Transformation de bureaux en logements sociaux, Charenton-le-Pont

Architecte : Moatti Rivière
Rédigé par Maryse QUINTON
Publié le 10/09/2016

Comme en témoigne le dossier de ce numéro, les bureaux vacants sont pléthores, particulièrement en Île-de-France. Non que l’offre soit tant disproportionnée par rapport à la demande, mais que l’obsolescence du parc existant le rend impropre aux nouvelles exigences. Ainsi, le 72-76, quai des Carrières à Charenton-le-Pont (94) était vide depuis plusieurs années. Il vient d’être transformé en logements sociaux par l’agence Moatti Rivière avec le bailleur social Immobilière 3F. Un défi architectural, technique et financier qui illustre par l’exemple que la démolition-reconstruction n’est pas la voie unique pour régénérer la ville.



Des bâtiments tertiaires désertés à chaque coin de rue, un manque de logements qui ne cesse de s’accroître, une réserve foncière qui n’en finit pas de s’amenuiser… D’un bureau à un appartement, n’y aurait-il donc qu’un pas ? L’équation peut sembler simpliste, tous les bâtiments n’étant pas nécessairement de bons candidats à la métamorphose. Pour autant, encore que trop peu explorée en France, cette voie de la densification par la transformation de l’existant tente de faire son chemin et se concrétise désormais par l’exemple. Parce que les fondations et le gros Å“uvre sont responsables d’environ 70 % des émissions de gaz à effet de serre, ces opérations où l’essentiel est préservé s’inscrivent dans une logique durable qui prévaut sur tous les labels vertueux en matière d’écologie, malheureusement trop prisés des collectivités et des promoteurs. Face à ce constat et aux 4 millions de m2 de bureaux aujourd’hui vides en ÃŽle-de-France, Paris s’est même fixé un objectif de 250 000 m2 de logements issus de ces mutations programmatiques d’ici à 2020.

À Charenton-le-Pont, le 72-76, quai des Carrières ne présentait pas au premier abord les atouts requis pour une transformation réussie. Dressé au bord de l’A4, ce bâtiment conçu dans les années 1970 souffre d’un environnement acoustiquement hostile, de voisins trop proches et d’une façade sévère de 260 mètres de longueur qu’il fallait domestiquer. Mais le site possède néanmoins des atouts : proximité avec Paris, vues panoramiques sur la Seine et le paysage semi-industriel d’Ivry-sur-Seine, et épaisseur limitée à 12 mètres facilitant la mutation.


Équilibre financier complexe

À l’origine du projet, cet immeuble de bureaux de 9 500 m2 appartenant à BNP Paribas est, comme tant d’autres, largement vacant depuis plusieurs années. « Notre première réaction a été de mesurer la capacité de ce bâtiment à se transformer et de s’interroger sur la pertinence de construire du logement à cet endroit-là, explique Pierre Paulot, architecte de formation, directeur de l’architecture et du développement chez I3F. Le foncier à deux pas de Paris est toujours très difficile à trouver. Ces immeubles de bureaux, dans la mesure où ils ne répondent plus à leur fonction d’origine, ont un potentiel très intéressant pour nous bailleur social, mais ce sont des opérations très complexes à mener. Â»
Les difficultés majeures sont à la fois techniques et financières. Techniques, car transformer un bâtiment de bureaux en logements nécessite une bonne dose d’inventivité et d’intelligence architecturale pour arriver à un résultat qualitatif, qui dépasse la simple mutation fonctionnelle. Financières également, car dans le cas précis du logement social, la valeur foncière et immobilière d’un bâtiment existant reste trop élevée, comparativement à un terrain. « Les vendeurs ont toujours du mal à décoter la valeur d’un immeuble, et ce, malgré sa vacance. Ce sont des discussions complexes à mener afin de trouver le bon équilibre financier pour parvenir à sortir ces opérations, poursuit Pierre Paulot. Le vendeur préfère souvent garder la valeur haute d’un foncier construit plutôt que de le decoter, même si celui-ci est vide. Il doit accepter l’idée qu’il est obligé de diminuer la valeur de son bien pour que nous puissions le transformer à des coûts acceptables. D’autant plus que, dans ce type d’opération, le coût de construction n’est que légèrement inférieur à celui de neuf. Ici, nous avons construit à 1 436 euros par m2 de SU. Â»

Acheté 16,3 millions d’euros par I3F, le bâtiment comprend 7 000 m2 de bureaux transformés en 90 logements sociaux financés en PLS et 2 500 m2 de bureaux qui ont fait l’objet d’une rénovation tout en conservant leur fonction. L’opération propose une grande majorité de petits logements (34 T1, 44 T2, 8 T3, 2 T4 et 2 T5) pour répondre à un manque en la matière et parce que 3F ne ciblait pas un public familial à cet endroit. Les grands appartements sont d’ailleurs dédiés à la colocation.

Domestiquer la façade

Désigné à la suite d’une consultation en mars 2014, Alain Moatti s’est ici confronté pour la première fois à cette problématique de transformation de bureaux en logements. « Sur la rue, le bâtiment très typé années 1970 présente une certaine monumentalité architectonique. La question majeure était : comment domestiquer et humaniser cette façade répétitive ? Â» L’autre difficulté se trouve à l’arrière du bâtiment, étriqué, sombre, où il était nécessaire d’apporter de la lumière. Les façades ont simplement été nettoyées et les fenêtres déposées ; planchers et poteaux ont été conservés tout comme les noyaux de distribution, à l’exception de quelques ascenseurs qui ont été supprimés. « C’est une des complexités, précise Alain Moatti. En matière de sécurité, la réglementation diffère entre les bureaux et les logements. Il faut donc dessiner les appartements en fonction des noyaux existants. Â»
Côté quai, face à l’autoroute A4, l’architecte a créé une seconde façade, en retrait de 70 cm afin de domestiquer cette élévation austère en béton préfabriqué. Travaillé dans l’épaisseur, le dispositif imaginé par Alain Moatti permet ainsi d’offrir une nouvelle dimension au bâtiment, celle de l’intime, de l’individuel. Chaque appartement profite ainsi d’un espace intermédiaire, entre loggia et balcon, qui offre des cadrages sur le grand paysage, crée un sentiment d’intériorité et de mise à distance face au contexte particulièrement bruyant, mais aussi un lieu extérieur que chacun peut s’approprier librement. Contrastant avec la répétitivité massive de l’existant, cette seconde façade en béton architectonique est habillée en mélèze, renouvelant ainsi l’image du bâtiment. Exposée plein sud, la nouvelle façade en retrait transforme l’ancienne en brise-soleil. Un système de jardinières végétalisées dans les chambres et les salles de bains participe de cette domesticité recherchée et renoue avec l’échelle de la proximité sans tomber dans l’anecdote.

Côté cour, le patio existant laisse aujourd’hui place à un jardin modelé sur le parking, grâce un dispositif de terre allégée pour éviter la surcharge. Les façades sont habillées de bois, isolées par l’extérieur, agrémentées de terrasses au rez-de-chaussée et de balcons dans les étages. Dans les appartements, les prestations intérieures sont qualitatives. Les salles de bains sont éclairées naturellement, certaines chambres possèdent deux fenêtres, la hauteur sous plafond est généreuse (2,89 mètres) et les appartements sont équipés de triple vitrage répondant à la réglementation acoustique du neuf.

Encourager la transformation

Charenton-le-Pont est la première opération de cette envergure pour I3F, qui mène actuellement des projets similaires à Pantin, Montreuil et Saint-Denis. Des opportunités pas si simples à trouver. « Au-delà des équilibres financiers difficiles à trouver dans ces opérations, les élus ne sont pas toujours favorables à ce que des secteurs de bureaux se transforment en zones résidentielles, constate Pierre Paulot. Ils souhaitent conserver l’activité dans leur commune et ont parfois du mal à accepter ces transformations. Et n’oublions pas que tous les bâtiments ne sont pas adaptés à produire du logement qualitatif. Un immeuble trop épais engendre des coûts de transformation trop importants pour l’économie du logement social. Â»

Mais quid de la promotion privée ? Ici, la situation de transformation complexe avec laquelle Alain Moatti et Immobilière 3F ont su composer offre un résultat très convaincant, porteur de qualités spatiales et architecturales autrement plus riches et plus vertueuses que bien des opérations de démolition-reconstruction sans saveur. Ou comment prouver par l’exemple, à quelques semaines de l’ouverture de la Cop22, qu’il est urgent d’encourager la transformation du parc immobilier existant au travers d’une politique engagée qui dépasse les simples mesures incitatives.



Maîtres d'ouvrages : Immobilière 3F
Maîtres d'oeuvres : Agence Moatti-Rivière (architectes)
Programme : Transformation de 7000 m2 de bureaux en 90 logements sociaux + rénovation de 2 500 m2 de bureaux 
Surface SHON : 3 884 m2
Cout : 5,58 millions d'euros HT (travaux de construction = 630 000 euros HT pour le curage - désamiantage)
Date de livraison : livré

Transformation de bureaux en logements sociaux, Moatti-Rivière (Charenton-le-Pont)<br/> Crédit photo : DENANCÉ Michel Transformation de bureaux en logements sociaux, Moatti-Rivière (Charenton-le-Pont)<br/> Crédit photo : DENANCÉ Michel Transformation de bureaux en logements sociaux, Moatti-Rivière (Charenton-le-Pont)<br/> Crédit photo : DENANCÉ Michel

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