



Rédigé par Karine DANA Publié le 02/11/2015 |
Le chantier de transformation de la cité du Grand-Parc, partiellement terminé, est l’occasion de valider une approche additionnelle de la rénovation fondée sur l’ajout de grands espaces autonomes devant des logements existants occupés, permettant aux habitants d’en réinventer l’usage et le climat. Cette opération ouvre sur la question cruciale de la densification urbaine et sur la perspective de penser l’économie de la ville à partir de l’économie de la transformation.
Le
contexte de ce projet est à rattacher à la réflexion politique menée par
les architectes il y a plus de dix ans et concrétisée par un
manifeste paru en 2007 : Plus, Les grands ensembles de logements –
Territoires d’exception. Alors opposés aux décisions de démolition-reconstruction
prises par l’État visant ce patrimoine public, ils s’appuient sur des
équations criantes : « Depuis 2003, 2,98 milliards d’euros ont été
mobilisés par l’État pour démolir 113200 logements, soit 26300 euros
par logement, et 12,64 milliards d’euros ont été dépensés pour
reconstruire 105000 logements, soit 120000 euros par logement. Au final,
15,62 milliards d’euros ont été déboursés pour perdre 8200 logements…
Et dans le même temps, seulement 3,25 milliards d’euros ont été apportés pour
réhabiliter 241300 logements, soit 13500 euros par logement. » Démontrant
la pertinence économique, sociale et énergétique d’une approche du renouvellement
urbain par la transformation de l’existant, ils défendent l’idée qu’il faut
produire de l’architecture avant de faire de l’urbanisme et considérer
chaque logement comme point de départ de la plus infime réflexion sur
la ville. Sur les bases de cette première étude-manifeste, les architectes
livrent la tour Bois-le-Prêtre à Paris en 2010, soit 96 logements
augmentés d’extensions et drastiquement rénovés, ce qui diminua
d’ailleurs peut-être la compréhension de la proposition. Plus évidente, la métamorphose
en cours de 530 logements de la cité du Grand-Parc – laquelle en contient
4000 – marque un saut d’échelle indéniable grâce à la quantité des espaces additionnels,
leur très grand dimensionnement et leurs possibilités climatiques, ainsi qu’à
la rapidité de la mise en œuvre et la maîtrise des coûts – 45000 euros HT
par logement, sans déplacer les habitants ni augmenter leur loyer. Les
logements existants, aux façades maçonnées, sont presque tous traversants et
répartis en trois bâtiments (deux de 15 niveaux et un de 10 étages).
L’ensemble profite d’une relation privilégiée avec le centre de
Bordeaux, d’espaces verts généreux, de nombreux équipements et de vues imprenables
sur la ville historique. Les architectes abordent son évolution par un questionnement
sur la disponibilité du vital : « Si l’objectif est de donner plus d’air, plus
de lumière, plus de liberté, cela ne devrait pas coûter cher… Quelles sont
donc les interventions minimums qui permettent d’offrir cela ? Il est
possible de travailler sur l’économie à partir de là. »
ESPACE DE
LIBERTÉ
Le jardin
d’hiver constitue la pièce maîtresse de ces intentions de transcendance,
le catalyseur. Par les différents milieux qu’il permet de traverser
et la béance sur le paysage qu’il fabrique, il est cette architecture de
l’environnement bien tempéré, comme a pu l’évoquer Reyner Banham, et tout
à la fois le double poétique du logement, sa possibilité de fiction.
« Nous avons senti assez tôt l’importance de cette idée du double
avec la maison Latapie, même si elle n’a pas été formalisée ainsi à
l’époque. L’important n’était pas de tout agrandir un peu mais de
donner des espaces de liberté et d’y aller franchement. Au Grand-Parc, le jardin
d’hiver est la pièce la moins définie comme espace habitable – nous ne lui affectons
aucun programme – et pourtant elle est celle où l’on s’amuse le plus ! On sent
bien qu’il est une réponse aux contraintes et à la compression dont
souffrent la plupart des logements. Il n’est plus possible de fonder
la qualité d’une ville en comprimant l’espace individuel sous prétexte de
la densité. » De très grande dimension – 3 mètres de large dans sa
partie intérieure et 1 mètre dans sa partie en balcon sur une dizaine de mètres
en longueur –, le jardin d’hiver passe devant chaque pièce du logement et en
transforme l’usage tout comme le langage. En effet, il devient dispositif
de questionnement de l’habitat et des habitudes. Placé devant la
salle de bains, la chambre, le salon et la cuisine, il permet de se déployer
et de produire là des espaces de récréations, de jardinage, de danse, ici
des espaces de lecture, de pique-nique, de causerie. Les types
d’assises y sont démultipliés, au sol sur des tapis et coussins, ou sur des canapés,
des chaises de bar ou de jardin, sur des bancs, des troncs d’arbre. Le
jardin d’hiver permet de rejouer les vues, les circulations, l’occupation
et le confort du logement standard. Par les changements d’usage et de
mouvements qu’il réveille en l’habitant, il en permet la reprise en main du
climat et des ambiances. L’habitant redevenant physiquement actif dans son logement
– il peut même s’y fatiguer –, il lui semble naturel de retrouver un lien
et une activité vis-à-vis de l’espace extérieur dont les apports sont
ici captés. Il est sollicité pour inventer son propre niveau d’isolation par
l’intermédiaire de parois mobiles vitrées, en polycarbonate, de rideaux
thermiques et d’ombrage. En position d’échange, l’usager est amené à
fabriquer sa façade, sa relation au dehors, à la rue, au paysage, aux
autres, à réaliser lui-même son enveloppe en réglant son environnement
lumineux et thermique, plus ou moins clair, obscur, frais, aéré,
ouvert, confiné.
UN
LOGEMENT COMME UNE VILLA
Ainsi, la
question du rapport entre l’intérieur et l’extérieur lui est donnée à
résoudre et la réponse sera conduite à varier selon les saisons,
l’humeur et le moment de la journée. Il n’est donc ici jamais question de répétition
ni de stabilité de la définition même de l’habitat comme de celle de
l’architecture, mais d’explosion, de démultiplication et
d’interprétation. Et pourtant, depuis l’extérieur, le même module est
répété plusieurs centaines de fois avec les mêmes attributs, quels
que soient les étages et l’orientation. Le bâti, l’image, le modèle
sont déjoués par le mouvement, ses caprices, ses insistances, par la sensibilité
des habitants au dehors. « C’est comme s’il n’y avait plus de limite. Tout d’un
coup, ce n’est plus un logement arrêté par un mur et une fenêtre, mais
cela devient un terrain. Cette liberté de se bouger sur ce terrain
est intéressante. Les appartements transformés offrent beaucoup plus de
plaisir, de confort. On parle d’un logement qui se transforme en villa :
avec du plaisir autour, des facilités alentour, des vues, des
paysages, du sol. Il s’agit de se dire qu’au-delà de la façade, il y a
toujours du sol, même si on est au dixième étage. » De même qu’il
redevient central dans la conception du logement, l’habitant est invité
à en suivre le processus de transformation. Le chantier de la cité du
Grand- Parc s’opère en site occupé, une position très difficile mais,
parallèlement, qui offre la garantie de rester dans leur logement aux habitants
et les moyens d’être plus précis, moins bruyant, de faire en sorte de
scier moins, de lever moins de matière, d’éviter de générer trop de
poussière et d’aller plus vite. Les phases clés du chantier sont scandées par
l’arrivée des dalles de béton préfabriqué, la pose des poteaux préfabriqués,
le levage des dalles, leur montage, l’isolement des personnes, le
désamiantage des châssis, le sciage, l’approvisionnement en châssis vitrés
pour fermer la baie. Quatorze poteaux et six balcons sont posés chaque jour,
et 10 à 15 minutes sont nécessaires pour poser une dalle. Le grutier et
les compagnons qui accueillent et guident la dalle avant son lâcher
travaillent au millimètre. Même si la rénovation globale porte aussi sur
l’amélioration très ciblée des espaces intérieurs existants et la
reconfiguration des halls et circulations, l’ajout des jardins d’hiver concentre
l’essentiel de la transformation. Et l’on peut mesurer à quel point l’économie
est ici un sujet transversal, abordée comme un vecteur d’augmentation de l’expérience
spatiale et surtout pas comme un vecteur de restriction. À l’instar
du patrimoine de la cité du Grand-Parc, il existe des milliers d’autres logements
qui nécessitent une remise aux normes et sur lesquels les bailleurs
sociaux doivent intervenir. Cette opération, concluante tant du point
de vue de son apport de liberté et d’usage que de sa maîtrise énergétique
et de l’économie de sa construction, pose la question embarrassante de
sa reproduction. Comment une telle opération peut-elle faire face aux
politiques urbaines actuelles ?
Maîtres d'ouvrages : AQUITANIS, OFFICE PUBLIC D’HLM DE LA COMMUNAUTÉ URBAINE DE BORDEAUX
Maîtres d'oeuvres : ANNE LACATON & JEAN-PHILIPPE VASSAL, FRÉDERIC DRUOT, CHRISTOPHE HUTIN, AVEC MARION CADRAN, VINCENT PUYOO, JULIEN CALLOT, MARION PAUTROT
Entreprises :BATSCOP, LAURENT CHAPUS, MATHIEU CENEDESE
Surface SHON : 44210 M2 EXISTANT + 23500 M2 EXTENSIONS
Cout : 27,2 MILLIONS D’EUROS HT (TRANSFORMATION), 1,2 MILLION D’EUROS HT (NOUVEAUX LOGEMENTS)
Date de livraison : 2016
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Maîtres d'ouvrages : Institut Mines-TélécomMaîtres d'oeuvres… [...] |
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Maîtres d'ouvrages : CDC Habitat Maîtres d'oeuvres : Vincen Cornu,… [...] |
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Maîtres d'ouvrages : communauté d’agglomération du Pays de Saint-Omer Maîtres… [...] |
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Maîtres d'ouvrages : Maisons-Alfort Habitat ; cogestionnaire : CoalliaMaîtres d'oeuvres… [...] |
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Maîtres d'ouvrages : commune de GuécélardMaîtres d'oeuvres : mandataire :… [...] |
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