RENZO PIANO BUILDING WORKSHOP - Aménagement d’un pôle universitaire dans la citadelle d’Amiens

Architecte : Renzo Piano Building Workshop
Rédigé par Richard SCOFFIER
Publié le 28/02/2019

À l’automne dernier, lors de la rentrée de l’université de Picardie, la citadelle d’Amiens en sommeil depuis des années a surgi enfin, transfigurée, de sa tanière…

 

À Amiens, vous ne pouviez voir, jusqu’à la fin de l’été dernier, que la fine tour Perret, la haute et lumineuse cathédrale et les luxuriants hortillonnages. La citadelle – transformée à la fin du XVIe siècle par Jean Errard, le précurseur de Vauban – savait rester invisible, malgré son immense emprise spatiale et sa proximité avec les quais de la Somme.

 

L’invisibilité et la surprise, connues des stratèges depuis l’Antiquité, ont toujours permis aux armées prédatrices de renouer avec les instincts des animaux sauvages qui savent se fondre dans leur territoire pour mieux jaillir inopinément devant leurs proies sans leur laisser aucune chance… Sans doute le plus grand intérêt de ce gigantesque aménagement de la fin du XVIe siècle qui s’efface dans son paysage peu vallonné et ponctué de loin en loin de hautes haies de peupliers. Pour voir sans être vue, cette architecture de fossés et de talus sait monter imperceptiblement à « la côte canon » qui lui permettait de foudroyer instantanément tout point suspect des alentours. L’histoire pourtant est moins glorieuse. Ce dispositif n’a jamais arrêté les invasions : ni l’armée espagnole descendue des Flandres à la fin du XVIe siècle, ni les forces allemandes en 1870, en 1914 et en 1940. La citadelle aura surtout servi à surveiller la ville, avant de devenir un lieu de détention pour les résistants, un camp de transit pour les déportés de la Somme puis un centre d’accueil pour les harkis rapatriés d’Algérie. 

 

Appartenant à l’armée, cette présence vénéneuse, amputée de ses bastions orientaux dès les années 1950 pour permettre le tracé de l’avenue du Général-de-Gaulle, a longtemps fonctionné comme un no man’s land, un mur de Berlin isolant les quartiers Nord, réputés hostiles, du reste de la cité. Libérée depuis plus de vingt ans de la présence des militaires, cette base aux longs souterrains hantés par des chauves-souris s’ouvre enfin après une initiative heureuse de la municipalité consistant à ramener au cœur de la zone urbaine les campus déplacés en banlieue. Les facultés de lettres et de sciences humaines ainsi que l’école supérieure du professorat et de l’éducation ont été rapatriées des confins sud de la ville pour investir les lieux. Comme si l’étudiant, autrefois considéré comme un facteur de trouble à exiler d’emblée dans de lointaines périphéries, était désormais appréhendé comme un citoyen de premier plan, capable, par sa vitalité débordante, de régénérer les centres menacés de déshérence.

 

Trame générative

Le concours de 2010 a fait apparaître des solutions radicalement différentes, presque caricaturales (voir la rubrique concours du d’a n° 235, avril 2015). Jean Nouvel avait choisi de rester en bordure du site en creusant les masses de terre inerte des fortifications pour multiplier les interfaces avec la ville tout en cherchant à effacer la frontière entre architecture et nature. Dominique Perrault avait excavé à l’envi pour retrouver le sous-sol où il est si à l’aise; quant à Francis Soler, il proposait une corolle d’acier Corten pour habiller les pentes autour du vide central et y glisser les différents programmes de l’université. Face à ces propositions toutes porteuses d’une dimension utopique, celle de Renzo Piano contrastait par sa retenue. D’abord par la clarté de son dispositif d’implantation qui cherchait à agrandir le vide central de la place d’armes et à densifier systématiquement ses environs, dans le but de maintenir à proximité la population capable de l’animer. Les constructions de moindre importance ont été rasées, afin que ne subsistent au cÅ“ur du site que les deux édifices du XIXe siècle qui bornent le vaste rectangle de la nouvelle esplanade : les écuries et le bâtiment d’encasernement. Ce dernier fonctionnait comme un viaduc habité corbuséen sur lequel étaient tractés les canons permettant de défendre ou de surveiller la ville. Par deux ponts en arc de cercle placés à ses extrémités, les pièces d’artillerie lourde pouvaient en effet facilement être amenées sur ce toit-terrasse depuis les chemins de ronde. 

 

La composition sait intelligemment ne pas tenir compte du tracé pentagonal de Jacques Errard, qui empoisonnait les études de faisabilité, et ne se fonde que sur ces deux barres parallèles qui gisent au fond de la conque paysagère. À partir de ces deux éléments se développe une trame écossaise constituée de bandes construites et d’un système perpendiculaire de circulations reliant le vide central aux portes septentrionale et méridionale. Au sud, les écuries ont été ainsi étrangement étirées pour mieux affirmer le dessin du vide central, comme si l’on était venu enchâsser une lame de verre et d’acier entre leurs deux façades de brique préservées. Cette barre comprend notamment les services publics de l’université, distribués autour d’un parvis couvert en liaison directe avec la porte Montrescu et le centre-ville. 

 

À l’ouest, des voiles de béton viennent s’enfoncer dans la pente pour accueillir les grands amphithéâtres semi-enterrés qui terminent la perspective de l’esplanade tout en disparaissant dans la végétation. Un étonnant campanile rouge – composé de salles de réception en lévitation, largement ouvertes sur le paysage – dépasse l’altimétrie des murs d’enceinte pour compléter le dispositif en lui apportant un déséquilibre dynamisant. 

 

Au sud, la fausse muraille hâtivement dressée, après que les bastions ont été éventrés, a disparu pour permettre à l’urbain de s’engouffrer sans entraves dans l’ancienne place forte. Au nord, le bâtiment d’encasernement est subtilement creusé pour permettre les passages vers les trois nouvelles constructions parallèles abritant les salles de cours. Un système qui pourra se poursuivre jusqu’à l’alignement de l’avenue du Général-de-Gaulle lors de la seconde phase de l’opération. Enfin, porte d’Abbeville, une passerelle piétonne permet de franchir le fossé et de rejoindre le gymnase, une construction mutualisable établie à proximité des quartiers d’habitation.

 

Matérialité

À ce travail en plan correspond un travail en coupe, tout aussi prémédité. Ainsi, au niveau de la section transversale de l’ancien bâtiment d’encasernement, le profil du sol est-il modifié et simplifié. Les étroites cours anglaises qui permettaient d’éclairer médiocrement le sous-sol ont été amplifiées afin de se constituer comme un second sol de référence. Elles se couvrent, d’un côté, d’une vaste verrière rappelant celle de l’IRCAM pour abriter la bibliothèque. De l’autre, elles forment une cour arborée autour de la première barre et s’étendent jusqu’au mur de soutènement qui maintient, un niveau plus haut, le terrain sur lequel viennent s’implanter les deux barres suivantes. Les toits végétalisés de ces constructions nouvelles s’alignent sur le toit accessible du bâtiment réhabilité et créent avec lui un troisième sol de référence. 

 

Les édifices existants semblent avoir fait l’objet de véritables expérimentations chirurgicales. Dans le bâtiment d’encasernement, l’ablation des peaux en brique devant certaines voûtes du rez-de-chaussée s’associe à la suppression, à d’autres endroits, des voûtes inférieures elles-mêmes afin de ne conserver que les arches les plus hautes. Une intervention qui permet de rythmer cette masse amorphe tout en soulignant son caractère infrastructurel, comme si la coupe restait visible au travers de la façade. Plus byzantine, l’opération sur le squelette en bois portant les planchers des écuries. Ici, les éléments porteurs centraux ont été supprimés et les poutres, emboîtées dans d’étonnantes attelles métalliques, sont désormais portées par des poteaux périphériques. 

 

Le savoir implacable de l’agence sait partout ressurgir. Ainsi les ingénieux voussoirs en terre cuite collaborants – des doubles demi-voûtes servant de coffrage perdu aux dalles en béton et à leurs poutres préfabriquées en T – ont-ils été mis au point par Paul Vincent et son équipe, à la fois pour assurer une grande rapidité de mise en œuvre et pour accorder une inertie à ces constructions légères essentiellement composées de métal et de verre. Tout comme les trappes de ventilation qui, comme dans les serres, s’ouvrent automatiquement et permettent un système secondaire d’aération naturelle. Remarquons aussi l’emploi de la brique pour les sols. Notamment sur celui de la place, où des barres de terre cuite sont solidement assujetties, tout en maintenant entre elles des interstices de 2 cm. Un système qui permet au gazon de pousser et aux eaux pluviales d’être directement absorbées, tout en offrant un plan parfaitement stable. La présence de la brique et de la terre cuite, des matériaux employés de manière récurrente dans les réalisations de Renzo Piano, prend dans cette région un autre sens et inscrit profondément cette extension/réhabilitation dans la culture constructive locale. Toutes ces interventions, à l’échelle du territoire comme à l’échelle du détail, convergent pour permettre le surgissement, là où on l’attendait le moins, de la bête tapie dans la jungle. Après des années et des siècles de léthargie, elle surgit, métamorphosée, pour assurer enfin la protection et la prospérité de la ville.



Maîtres d'ouvrages :  SEM Amiens Aménagement (mandataire) pour Amiens Métropole
Maîtres d'oeuvres : Renzo Piano Building Workshop
Entreprises : BET : AIA Ingénierie, structure ; Éléments Ingénieries, transition écologique et énergétique ; SLETEC, économie de la construction ; RFR, façades ; Peutz & Associés, acoustique – Scénographie : Labeyrie & associés – Signalétique : Atelier l’Autobus Impérial – Conception lumière : Cosil 
Surface SHON : 43 300 m2 
Coût : 118 millions d’euros TTC 
Date de livraison : 2018

la place d’armes et son sol en briques<br/> Crédit photo : DENANCÉ Michel Vue intérieure de la médiathèque<br/> Crédit photo : DENANCÉ Michel  le grand axe de circulation reliant l’ancien bâtiment réhabilité aux nouvelles constructions <br/> Crédit photo : DENANCÉ Michel

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