« Réinventer Paris » : de l’enthousiasme aux questions

Rédigé par - VINCENT JOSSO, FLORE TRAUTMANN ET LIONEL GASTINE
Publié le 31/03/2016

Article paru dans d'A n°243

C’est peu dire que « Réinventer Paris » n’a pas laissé les acteurs de la ville indifférents. Pour aller au-delà des nombreuses prises de positions très tranchées – publiques ou informelles –, Vincent Josso, Flore Trautmann et Lionel Gastine ont voulu que les candidats, et plus largement les professions concernées, puissent partager, de l’intérieur, leur expérience de l’appel à projets. Ils nous livrent les résultats de leur enquête.

Cette démarche, indépendante et bénévole, s’est fondée sur un questionnaire en ligne créé et administré par Le Sens de la Ville et URBANOVA, puis relayé par la Ville de Paris. Les résultats ont été présentés le 9 mars à l’hôtel de Ville de Paris, en présence de 200 participants et de M. Jean-Louis Missika, adjoint à la mairie de Paris chargé de l’urbanisme.


71 % des répondants « bousculés » dans leurs façons de travailler par « Réinventer Paris »

Pour 71 % des personnes interrogées, « Réinventer Paris » a bousculé les façons de travailler (93 % des promoteurs et 76 % des architectes). Pour plus de deux participants sur trois, il a permis de développer des idées qui existaient déjà mais n’avaient jamais pu être testées. Les deux premières qualités de « Réinventer Paris » sont cette possibilité de pousser des propositions innovantes (58 % des répondants) et la mise en réseau avec des acteurs avec lesquels ils n’avaient pas l’habitude de travailler (58 %). Parmi les candidats non lauréats, 60 % déclarent que l’équipe constituée continue de travailler ensemble. « Réinventer Paris » a marqué pour beaucoup le début d’une histoire dans laquelle l’innovation se jouera par la suite, hors cadre du concours


90 % des répondants ont innové en matière de programmation, de services et d’usages

« Réinventer Paris » a été l’occasion pour 90 % des répondants de proposer des projets innovants en matière de programmation, services et usages. Ce sujet programmatique arrive en tête, loin devant les innovations technologiques, de modèles économiques ou de procédés participatifs. Les futurs usagers des lieux (gestionnaires de crèche, restaurants, hôtels mais aussi habitants ou commerçants) étaient d’ailleurs très largement présents dans les équipes candidates (selon 87 % des répondants). Enfin, « Réinventer Paris » a esquissé une méthode de travail, éprouvée pour certains mais peu nombreux, de coélaboration de projets dès l’amont entre maîtrises d’ouvrage, d’oeuvre et d’usage. Cette méthode déséquentialise1 la fabrique urbaine et génère de l’innovation : dans ce jeu de rôle, le promoteur est amené à construire non plus ce qu’il a déjà su vendre hier mais à proposer des espaces adaptés à la demande de l’exploitant final de demain2. Des formes nouvelles d’hybridation de compétences entre métiers de la Ville (maître d’oeuvre, maître d’ouvrage, maîtrise d’usage) ont ainsi pu germer.


Des répondants prêts à revivre l’appel à projets (65 %) mais qui s’inquiètent de sa généralisation (57 %)

Si c’était à refaire, une large majorité des promoteurs (88 %) et des créateurs ou exploitants de lieux (78 %) rempileraient, contre 47 %des architectes. Et pour cause, ces derniers, souvent à l’origine de la formation de l’équipe (36 % des cas), se sont retrouvés en première ligne et ont, dans une très large majorité, finalisé des rendus (72 %) plus complexes qu’à l’accoutumée. Or, parmi les architectes interrogés, 50 % seulement déclarent avoir été rémunérés. Une répartition inégale des efforts qui s’est retrouvée à plusieurs reprises au coeur des débats. La reproductibilité de la démarche, éventuellement par d’autres collectivités, se pose : 57 % des répondants pensent qu’une généralisation de « Réinventer Paris » ne serait pas une bonne chose pour leur profession. Plusieurs pistes d’améliorations sont à ce titre avancées par les participants : une sélection des candidats plus en amont dans la procédure (point d’amélioration essentiel pour 50 % des candidats) ainsi qu’une plus grande clarté des critères de sélection (50 % également). La Ville de Paris a d’ores et déjà fait savoir qu’elle étudiait diverses formes d’allégement de la procédure pour la future édition intitulée « Réinventer la Seine ».


Réinventer « Réinventer Paris » ?

Les attentes semblent donc fortes chez l’ensemble des parties prenantes : d’une part des collectivités et aménageurs qui souhaitent susciter des projets urbains innovants avec des groupements originaux – à ce titre, « Réinventer Paris » fera date avec une émulation organisée avec succès, et d’autre part des participants qui souhaitent un recours adapté à ce
nouveau mode de faire la ville. Au regard des résultats du questionnaire et des débats qui ont suivi sa présentation, plusieurs pistes d’amélioration et de réflexion se dessinent. Nous les esquissons à travers quatre éléments constitutifs de ces nouveaux appels à projets. La répartition des efforts et des bénéfices entre les parties prenantes doit trouver son équilibre. Si la polémique s’est focalisée sur le sujet de la rémunération, c’est bien l’équilibre entre quantité de travail demandée, rémunération et probabilité de succès qu’il faut penser dans son ensemble. Même si la collectivité n’est pas la puissance qui indemnise, elle peut jouer un rôle clé dans cette combinaison, par exemple en exigeant du mandataire qu’il lui communique les conditions précises de rémunération au sein du groupement, en particulier pour les professions fortement impliquées au stade de l’offre (architectes, paysagistes, bureaux d’études). Les règles du jeu et les critères de sélection doivent être explicités au maximum. Est-il possible de proposer des montages alternatifs (ex : baux emphytéotiques) ou l’achat du foncier est-il incontournable ? Y a-t-il des fourchettes de prix attendus
pour l’achat du terrain ? Quelle est la pondération entre le critère financier et le critère d’innovation de l’offre ? Sans explicitation de ces règles, le risque est de faire travailler les équipes dans de fausses directions mais aussi de générer une certaine autocensure de la part d’équipes porteuses de projets innovants, risqués mais néanmoins recevables. Enfin, les explications apportées aux candidats non retenus semblent incontournables pour maintenir une logique constructive avec les professionnels désireux de participer à de prochains appels à projets. La vision et les attentes du commanditaire doivent être développées. La carte blanche donnée aux candidats pour innover ne doit pas se transformer en feuille blanche politique. Certes, des objectifs guident l’appel à projets, ils sont d’ailleurs exprimés dans le règlement sous forme de défis, valables pour l’ensemble des sites. Mais la spécificité de chaque site ne mérite-t-elle pas l’expression d’un minimum de vision politique pour chacun d’entre eux ? Quitte à ce que cette vision soit partagée, enrichie, bousculée avec l’appel à projets ? Autres thématiques, les effets de l’appel à projets sur le fonctionnement des métiers de la ville : et si « Réinventer Paris » et ses futures éditions ne faisaient qu’accélérer la transformation sectorielle de l’urbain ? Un mouvement est à l’oeuvre, plongeant parfois les acteurs de la ville dans des abîmes de perplexité : « la fin du projet urbain ? », « la fin des programmistes ? », « la fin des aménageurs » ? La ville est un vaste mouvement de balancier : après l’ère des macrolots, l’ère des constellations de sites à « réinventer » ? La méthode de fabrication du « Réinventer » semble déjà faire école avant qu’un premier bilan n’en soit tiré. Celui-ci ne pourra se faire réellement qu’à l’aune de ses réalisations. Il devra évaluer la réalité de l’innovation, son financement et le partage de sa prise de risque, analyser les échelles de projet adaptées. La capacité des appels à projets innovants à s’adapter à des contextes moins favorables que les fonciers parisiens pourra s’apprécier rapidement à la lumière des autres appels à projets lancés dans le sillage de « Réinventer Paris ».


Lisez la suite de cet article dans : N° 243 - Avril 2016

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