Jean-Pierre Lott poursuit depuis la fin des années 1980 une démarche très personnelle dans une certaine indifférence aux sirènes qui annoncent des changements de paradigme. L’acier et le béton restent les matériaux de prédilection de cet ancien étudiant d’UP8 qui tire inlassablement ses formes courbes et sensuelles de l’œuvre d’Oscar Niemeyer. Son œuvre exigeante et très cohérente étant peu publiée aujourd’hui, l’ouverture récente du Studium à Strasbourg est une bonne occasion de revenir sur son travail.
Le Studium, la nouvelle réalisation de Jean-Pierre Lott, vient se nicher dans l’une des entrées de l’université de Strasbourg qui longe le boulevard de la Victoire face à la Neustadt, le quartier impérial développé au nord de la ville entre 1871 et 1918 lors de son annexion par l’Allemagne.
C’est une bibliothèque universitaire et une maison de l’étudiant, mais aussi une maison d’édition qui imprime les thèses et les ouvrages savants produits par les doctorants et les chercheurs de l’université. Une construction qui se présente comme une superposition de strates organiques rythmées d’ailettes pare-soleil verticales et posées en porte-à -faux sur un socle vitrée. Cette volumétrie s’attache moins à dialoguer avec les édifices en présence et avec la ville qu’à rendre compte de sa propre organisation interne : un atrium éclairé de toutes parts desservant autour de lui des plateaux de travail largement ouverts, une typologie qui peut étrangement rappeler celle des grands magasins du XIXe siècle.
Un espace pulsatif
L’édifice surgit sur le boulevard comme une organisation parasite qui viendrait détourner à son profit les flux d’étudiants dès leur descente du tramway. Il sait tirer parti d’un dénivelé situé à l’arrière pour s’encastrer profondément dans le sol et permettre la desserte directe de ses espaces techniques en partie enterrés.
Derrière le mur vitré du rez-de-chaussée composé de grands fragments de verre triangulaires portés par de fines menuiseries métalliques aléatoirement entrecroisées s’étend un vaste espace unitaire. Un espace uniformément blanc, dominé par le grand vide central qui monte chercher sa lumière indirecte à travers de hauts puits traversant la toiture et qui descend en se creusant jusqu’au sous-sol. Il dessert les deux niveaux de la bibliothèque qui ondulent autour de lui. Ceux-ci sont notamment accessibles par un escalier et une rampe qui s’enroulent en d’improbables entrelacs très sculpturaux. Ces volées de marches destinées à la montée et ces plans inclinés réservés à la descente flottent dans la lumière et se suspendent par des haubans à la toiture, pour former les deux ventricules d’un cœur qui propulse et expulse les nuées d’étudiants à travers les plateaux de lecture et les salles de travail. Tandis que la batterie d’ascenseurs et les cages cylindriques des escaliers de secours encloisonnés scandent puissamment l’espace en contrepoint du réseau de colonnes structurelles qui soutiennent à bout de bras cette superposition de plans libres.
Sous le regard d’autrui
Plus qu’une bibliothèque, le Studium se voudrait un espace de rencontre et de concentration : un espace paradoxal favorisant les échanges et les débats tout en permettant l’isolement ou le travail en groupe dans des espaces appropriés. La plupart des utilisateurs, à la fois seuls et ensemble, lisent et écrivent devant leur ordinateur autour de grandes tables communes. Alors que ceux qui le désirent peuvent réserver sur leur portable, au moyen d’une application, un box ou une salle totalement vitrés pour travailler isolément ou avec d’autres. Mais tous, dans cet espace diaphane, immergé dans le silence et la lumière, restent placés sous la surveillance de l’autre, comme convoqués par le regard d’autrui.
Le moindre détail semble avoir été longuement prémédité pour produire cette ambiance optimale. Ainsi la position des ailettes fixes en façade a-t-elle été précisément calculée pour faire pénétrer en profondeur la douce et faible lumière de l’hiver et pour contrôler sévèrement l’accès de celle, plus chaude et plus brutale, de l’été. Un dispositif renforcé par les encorbellements et les terrasses inaccessibles qui entourent les espaces de lecture. De même l’acoustique a-t-elle été parfaitement étudiée pour absorber les nuisances des activités bruyantes du rez-de-chaussée, notamment, placés sous la mezzanine, la banque d’accueil et les bureaux des associations destinées à venir en aide aux étudiants nouveaux inscrits ou étrangers. Une île à part qui coupe cet espace en deux et possède sa propre circulation pour desservir des salles de cours et de réunion qui s’étendent sur cet entresol. Au fond, derrière un épais mur de verre, une grande salle peut proposer des conférences ou des réceptions : des activités qui ne sont jamais isolées visuellement de celles de la communauté des chercheurs.
La vraie réussite de Jean-Pierre Lott réside dans la composition de cette atmosphère dont les éléments ne semblent pas peser mais flotter, où le vide n’est pas vertigineux, la lumière jamais aveuglante, les sons toujours miraculeusement étouffés : sa bibliothèque sait s’affirmer comme un paradis où la douceur des mots remplace la violence des choses. Tandis qu’en sous-sol des ouvriers s’activent pour imprimer les livres qui viendront remplir les rayonnages des salles de lecture. Des livres bientôt écrits par les étudiants et les chercheurs dispersés dans ce nuage, loin du bruit et de la fureur du monde…
Maître d’ouvrage : Université de Strasbourg
Maîtres d’œuvre : Jean-Pierre Lott, architecte ; Louise Van Grieken, cheffe de projet
BET : SERUE, TCE ; Oasiis, HQE ; Acoustb, acoustique
SHON : 12 000 m2
Coût : 22 millions d’euros HT
Calendrier : début du chantier, septembre 2018 ; livraison, octobre 2022