












Architecte : Arlette Baumans & Bernard Deffet Rédigé par Pierre CHABARD Publié le 14/12/2015 |
Contrairement à ce que l’on croit, la meilleure part du travail des architectes est parfois invisible. Il en est ainsi de l’action d’Arlette Baumans et Bernard Deffet dans la longue et incertaine reconversion de l’usine Interlac à Dison (2001-2015), pour littéralement délivrer ce paysage.
En cette
fin d’après-midi nonchalante de juillet, la terrasse de la brasserie L’Usine offre,
après le coup de feu du déjeuner, un peu d’ombre à quelques vieilles dames
qui sirotent leur thé rituel en bavardant face au paysage verdoyant
du coteau, visible pardelà . Côté soleil, une poignée de salariés rigolards
de Télévesdre, la télé locale, ou peut-être de Belgomédia, l’éditeur de
l’hebdomadaire Télépro, sont descendus par l’escalier métallique et
entament une pause cigarette-café. De là , ils surplombent le parking Ã
moitié rempli, rythmé par les allers et venues des caddies. En bas, trois
gamins dépenaillés tirent obstinément des goals entre l’Intermarché
et la galerie commerciale, indifférents aux gestes patients d’un couple
de retraités qui trie son linge devant le nouveau lavomatic extérieur,
entre deux rangées de prunus. Une affiche défraîchie annonce le
concert de rap qui, fin mai, a enflammé la salle de spectacle polyvalente Le
Tremplin, dont on ne soupçonne pas l’existence, juste au-dessus du
supermarché, derrière les bardages métalliques qui enveloppent en
partie les façades de l’ancienne usine Interlac. La vie ordinaire a
repris ses droits et irrigue à nouveau ce site de plus de 2 hectares en plein
centre de la commune de Dison, tout en longueur, coincé entre les pentes abruptes
et encore rurales de la vallée. L’intense activité industrielle de
conditionnement laitier l’a longtemps saturé, puis brutalement
déserté au tournant des années 2000. Depuis une quinzaine d’années, une nébuleuse
improbable d’acteurs privés et publics l’a progressivement transformé au gré
des circonstances et des opportunités, des projets entremêlés et des
intérêts pas toujours convergents. Le voyageur qui emprunte
aujourd’hui immanquablement la rue Albert-Ier, entre la sortie 3 de
l’autoroute et la ville de Verviers, toute proche,
peut longer ce bout de ville sans presque y prêter attention. Rien ne laisse
deviner en effet son histoire longue et discontinue, faite de fausses
pistes et de rebondissements, de bras de fer et de compromis, de
catastrophes et de petits miracles ; cette histoire qui fait en définitive de
cette reconversion postindustrielle apparemment banale, dans une Wallonie en
crise, un cas d’exception, presqu’un modèle à suivre, par l’assemblage
inédit d’activités marchandes et non marchandes, privées et
publiques, tertiaires et récréatives qu’il a produit.
DES
BRÈCHES FÉCONDES
Les
architectes Bernard Deffet et Arlette Baumans, associés depuis 1999, sont
les rares à avoir été impliqués de bout en bout dans ce processus.
Ils ont travaillé tour à tour pour le sanguin promoteur flamand d’origine
italienne qui acquit l’usine désaffectée pour une bouchée de pain en 2001
et qui décéda brutalement en décembre 2009, puis pour la commune socialiste
de Dison qui, prise par les impératifs d’un cofinancement européen FEDER,
racheta une partie, sur le tard, pour développer un programme à la fois culturel,
médiatique et commercial, et enfin pour la société foncière qui a repris, en
2012, la galerie commerciale, déjà en activité mais pas complètement
achevée. Leur projet – si on peut le nommer ainsi tant leur mission
de maîtrise d’oeuvre fut souvent partielle, et tant chacune des étapes ne
leur a jamais donné la garantie de la suivante – est riche d’enseignements
plus généraux sur les moyens d’agir de l’architecte, qui est
paradoxalement l’acteur à la fois le plus vulnérable face aux mécanismes contemporains
de production de l’environnement bâti mais aussi le mieux placé pour avoir
prise sur eux. L’histoire aurait pu tenir en une phrase : un promoteur
de centres commerciaux achète une friche, la rase et y construit quatre
hangars décorés et franchisés. Mais la réalité a déréglé ce scénario
pourtant rebattu de l’urbanisme commercial, levier puissant de normalisation
du paysage et d’ennui existentiel. D’abord, le coût de démolition d’une
partie des structures, en béton armé, grève la rentabilité de l’opération.
Ensuite, le rejet d’un premier permis d’urbanisme convainc le
promoteur de faire appel à des architectes locaux. Installés alors en face
de la Maison communale de Dison, Baumans & Deffet sont choisis. À
la fois réaliste et ambitieux, leur projet, scellé par un plan communal
d’aménagement dérogatoire (PCAD) validé en mars 2005, combine les contingences
économiques tendues du promoteur et les exigences souvent oubliées de l’intérêt
général. Tenant cette ligne de crête, ses grands principes ont survécu sur
la longue durée aux avatars de l’opération : rassembler les enseignes
commerciales en une seule aile longitudinale qui tient le fond d’un
parking arboré et qui lie le centre-ville à l’ancienne usine ; conserver
et viabiliser les vastes locaux de celle-ci pour les rendre
disponibles à toute leur potentialité programmatique ; exploiter le
caractère iconique de ces structures industrielles à l’échelle du
grand paysage (notamment l’étonnant portique en béton qui portait jadis
les citernes de lait) ; implanter des logements côté ville (qui restent
encore à financer). Si ce projet est exemplaire, ce n’est pas tant par
ses formes plastiques (une volumétrie relativement conventionnelle) ni par
son esthétique (d’une grande neutralité). Mais c’est parce qu’il
illustre un des champs de réflexion architecturale à la fois les plus puissants
et les moins spectaculaires : la topologie, c’est-à -dire la science des
relations spatiales, des rythmes et des enchaînements, des
contiguïtés et des ruptures, de l’orientation et de l’ordre des choses, en deçÃ
de toute mise en forme. C’est ainsi qu’avec très peu de moyens, Baumans
& Deffet ont pu articuler finement les échelles
(architecture/ville/géographie), penser l’aménagement de deux grands magasins
au rez-de-chaussée d’un bâtiment encore en friche tout en anticipant une occupation
hypothétique des étages, tisser ensemble des programmes indépendants (studios
télé, bureaux, centre de conférences, salle de spectacle, hall d’expo,
etc.), ouvrir des brèches fécondes entre forme et fonction. Au sein
des logiques hétérogènes qui complexifient et fragilisent le champ du
bâtir, l’architecte contemporain ne doit donc pas forcément faire moins
d’architecture. Le cas d’Interlac démontre qu’il peut au contraire
puiser dans les outils de sa discipline pour conjurer la condition
d’incertitude et de pénurie de ressources dans laquelle nous sommes
durablement plongés et pour interférer sur certaines fatalités du
marché de la construction.
MAÎTRE D’OUVRAGE : PHASE 1 : RÉGIE COMMUNALE AUTONOME DE DISON ; PHASE 2 ET 3 : IMMO DISON
MAÎTRE D’OEUVRE : ARLETTE BAUMANS & BERNARD DEFFET
PROGRAMME : PHASE 1 : RÉAFFECTATION D’UNE ANCIENNE LAITERIE INDUSTRIELLE EN COMMERCES (RDC), CENTRE CULTUREL, SALLE DE SPECTACLE, HALL D’EXPOSITION, BRASSERIE, STUDIOS DE TÉLÉVISION ET BUREAUX (ÉTAGES) ; PHASE 2 : GALERIE COMMERCIALE, PARKING ET ABORDS ; PHASE 3 : IMMEUBLE DE 25 LOGEMENTS (EN COURS) STABILITÉ ET TECHNIQUES SPÉCIALES : BEL
ACOUSTIQUE : ATS
SCÉNOGRAPHIE : L’ESCAUT
SURFACE : PHASE 1, 8345 M2 ; PHASE 2, 4250 M2 (GALERIE) ET 8000 M2 (PARKING ET ABORDS) – COÛT : PHASE 1, 10,6 MILLIONS D’EUROS ; PHASE 2, 1,5 MILLION D’EUROS (GALERIE) ET 1 MILLION D’EUROS (PARKING ET ABORDS)
LIVRAISON : PHASE 1, 2014 ; PHASE 2 : 2008
![]() |
Maître d’ouvrage : commune de ScionzierMaître d’œuvre : Atelier ArchipleinBET : Arborescence,… [...] |
![]() |
Maîtrise d’ouvrage : Immobilière 3FMaîtrise d’œuvre : Atelier Martel ; EVP,… [...] |
![]() |
Maîtrise d’œuvre : Huitorel & Morais architectes ; cheffe de projet : … [...] |
![]() |
Maître d’ouvrage : IBAVI Maîtres d’œuvre : Carles Oliver, Xim Moyá (IBAVI) Col… [...] |
![]() |
Carrer Salvador Espriu 39, Palma Maître d’ouvrage : IBAVI Maîtres d’œuvre : Car… [...] |
![]() |
Maitre d’ouvrage : IBAVI Maîtres d’œuvre : Carles Oliver, Xim Moyá, Antonio MartÃn,… [...] |
Réagissez à l’article en remplissant le champ ci-dessous :
Vous n'êtes pas identifié. | |||
![]() |
SE CONNECTER | ![]() |
S'INSCRIRE |
> Questions pro |
![]() |
L’architecture au prisme des contraintes environnementales : le regard singulier de Gilles Perraud…
Si les questions environnementales sont de plus en plus prégnantes, les labels et les normes propres à l’univers de la construction garantissent… |
![]() |
« In solidum » : jusqu’à quel point l’architecte doit-il être solidaire ?
Michel Klein, directeur général adjoint de la MAF, revient sur des condamnations in solidum disproportionnées à l’encontre des architectes mie… |
![]() |
25 ans d’expérience sur les grands projets universitaires qui montrent les limites des PPP et le …
Qu'il s'agisse de la récente construction de l'ENS Paris-Saclay, de la complexe restructuration du campus de Jussieu ou plus récemment du Campus Con… |
![]() |