TYIN Tegnestue, l’acupuncture humanitaire

Architecte : TYIN Tegnestue, Andreas Grøntvedt Gjertsen et Yashar Hanstad
Rédigé par David LECLERC
Publié le 06/05/2011

L'histoire est suffisamment éloquente pour qu'on puisse la raconter comme un conte. Il était une fois deux étudiants en architecture, Andreas Grontverdt Gjertsen et Yashar Hanstad, de l'université de Trondheim (NTNU) en Norvège, qui s'ennuient durant leurs études et sont découragés par leurs premiers stages dans des agences d'architecture locales. Ils décident alors de faire quelque chose qui donne un sens à leur vie et à leur engagement professionnel.

Un de leurs compatriotes, qui s'occupe d'un orphelinat dans la jungle à la frontière entre la Thaïlande et la Birmanie, leur propose de venir travailler avec lui à l'amélioration des conditions de vie des enfants. Après avoir tenté sans succès de trouver des sponsors en interpellant dans la rue les habitants de leur ville natale, les deux étudiants se tournent vers des entreprises, et en particulier vers leurs confrères architectes. Résidant dans l'un des pays les plus riches du monde (en raison de la manne pétrolière), où les agences d'architecture sont prospères, ils n'ont aucun problème pour trouver les 7 500 dollars nécessaires au financement de leur voyage et de leur projet.

Une goutte d'eau dans l'océan
Cette première expérience donnera naissance à la formation d'une petite ONG architecturale dont le nom, TYIN Tegnestue, est emprunté au bateau sur lequel l'un d'eux vit et où ils se réunissent. Elle permettra également de tester une nouvelle manière d'envisager un projet humanitaire : son financement est assuré par la levée de fonds propres ; sa conception et sa construction s'appuient sur des contacts et des réseaux associatifs locaux. Très habile dans l'utilisation des moyens de communication modernes, TYIN fait partager son expérience sur le terrain et la réalisation de ses projets par l'intermédiaire d'un blog alimenté au jour le jour.
Les six petits pavillons, surnommés Soe Ker Tie House par les enfants de l'orphelinat en raison de leur toiture en forme de papillon, vont démontrer la capacité de TYIN à construire une architecture à l'écoute des besoins de ses commanditaires, à l'épreuve de la réalité du terrain, habile dans l'exploitation des modes de construction locaux et attentive aux questions environnementales et bioclimatiques.
Andreas et Yashar sont conscients que leur contribution n'est qu'une goutte d'eau dans l'océan des actions humanitaires. Ils sont pourtant convaincus que la qualité des échanges avec leurs interlocuteurs, l'intelligence de la méthode de travail et de l'architecture qui en résulte sont des éléments déterminants dans la prise de conscience par les populations auxquelles ils s'adressent de la nécessité de redevenir les acteurs de la transformation de leur environnement. C'est alors seulement que le projet peut être réellement considéré comme « durable » d'un point de vue social.

De la jungle à la ville
Vont suivre deux autres projets pour un orphelinat, dont l'un est une bibliothèque réalisée en collaboration avec Sami Rintala et ses étudiants (voir son Parcours au début de ce numéro). Les premiers projets de TYIN rencontrent un succès architectural et médiatique. Leur travail sera l'objet de nombreuses publications en 2008 et 2009 et d'une remarquable exposition à la villa Noailles à Hyères en 2010. Ce succès les a encouragés à continuer d'explorer cette manière de mener une action humanitaire. Leur dernière intervention dans les bidonvilles de Bangkok, qui s'est achevée il y a à peine un mois, a nécessité plus d'un an de préparation en collaboration avec une architecte thaïlandaise de l'agence CASE (Community Architects for Shelter and Environment) de Bangkok. Kasama Yamtree connaît bien les problèmes urbains et sociaux du quartier de Khlong Toei, sur lequel elle travaille depuis plusieurs années avec ses étudiants. Elle a servi d'intermédiaire et a joué un rôle essentiel pour comprendre les enjeux locaux et faire connaître l'équipe norvégienne à ses habitants. Au cours de l'été 2010, deux stagiaires de TYIN ont produit un rapport détaillé, en suivant un protocole en cinq étapes, afin d'identifier des sites susceptibles de faire l'objet d'une intervention construite : interviews pour cerner le profil des habitants du quartier et leurs désirs pour l'avenir ; workshop pour comprendre les modes de vie et les pratiques de l'espace public ; identification des espaces les plus fréquentés et qui ont un impact sur la vie de la communauté. Des activités in situ avec les enfants du quartier ont eu pour but d'entamer symboliquement un processus de transformation de ces espaces en les nettoyant, puis en construisant quelques éléments de mobilier.

Construire en trois semaines
Dans la foulée, TYIN organise un workshop à l'université des arts de Berlin en décembre 2010. Il rassemble douze étudiants allemands qui participeront à la construction du projet de Bangkok pour les préparer aux enjeux et aux difficultés de ce type de réalisation. Le workshop donne lieu à la construction d'un pavillon d'exposition démontable. Le groupe sera rejoint par sept étudiants thaïlandais de l'université de Thammasat, à Bangkok, et par plusieurs étudiants norvégiens. Le site finalement retenu est un terrain utilisé comme aire de jeux pour les enfants. En dépit des grillages qui en limitent l'accès, il est devenu un dépotoir à ordures et un repère pour les dealers de drogue. L'objectif est de le requalifier pour qu'il puisse continuer à servir de terrain de jeux mais devenir aussi un lieu de rencontre pour les habitants du quartier. Le projet est dessiné et construit en trois semaines durant lesquelles de nombreux échanges se poursuivent avec les habitants.
Pour conserver l'aire de jeux, l'espace constructible est limité à une bande de 12 mètres par 1,2 mètre, située en bordure d'une petite venelle. La mauvaise qualité du sol nécessite la construction d'un socle en béton afin de répartir le poids du bâtiment. La structure répétitive en bois, simplement recouverte d'une toiture légère en tôle ondulée, définit une épaisseur spatiale qui agit comme un filtre. Elle permet également d'accueillir différentes fonctions : un nouveau panier de basketball, une scène pour des représentations ou des discours, des espaces où l'on peut s'asseoir pour discuter ou dans lesquels on peut grimper. La rationalité constructive de la structure est tempérée par les motifs décoratifs des éléments de garde-corps réalisés en fer forgé par un ferronnier du quartier et peints de couleur vive. L'ingéniosité dans l'utilisation des matériaux locaux et dans leur mise en œuvre « avec les moyens du bord » produit une architecture généreuse et poétique, facilement appropriable, qui peut évoluer dans le temps en fonction des besoins des habitants du quartier et devenir le support d'une nouvelle identité sociale.



Maîtres d'ouvrages : Khlong Toei Community
Maîtres d'oeuvres : TYIN Tegnestue avec les étudiants et les habitants du quartier de Klong Toey. Architectes : Andreas Grøntvedt Gjertsen et Yashar Hanstad, J.-F. Fischer, K. Markus, C. Carvalho, I. Correia, M. Johander, S. Louati, P. la Tourelle, N. Müller, P. Buske, T. Daeuwel, J. Drechsler, L. Gothling, A. Hansen, A. Hermann, K. Naraghi, A. Neumer, N. Oehlmann, F. Wolf
Cout : 4 500 euros
Date de livraison : avril 2011

Le projet de "lanterne", terminé après trois semaines de travail<br/> Crédit photo : TYIN Architectes L'aire de jeux avant l'intervention<br/> Crédit photo : TYIN Architectes La venelle s'était transformée en dépotoir<br/> Crédit photo : TYIN Architectes L'épaisseur construite entre la venelle et l'aire de jeux accueille différents espaces de rencontre<br/> Crédit photo : TYIN Architectes La structure vue à travers la nouvelle palissade<br/> Crédit photo : TYIN Architectes L'intervention des architectes <br/> Crédit photo : DR  L'intervention des architectes <br/> Crédit photo : DR  Les enfants prennent possession des lieux <br/> Crédit photo : TYIN Architectes Les travaux commencent avec l'aide des habitants <br/> Crédit photo : DR  Les travaux commencent avec l'aide des habitants <br/> Crédit photo : DR

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