Architecte : Roger Diener Rédigé par Joseph ABRAM Publié le 03/10/2005 |
Après leur collaboration à l'ambassade de Suisse à Berlin, l'architecte
Roger Diener et le peintre Helmut Federle ont poursuivi leur expérience
pour le nouveau bâtiment de Novartis à Bâle. Ce travail en commun autour
d'un même projet est l'occasion de s'interroger sur le sens et la forme
que peuvent prendre aujourd'hui les relations entre arts plastiques et
architecture.
L'intégration de l'art dans l'architecture constitue une problématique
majeure de la modernité. En 1948, Fernand Léger, qui possédait une
certaine expérience en la matière, tentait d'établir quelques
distinctions : « Le problème n'est pas si simple qu'il peut en avoir
l'air, déclarait-il, parce que la position des peintres modernes se
trouve en somme divisée en deux tendances. Il y a le tableau de chevalet
et il y a l'adaptation de la couleur à l'architecture. Personnellement,
je cherche à faire une distinction de plus en plus nette entre les deux
positions. […] Le tableau de chevalet est une œuvre, un objet en soi
qui comporte ses
limites et qui est aussi bien en place aujourd'hui
à Tokyo qu'à Berlin. Il voyage, il circule, il prend sa place, tandis
que la peinture architecturale devient un art collectif. » 1 Cette
dimension collective du travail artistique, lorsqu'il est intégré à un
projet architectural précis, pose problème. Discutée au lendemain de la
Seconde Guerre mondiale lors des Congrès internationaux d'architecture
moderne (à Bridgewater, à Bergame), à travers le thème de la « synthèse
des arts », cette problématique a donné lieu, au cours des années 1950, Ã
des réalisations importantes. Parmi elles, le palais de l'Unesco Ã
Paris (Breuer, Zehrfuss, Nervi) où intervinrent Picasso, Moore, Miró,
Nogushi, Matta… ; et l'université de Caracas (Carlos Raul Villanueva)
qui offrit à de nombreux artistes l'occasion de produire des œuvres
originales, qu'il s'agisse de Calder (qui créa le nuage acoustique de
l'amphithéâtre), de Léger (qui réalisa une mosaïque et un vitrail), de
Laurens, Arp, Pevsner, Soto, Lam, Arroyo...2 Depuis les
années 1960, peu d'expérimentations ont été tentées. On peut citer les
interventions de Marta Pan dans les projets de Wogenscky, échange entre
deux pratiques bien ancrées dans le socle théorique de la modernité.3
Mais rares sont les architectes des générations suivantes qui ont pris
le risque d'une collaboration effective avec des artistes. L'expérience
menée à Berlin et à Bâle par Diener & Diener avec le peintre Helmut
Federle revêt, de ce point de vue, un intérêt particulier. Cette
collaboration, qui trouve son sens dans l'itinéraire spécifique des deux
protagonistes, a engendré des formalisations très différentes.
Un relief mural
Pour
l'ambassade suisse à Berlin (1995-2000), Diener & Diener devait
réaménager et compléter un palais néoclassique dont le contexte urbain
avait disparu et qui subsistait comme un objet solitaire dans la ville.
Plutôt que de chercher à reconstituer un front bâti, les architectes ont
renforcé le caractère volumique de l'édifice existant en lui accolant
un parallélépipède neuf. Afin de suggérer le quartier détruit, ils ont
créé, à travers l'extension, un pôle d'altérité capable de changer les
significations de l'ancien palais, dont le mur pignon a été confié Ã
l'artiste Helmut Federle. Commentant le processus d'élaboration du
projet, Roger Diener explique le sens de sa démarche : « Nous avons
recherché une collaboration avec Helmut Federle au moment où nous avons
compris que la complexité était telle que les moyens traditionnels
seraient
insuffisants pour répondre à notre vision. Nous avons pensé
qu'Helmut Federle pourrait contribuer d'une manière beaucoup plus
précise que ce que nous aurions pu faire nous-mêmes. Je suis allé Ã
Vienne, pour le rencon-trer. À ce moment-là , nous n'avions qu'une vision
d'ensemble, mais pas une vision précise, ni du travail sur le mur
pignon, ni, non plus, de notre bâtiment. Helmut avait probablement en
tête une image de notre travail sur le bâtiment, de la même façon que
nous en avions une sur le potentiel de son travail sur ce mur pignon.
Ces deux visions un peu spéculatives nous ont encouragés mutuellement
dans la voie de cette collaboration. »4 Pour Helmut Federle, le travail
n'était possible que sur la base d'un accord implicite : « Notre époque
est celle où l'on ne doit pas tout faire tout seul. Il est possible de
travailler en commun et cela peut donner naissance à une histoire plus
intéressante. Roger Diener ne serait pas venu me voir s'il ne pouvait
s'identifier à mon état d'esprit et, inversement, je n'aurais pas dit
oui si je n'avais pas pu m'identifier à son état d'esprit. Il y avait,
dès le départ, un respect mutuel et nous savions qu'une entente
existait. » Pourtant, comme le précise Federle, son travail est resté,
d'un bout à l'autre, parfaitement autonome : « Je ne me suis intéressé
qu'à la forme que prendrait mon intervention. Je savais, dès le départ,
que ce serait un relief. » Pour lui, l'artiste ne peut « dialoguer »
avec l'architecte et l'intérêt réside précisément dans
« cette
autonomie absolue » : « Roger n'est jamais venu avec des propositions ou
des indications. J'avais les mains libres pour concevoir ce mur et
c'est ce que j'ai fait. Le relief n'a pas de fonction, il n'a pas
d'ouvertures, c'est une surface à laquelle j'ai donné un corps par la
structuration des horizontales et des verticales. Cette grille donne un
corps à cette surface. Cette corporéité implique quelque chose comme une
lourdeur, une durabilité. Autrement, cela aurait eu l'effet d'un
trompe-l'œil, une illusion. »5 Helmut Federle évoque des
analogies avec les architectures égyptiennes, khmères, asiatiques...
Lorsque l'on considère le bâtiment réalisé, on mesure l'apport de
l'artiste à la profondeur sémantique du projet. Adjacente à l'édifice
néoclassique, l'extension de Diener & Diener se présente comme un
volume lisse, percé de fenêtres verticales. Le relief épais de Federle
plaque l'ancien palais contre ce volume. Les trois éléments
(pignon/palais/extension) semblent ne plus former qu'une seule et même
entité contradictoire. 6
Une carapace colorée
Avec
le bâtiment Novartis à Bâle (2002-2005), la collaboration entre Diener
& Diener et Helmut Federle a pris un tour nouveau. Situé au milieu
des laboratoires et des bureaux qui constituent le cœur du complexe
pharmaceutique, cet édifice apparaît comme un parallélépipède couvert
d'une carapace colorée. Cette enveloppe insolite, conçue par Federle, ne
s'inscrit pas dans une trame régulière. Épaisse, elle produit, par la
superposition de plaques de verre de dimensions variées (accrochées en
trois couches à une fine structure métallique), un maillage informel
mais non aléatoire, car composé de manière intuitive.
On trouve
l'origine de ce dispositif dans l'Å“uvre picturale de Federle dont le
cheminement intellectuel s'identifie, depuis les années 1970, à une
forme particulière d'abstraction. Comme le souligne Gottfried Boehm, sa
peinture n'appartient pas à la « tradition de l'abstraction géométrique
», ni même à la « variante suisse du constructivisme » (Bill, Lohse). Si
elle s'est détournée de la pureté de la couleur et de la forme, c'est
pour s'ouvrir aux domaines de l'émotion et de la mémoire. Les tableaux
de Federle, explique le critique, développent un « climat
caractéristique » dominé par les phénomènes de transition. « Entre le
noir/gris et le jaune/vert, on assiste à la construction d'une lumière
rompue, saturée d'ombre. Sa température reste modérée, proche de la
fraîcheur. La profondeur complexe du clair-obscur dans cette peinture
résonne très longuement à l'intérieur du spectateur. Celui qui pénètre
dans un espace renfermant des toiles de Federle demeure dans un
entre-deux-mondes, un intervalle de temps qui devient durée. »7 Ces
toiles s'inscrivent dans « le vaste horizon de la réalité. Les
événements intérieurs qui surviennent à la surface, la pondération de la
figure et du fond, de la couleur et de la forme, de la structure et de
l'énergie,
se réfèrent au mur voisin, à l'espace. Ce n'est pas un hasard si les
tableaux d'Helmut Federle développent de très intenses résonances avec
l'architecture à l'intérieur de laquelle ils deviennent
visibles. »8 C'est
cette épaisseur sémantique qui fait la justesse du travail pictural
dans l'espace collectif du projet. « Pour moi, déclare Federle, la
composition reste […] un élément essentiel de la peinture parce que le
tableau, dans son environnement, vit de ce dialogue, de ce rapport de
force entre le tableau et l'espace, entre la masse de la couleur et la
matérialité du support. […] Il n'existe pas, selon moi, de peinture
absolument non référentielle. […] Il est bien évident que le tableau,
dans son essence même, existe en tant que tel, mais pour le spectateur
il offre des ouvertures climatiques auxquelles il va éventuellement
faire appel au sein de sa mémoire, à moins qu'elles n'y exercent
elles-mêmes une action stimulante. »9 À Bâle, les couleurs vives, très
rares chez Federle, sont employées avec mesure et réflexion. Une toile
peinte par l'artiste en 1963 et une composition dédiée à Anni et Josef
Albers (réalisée en 1999 pour un bâtiment de Hans Kollhoff à Meiningen)
en constituent les précédents.10 Malgré les couleurs intenses
de certaines plaques de verre (bleu marine, turquoise, vert, jaune,
rouge, orangé…), la lumière reste partout fluide et légère.
Paradoxalement, l'édifice emballé dans cette mosaïque multicolore n'est
pas fermé. Sa carapace, qui produit des effets de muralité, reste
béante. L'air y circule en tous sens. Le regard aussi. Sous son
enveloppe transparente, le bâtiment apparaît comme une gigantesque
fenêtre. L'intervention de Federle, bien que soumise aux contraintes des
données fonctionnelles du projet, est tout autant architecture qu'œuvre
d'art. Elle construit sa plastique singulière aux frontières des deux
disciplines, simultanément. Composite, elle met en œuvre de nombreux
types de vitrages, les uns fortement colorés, les autres à peine teintés
(vert pâle, rose, bleu pastel...). L'enveloppe de verre accomplit
méticuleusement les fonctions ordinaires de l'allège, du garde-corps,
tout en dissolvant les références de ces éléments d'usage dans la
continuité de sa texture épaisse. Vu de l'intérieur, à travers le
découpage coloré des plaques de verre, le paysage alentour gagne en
urbanité, une urbanité essentielle, qui fait penser secrètement à Edward
Hopper mais aussi à Fernand Léger.
1 - Fernand Léger, « La couleur dans l'architecture », in Fonctions de la peinture, Denoël-Gonthier, Paris, 1970, p. 104.
2 - L'Unesco a inscrit cette université sur la liste du Patrimoine mondial en l'an 2000.
3 - Cf. la faculté de médecine de l'hôpital Necker (1963-1968) et la préfecture des Hauts-de-Seine à Nanterre (1965-1972).
4 - Roger Diener, propos recueillis par Catherine Dumont D'Ayot, Faces, n° 50, Genève, 2001-2002, p. 64.
5 - Helmut Federle, propos recueillis par Catherine Dumont D'Ayot, op. cit., pp. 67-69.
6 - Sur ce projet, cf. J. Abram, a+t, arquitectura+tecnologia, Madrid, n° 17, 2001, pp. 112-125.
7
- Gottfried Boehm, « Dunkles Licht », in Helmut Federle, XLVII Biennale
Venedig, Lars Müller Publishers, Baden, 1997, pp. 55-69.
8 - Ibid.
9 - Helmut Federle, in Erich Franz, « Gespräch mit Helmut
Federle », in Helmut Federle, op. cit., pp. 7-33.
10 - Cf. Helmut Federle, musée des Beaux-Arts de Nantes, Actes Sud, Arles, 2002, pp. 28-29.
14
- L'espace situé entre la façade nord et l'enveloppe de Federle est
ouvert, comme un balcon. Les plaques de verre servent d'allèges, de
garde-corps.
15 - Un salon. On distingue au fond la toile The distance de Federle (photo n° 1 p. 84).
16 - Au premier étage, un bureau ouvert. Au fond, la spirale d'un escalier en bois.
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