Thibaut Cuisset : « Aller à l’essentiel pour ne pas trop en rajouter »

Rédigé par Yasmine YOUSSI
Publié le 01/10/2005

Portrait de Thibaut Cuisset

Article paru dans d'A n°149

Paysages originels, marines au bleu azoté dans lesquelles le regard se perd, espaces intermédiaires entre campagne et banlieue japonaise. Voilà maintenant vingt ans que Thibaut Cuisset interroge le territoire à travers de sublimes épures en couleur, en équilibre entre documentaire et esthétique. Depuis peu, il prend aussi le temps de regarder les hommes.


d'A : Quels ont été vos débuts ?

Thibaut Cuisset : La photo m'est apparue, dès les années 1980, comme l'outil qui me permettrait de réaliser des choses de façon autonome, sans avoir à passer par une école. J'ai commencé par toucher au reportage, sur la ville d'Amsterdam notamment, pour me rendre compte que photographier en situation de voyage permettait de rester en état de découverte. Je suis ensuite parti au Maroc avec l'idée de réaliser un carnet de voyage dans l'esprit de ceux de Bernard Plossu ou de Max Pam. Mais je voulais ponctuer ces photos fugitives en noir et blanc avec d'autres clichés, plus distanciés et plus posés, effectués à la chambre et en couleur. Ce sont finalement ceux-là qui sont restés. Avec l'idée d'articuler le plus précisément possible un sujet, des lumières et certaines couleurs. À partir de là, j'ai sillonné le bassin méditerranéen et j'ai travaillé le paysage dans tous ses états. Cela m'a porté vers des lieux alors jugés sans qualité, tels ces paysages intermédiaires à mi-chemin entre le centre-ville traditionnel et la ruralité. J'ai également travaillé sur la banlieue de Rome, par exemple, en m'inspirant des films néoréalistes italiens de Pasolini, mais aussi de peintres de la Renaissance comme Giotto ou Piero Della Francesca.


d'A : Qu'est-ce qui vous séduit dans le médium photographique ? T.C. : Sa précision dans la description. Au style documentaire cher à Walter Evans, j'ai voulu ajouter une expérience esthétique autour de la couleur. La couleur est l'un des paramètres. Elle est nécessaire mais pas suffisante. Idem pour la description. Il ne faut pas que la photo bascule totalement dans le documentaire, ni dans l'esthétisant non plus.


d'A : Comment appréhendez-vous les territoires que vous photographiez ?

T.C. : J'essaie de recevoir un paysage et de le retranscrire le plus précisément possible, sans trahir l'esprit du lieu. Il y a dans mon travail l'idée d'épure. D'où, parfois, cette lumière zénithale très forte et très claire qui élimine les ombres et donne un sentiment d'éblouissement. Je choisis des couleurs dans des tons camaïeux, en évitant les couleurs heurtées qui pourraient être anecdotiques. Pour ce qui est du sujet, je tente d'aller à l'essentiel, en cherchant la distance la plus juste. Jusqu'à parvenir à une sorte de concentré de paysage, dénué de sentimentalisme ou de pathos.

d'A : Parlez-nous de votre dernier projet qui porte sur l'Islande, le désert de Namib, Beyrouth et Berlin.

T.C. : J'ai eu envie de confronter quatre territoires sur des sujets que je n'avais encore jamais abordés. D'où ce face-à-face entre le paysage géologique d'Islande, dans lequel l'homme est peu intervenu, et le désert de Namib. Le premier est très jeune, une sorte de désert en mouvement avec une lumière et une puissance des éléments qui étaient inédites pour moi. Le second est l'un des plus vieux déserts du monde. Je n'ai encore jamais travaillé sur des centres-villes. Beyrouth et Berlin, toutes deux détruites par la guerre et récemment reconstruites, me permettent de voir comment les hommes s'arrangent avec leur histoire. Mon travail n'est jamais lié à l'actualité. Dans un monde saturé d'images, j'essaye de ne pas trop en rajouter, tout en gardant un regard poétique.


d'A : Et votre travail sur la rue de Montreuil, à Paris ?

T.C. : Jusqu'à présent, j'avais besoin d'être en état de voyage pour photographier, d'aller vers des lieux que je ne connaissais pas. Là, j'ai pris les paramètres à l'envers : la notion de voyage m'était retirée – j'habite à 200 mètres de la rue de Paris –, et c'est un espace restreint. La rue de Paris est une rue à mutation. Elle fonctionne comme un sas pour une population très cosmopolite. On y retrouve l'état d'esprit méditerranéen avec les gens qui investissent les lieux. J'ai tenté d'en faire le portrait à travers une lecture murale, architecturale et humaine. D'autant que c'est la première fois que je suis confronté à la présence de l'homme dans mes photos. Il m'a donc fallu prendre en compte de nouveaux paramètres tels que la distance par rapport au sujet. J'essaie de ne pas projeter un univers sur les gens que je photographie, mais plutôt de recevoir, de capter leur passage avec un mélange d'empathie et de distance par rapport aux choses. Du coup, ce que je fais n'est pas exactement du portrait au sens premier du terme, ce n'est pas non plus une silhouette. Ce qui ne m'empêche pas de capter une véritable présence. Pour l'architecture, je n'avais pas vraiment de possibilités : je l'ai abordée de manière frontale, avec quelques vues en perspective pour donner la dimension de cette rue.


d'A : Sous quelle forme envisageriez-vous une collaboration avec un architecte ?

T.C. : Je n'ai jamais directement collaboré avec un architecte et ça me convient ainsi parce que ça me laisse plus de liberté. J'ai travaillé pendant un an sur la fin du chantier de De Portzamparc à la Cité de la musique à Paris. Cela m'a beaucoup intéressé, surtout pour ce qui est de la couleur. Je me suis également penché sur un cimetière imaginé par l'architecte catalan Miralès, niché au fond d'une vallée industrielle. Je me suis aussi attaché aux thermes réalisés par Zumthor à Vals. Autant de lieux que j'ai traités comme je l'aurais fait avec un paysage. (YY)

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