Tempête dans une dent creuse : Neuf logements et un commerce à Paris

Architecte : Agnès Cantin, Sandra Planchez (L’agence d’À Côté)
Rédigé par Paul BOUET
Publié le 07/11/2011

Le logement social, à force d'être réglementé, serait devenu un produit standard, les architectes n'ayant plus qu'à en décorer les façades selon la mode du moment. L'agence d'À Côté prouve qu'il est encore possible de faire bouger les lignes, mais à quel prix ? Chronique d'un petit projet au long cours.



Tout commence en 2006, lorsque la Régie immobilière de la Ville de Paris (RIVP) sélectionne l'agence d'Agnès Cantin et Sandra Planchez pour s'attaquer à une dent creuse du XVIIIe arrondissement de Paris, encadrée par deux molosses. D'un côté, l'hôtel Mathagon, un édifice du XVIIIe siècle menaçant ruine. Il sera rénové par le même maître d'ouvrage mais pris en charge par un autre architecte, Olivier de Certeau. De l'autre, une imposante résidence, typique de la promotion immobilière des années soixante-dix. En application de la règle habituelle, l'étude de définition préconise de construire un premier immeuble sur rue et un second corps de bâtiment à l'arrière. Une solution peu adaptée à cette portion de la rue Marcadet marquée par des retraits successifs, et qui aurait conduit à orienter la majorité des logements plein nord, sans parler des vis-à-vis. À l'inverse, Agnès Cantin et Sandra Planchez proposent de profiter de la cour attenante de l'hôtel Mathagon pour élargir ce vide et faire respirer leur parcelle. Dès lors, le bâtiment adopte un plan en L afin que les appartements bénéficient tous de la lumière de l'est, avec une double ou une triple orientation.


La prudence de la RIVP et l'expérience des architectes sur une opération similaire les convainquent de tout faire pour éviter les recours au permis de construire. Car la course à la densité à laquelle se livre la Ville de Paris ne va pas sans frictions dans ces quartiers déjà très denses. S'engagent alors six mois de négociations directes avec les riverains. Les deux architectes distribuent des flyers pour inviter ces derniers à des réunions de concertation. En mairie, elles expliquent leur parti à l'aide de présentations PowerPoint. Mais les habitants se fichent de savoir que les règlements autorisent à construire haut en mitoyenneté de la résidence de dix étages : ils tiennent à leur soleil du matin. L'émergence de deux étages est négociée centimètre par centimètre. Elle est finalement réduite à une peau de chagrin afin d'apaiser le voisinage. Il faut dire qu'en lieu et place du petit garage abandonné qui occupait la parcelle, certains s'étaient imaginé qu'un jardin pourrait être aménagé. Pour faire pencher la balance en faveur du projet de la RIVP, le maire promet que toutes les toitures seront végétalisées, quitte à ce que l'evergreen (pas toujours vert) tienne davantage de l'incongruité que de la belle pelouse sur des surfaces si réduites. Le projet perd finalement un logement et tout est à redessiner, mais le permis de construire est accepté du premier coup. On est alors en 2008, en pleine montée des préoccupations environnementales. Cantin et Planchez, qui ont fait le pèlerinage du Vorarlberg, anticipent le durcissement des normes thermiques. Les réglementations « handicapés » proscrivant toute subtilité en coupe pour de tels programmes, c'est sur le plan et les façades qu'elles concentrent leurs efforts. Côté rue, au nord, l'immeuble se carapace dans une enveloppe d'Aluzinc. Des persiennes permettent de se protéger des regards et du froid. Du côté de la percée, en revanche, là où les appartements prennent leur lumière, les architectes ouvrent des baies toute hauteur vers l'hôtel Mathagon. Les pièces se prolongent par des balcons filants, un dispositif aujourd'hui onéreux car il ne peut plus être mis en oeuvre sans de coûteux rupteurs de ponts thermiques. Mais Agnès Cantin et Sandra Planchez s'adaptent à la situation de la parcelle. La découpe en forme de zigzags des balcons découle directement du plan des logements. Ici, une chambre impose d'avoir un certain recul (6 mètres) : le bâtiment s'écarte de ses voisins. Là, des salles d'eau ne nécessitent pas autant de dégagement : il se rapproche alors des autres. Devant les séjours, les balcons s'élargissent, on peut y mettre une table. Ailleurs, ils sont étroits, on ne fait que passer ou se pencher. Cette différenciation de deux types de façade, fondée sur l'usage et l'orientation plutôt que sur l'ostentation, est soulignée par la ligne de rive de l'enveloppe d'Aluzinc. Épaisse comme la couche d'isolant qu'elle capote, elle affirme la silhouette caractéristique du projet. Positionné sur le point d'inflexion d'un méandre de la rue Marcadet, le double visage du bâtiment prend tout son intérêt. Qu'on la remonte ou qu'on la descende, il se situe exactement dans la perspective de la rue, offrant à la vue tantôt ses balcons dansants, ouverts à l'appropriation, tantôt sa cuirasse miroitante. À l'heure du bilan, cinq ans après le début des études, si les architectes peuvent être satisfaites de leur réalisation, il n'en va pas de même de leurs finances. À force de temps passé à négocier et à redessiner, difficile en effet de s'y retrouver. Pour une petite structure, gérer un projet sur une telle durée, avec son alternance d'attente et d'effervescence, se transforme vite en casse-tête. Aussi, lorsque le maire d'arrondissement oublie de citer votre nom dans son discours d'inauguration, impossible de ne pas se laisser gagner par l'amertume. Les difficultés inhérentes au marché du logement social amènent ainsi bon nombre d'architectes à s'en détourner dès qu'ils peuvent présenter leurs premières références construites, sésame pour accéder à des commandes plus valorisantes. Alors que c'est bien parce qu'il est si contraignant et tendu que ce marché requiert leur savoir-faire


Maîtres d'ouvrages :  RIVP
Maîtres d'oeuvres :  l'agence d'à côté (Agnès Cantin, Sandra Planchez Associées; Thibault Marca, chef de projet)
Surface SHON :  950 m²
Cout :  2,1 millions €
Date de livraison : 2011

Vue depuis la rue, côté façade Aluzinc<br/> Crédit photo : BOEGLY Luc Vue depuis la rue 2<br/> Crédit photo : BOEGLY Luc vue terrasses<br/> Crédit photo : BOEGLY Luc vue terrasses 2 <br/> Crédit photo : BOEGLY Luc vue intérieure<br/> Crédit photo : BOEGLY Luc niveau courant Façade Nord Perspective îlot

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