailles. Aujourd’hui, la natation se veut ludique. Le fun remplace les injonctions morales. L’architecture ondule, cahote, prend des formes vagues en pensant singer la vague. Nous connaissons tous, près de chez nous, ces complexes ludiques aux volumes mous, donnant l’impression que l’entreprise a réalisé le bâtiment d’après une maquette en plastique stockée trop longtemps près du radiateur, ou tombée accidentellement dans le grille-pain.
C’est parce qu’il ne se plie pas à cette fatalité de la mécanique ondulatoire que l’on peut saluer le complexe Inúu, créé par l’architecte Jean-Michel Ruols, prolongement du centre Caldea, construit par le même en 1992 dans le style « cristal dans la brume ». C’est à Andorre que la chose a été construite. Sa forme extravagante fait remarquer cet oursin des montagnes plus facilement que le Yéti, ce qui explique sans doute que 400 000 personnes s’y rendent chaque année, entre une chasse au dahu et une pêche à la clope détaxée – autre grande spécialité andorrane. Elles sont pour cela prêtes à payer la coquette somme de 30 euros pour profiter de ses bassins en rizières et ses jeux de lumière kaléidoscopiques. Reprenant la boutade de Tristan Bernard à propos de la tour Eiffel, les mauvaises langues diront que c’est le seul moyen que ces malheureux ont trouvé pour ne plus voir l’épineux complexe. Selon ses propres mots, Jean-Michel Ruols ne cherche pas à créer des objets architecturaux irréalistes ni à imposer forcément un caractère minimaliste : il donnerait plutôt dans l’architecture alpine de Bruno Taut, revisitée par Olivier-Clément Cacoub dans ses vieux jours. Avec leurs belles parois en verre collé, Caldea et Inúu réunissent le monde des loisirs avec celui du bureau. Parlant de l’extension du complexe thermoludique, Ruols explique : « L’architecture en deltaplane [d’Inuu] repose au pied de la tour pyramidale. » Le vent se lève : gare à l’aile delta qui s’envole, et finira bien par retomber quelque part, dans un site qui n’en demandait pas tant.