Mais à quel usage ce bâtiment est-il destiné ? - D'A n°228

Mais à quel usage ce bâtiment est-il destiné ?

Le Musée de l’espadon séché, village de Poissons (Haute-Marne).
Une erreur de l’entreprise : les nouveaux locaux du //Canard Enchaîné//.
Du jamais vu : la première mairie-poissonnerie de France dans la commune du Rouget (Cantal)

Siège des National Fisheries Developement Board à Hyderabad, Andhra Pradesh, Inde. Architecte inconnu.
Nombreux ont été les architectes férus de technique à relever les erreurs factuelles dans les descriptions accompagnant les produits figurants dans //Elements//, première édition vénitienne du salon Batimat pensée par Rem Koolhaas. Se lancer dans des pinaillages byzantins sur le nombre de Y dans le nom de l’inventeur de la voûte tchétchène ou dénoncer la commercialisation de panneaux préfabriqués du système Camus signé des grandes figures de l’histoire est un moyen commode de noyer le poisson. Ces arguties n’apparaissent comme rien de moins qu’une énorme manœuvre de diversion. Son but : détourner l’attention de l’ « élément » primordial de la biennale le plus oublié, le plus négligé par Rem et les étudiants de Yale, à savoir le « Duck » ou « canard », alternative aux hangars décorés identifiés par Venturi et Scott-Brown dans les années 1960, et dont des avatars submergent chaque semaine les boîtes aux lettres des rédactions des revues d’architecture. Si nous avons aimé le mouton en tôle néo-zélandais, le plus magnifique Duck de ces dix dernières années nous vient d’Inde, et ce n’est pas un cochon. En découvrant les bureaux de la National Fisheries Development Board (NFBD) à Hyderabad, un organisme qui ne se fiche pas de la pêche puisqu’il assure sa promotion à travers tout le sous-continent, un architecte clermontois se serait exclamé : « Jamais vu un poisson qui ressemblait autant à un canard ». La critique est dure, et peut-être injuste. Gardons-nous de jeter l’anathème sur le concepteur victime du mécanisme de dégradation qui frappe trop souvent les projets de l’intention à la réalisation. Entre la planche à dessin et le cocktail d’inauguration, le fier brochet des images de synthèse s’est transformé en une version insipide du poisson exotique pour aquariophilie low cost.
«Un tel bâtiment ichtyo-formé n’existe qu’aux US et à Hawaï», notait l’édition d’Andra Pradesh du Journal The Hindu le 8 janvier 2008. Fish-tre!, le siège du NFBD apparaît plus innovant que la sculpture déposée par Gehry sur une plage de Barcelone, parce qu’il propose d’habiter autrement le poisson. Combien d’étage peut-on mettre dans une carpe ? L’anguille peut-elle remplacer la barre ? La tanche est-elle plus dense que la perche ? Quelle est la solution de calepinage pour un traitement de sole ? L’ombre peut-il être orienté plein sud ? Les requins conviennent-ils aux sièges de banques d’affaires ? En attendant qu’une rénovation thermique audacieuse ne métamorphose le placide poisson du NFBD en poisson-clown façon Némo, ne serait-il pas temps de changer de bête, et entériner le remplacement du Palmipède de Long Island par le Fish d’Hyderabad dans les manuels de théorie architecturale ? La mesure refléterait beaucoup mieux le nouvel équilibre mondial. (O.N.)