Un mur vert de 150 mètres. Extension du musée San Telmo, San Sebastián

Architecte : Fuensanta Nieto et Enrique Sobejano
Rédigé par Doris KLEILEIN
Publié le 04/04/2012

Avec la rénovation et l'extension du musée San Telmo de San Sebastián, le cabinet d'architectes Nieto Sobejano a relevé le défi d'un espace exigu en assumant une destruction partielle. Le nouveau bâtiment s'impose comme un véritable succès, à la frontière entre architecture et aménagement du paysage.

Avec la rénovation et l'extension du musée San Telmo de San Sebastián, le cabinet d'architectes Nieto-Sobejano a relevé le défi d'un espace exigu en assumant une destruction partielle. Le nouveau bâtiment s'impose comme un véritable succès, à la frontière entre architecture et aménagement du paysage.

Le nouveau San Telmo Museoa (STM) a été l'un des projets phares présentés par la Ville de San Sebastián pour concourir au titre de capitale européenne de la culture 2016. La traditionnelle station balnéaire du pays basque espagnol vient de vivre une décennie de modernisation. À la différence de Bilbao, située à seulement une heure de route, San Sebastián a davantage misé sur des revalorisations ponctuelles que sur des opérations spectaculaires. Après la création de pistes cyclables et le réaménagement de la zone côtière autour du mont Urgull, les environs du musée se présentaient dès le printemps dernier comme le reflet fidèle des documents de promotion de la Ville, où joggers et cyclistes disposent de tout l'espace nécessaire. Longeant, en bord de mer, la célèbre promenade de la Concha, ils peuvent contourner la montagne jusqu'à la nouvelle plage de La Zurriola, où s'élève depuis 2000 l'auditorium Kursaal signé Rafael Moneo. Avec le quartier rénové de Gros, ce complexe offre un décor parfait aux nombreux surfeurs qui profitent des vagues de l'Atlantique.


OÙ SONT LES 5 000 MÈTRES CARRÉS D'EXTENSION ?

Accessible à pied depuis les plages, situé au pied du mont Urgull et de sa végétation luxuriante, le nouveau STM a rouvert ses portes en avril 2011 après cinq ans de travaux et un investissement de 17 millions d'euros. Inaugurée en 1902 en tant que premier musée du Pays basque, l'institution s'est installée en 1932 dans l'ancien couvent dominicain San Telmo. Alors inoccupé, il est affecté à cette nouvelle fonction comme nombre d'édifices religieux espagnols au début des années trente. À la faveur des dernières transformations, le musée a été entièrement repensé.

Dans les bâtiments existants, qui remontent pour les plus anciens au XVIe siècle, rénovation et restauration étaient nécessaires. On manquait d'espace pour les expositions temporaires et la Direction souhaitait également élargir les fonctions de l'établissement. Il s'agissait de transformer un musée municipal et régional quelque peu assoupi, simple accumulation d'œuvres d'art et d'objets archéologiques et historiques, en une institution ouverte, reflet de la société basque. Ayant remporté le concours en 2005, Fuensanta Nieto et Enrique Sobejano ont si habilement intégré le nouveau bâtiment à la topographie locale qu'en arrivant Plaza Zuolaga, le visiteur se demande où peuvent bien se cacher les 5 000 mètres carrés supplémentaires. Sont-ils vraiment contenus dans l'étroit espace séparant le couvent de la montagne ? Quelle partie a réellement fait l'objet d'une extension ? La place, la montagne ou le musée lui-même ?

Comme l'explique Enrique Sobejano, c'est précisément cette « frontière » entre nature et architecture qui a été au centre du projet. Le nouveau bâtiment se détache nettement de la construction existante et offre une sorte de socle à la montagne. Il intègre en outre un large escalier extérieur qui invite le visiteur à monter sur le grand toit en terrasse, d'où l'on peut embrasser du regard la ville et la mer.


SINGULIÈRE FAÇADE AVEUGLE

La situation de l'entrée présente deux particularités qui confèrent à l'ensemble toute sa force : d'une part, l'étroitesse de l'es-pace ménagé par les architectes entre le nouvel édifice et le bâti existant ; de l'autre, l'absence de parti pris idéologique dans le traitement de l'ancien édifice. Construit dans les années trente en guise d'entrée par Juan Alday et Francisco Urcola, le corps de bâtiment attenant au cloître a été conservé, avec la symétrie de sa façade néo-Renaissance donnant sur la place. Nieto-Sobejano lui a simplement retiré sa fonction par quelques artifices esthétiques.

C'est par le nouvel édifice qu'on accède désormais au musée, les fenêtres du bâtiment des années trente ayant été remplacées par des vitrages fixes, obturés par des stores. L'intérieur de l'ancien bâtiment abrite aujourd'hui la collection d'art basque, dont les œuvres du sculpteur Eduardo Chillida, le plus célèbre des artistes de San Sebastián.

Le caractère aveugle de l'ensemble ne peut échapper au visiteur attentif qui se trouve ainsi confronté au nouvel ensemble, dont la présentation se poursuit dans la nef de l'ancienne église : on y revient sur l'his-toire des lieux et de leurs transformations successives. Les architectes n'ont pas hésité en revanche à détruire la partie qui fermait le côté ouest de l'ancienne construction des années trente afin de pouvoir décliner sur 150 mètres leur idée de « mur vivant ».


LA MONTAGNE IMPOSE SA PRÉSENCE

Les espaces fonctionnels du nouveau musée ont été logés le long de la montagne. Bordant la Plaza Zuolaga au nord, les deux niveaux presque entièrement fermés du bâtiment se glissent derrière l'ancien musée, leur volume se resserrant pour former avec lui une cour intérieure et s'ouvrant pour accueillir, au fond de l'édifice, les salles tout en longueur destinées aux expositions temporaires. L'étage est quant à lui occupé par les collections permanentes et les espaces administratifs.

L'étroitesse de l'espace marque de nombreuses parties du bâtiment, en particulier dans la nouvelle cour intérieure et dans le défilé qui sépare nef et extension moderne. On peut y voir un rappel des ruelles de la vieille ville, mais il serait plus judicieux de dire que les architectes ont épuisé les potentialités des lieux pour créer une grande diversité d'espaces et renforcer la présence du mont Urgull dans le paysage urbain.


TERRAZZO ET IROKO

Les plans montrent les 11 000 mètres carrés dont dispose à présent le nouveau musée. Ses galeries ayant été fermées par des vitrages afin d'agrandir les surfaces d'exposition du premier étage, le cloître restauré communique avec les espaces épurés de l'extension moderne, aux murs en béton apparent de teinte claire et aux sols en terrazzo. À la nef haute de 16 mètres, qu'ornent les peintures murales restaurées de José María Sert, répondent les salles de conférences et la bibliothèque, situées près de la nouvelle entrée. On peut regretter l'utilisation d'iroko brun jaune pour les portes et les escaliers des anciens bâtiments. Leur rénovation, où le souci du détail le dispute au choix attentif des matières, se serait sans doute mieux accommodée d'une essence locale plutôt que d'un bois tropical importé d'Afrique.

Consacré aux divers aspects de la société basque, le circuit de l'exposition permanente conduit le visiteur à passer alternativement de l'extension à l'ancien édifice. L'architecture est d'autant plus éloquente que l'espace y est perceptible, comme autour du nouvel escalier de la tour. À d'autres endroits, telle la section « Traces du souvenir » présentée dans l'ancienne entrée, la salle est plongée dans l'obscurité et à ce point saturée d'écrans et de projections que l'espace en est esca-moté, une concession à la mode internationale du multimédia que le musée aurait pu s'épargner. On aurait dû davantage faire confiance à l'architecture et s'en remettre à Nieto-Sobejano pour la mise en scène de l'exposition.


LE « MUR VERT »

La façade (voir l'encadré page 83) impose également sa présence dans les espaces intérieurs. Elle ajoute aux murs porteurs une épaisseur supplémentaire de plus de 30 centimètres et leur accorde ainsi les proportions de ceux de l'ancienne église. Ce caractère massif illusoire est interrompu à plusieurs reprises par des cloisons vitrées occupant toute la hauteur des salles et révélant ce que « cachent » les plaques de béton. Vue du dehors, la façade anime le nouveau bâtiment, le reliant à la nature ou à la ville en fonction de l'heure et des conditions météorologiques. La journée, elle se présente tel un jardin minéral à la disposition savamment étudiée, lichens et mousses y proliférant comme pour prolonger le mont Urgull. À la tombée du jour, les plantes s'effacent et les lumières intérieures donnent à la façade les tons jaune-orangé de l'éclairage urbain et du Kursaal voisin.


ENTRETIEN AVEC ENRIQUE SOBEJANO

Doris Kleilein et Niels Balhausen : Vous avez baptisé « mur vert » l'extension du musée. Quel a été votre fil conducteur, l'aménagement du paysage ou l'architecture ?
Enrique Sobejano : Une combinaison des deux. Tout l'intérêt du site tient au fait qu'il constitue un point de rencontre entre la nature, la ville du XIXe siècle et la cité moderne. Nous avons considéré qu'il fallait préserver ce caractère de zone frontalière. Notre « mur » ne marque pas seulement une limite, il se déploie et acquiert une valeur spatiale. Nous voulions aussi opérer un croisement avec la végétation de la montagne, lui offrir presque naturellement une surface accrue. D'une certaine manière, nous avons opéré une extension de la montagne et non du musée.

DK & NB : Le « mur » est donc colonisé par la végétation ?

ES : Non. Nous avons d'abord pensé à concevoir un jardin vertical, comme celui de la Caixa Forum d'Herzog et de Meuron à Madrid. Mais, au-delà du vert, nous attachions également de l'importance aux proportions. Nous avions pour objectif de les rompre. Perforations et touches de verdure sont disposées de manière à réduire optiquement la masse de l'ensemble.

DK
& NB : Le bâtiment ménage une série d'espaces ouverts. Était-ce prévu par le cahier des charges ?
ES : Un escalier datant des années quarante conduisait au sommet du mont Urgull. Pour tenir compte de cet élément, nous avons proposé une extension ayant davantage la forme d'un nouvel escalier et d'une terrasse avec vue sur mer que celle d'un bâtiment.
DK & NB : Le musée San Telmo occupe un couvent de la Renaissance agrandi à plusieurs reprises. Vous avez choisi de détruire l'extrémité ouest du bâtiment. Pourquoi ?
ES : Nous devions supprimer entièrement cette extension des années trente qui perturbait la vue sur l'église depuis la place. Si nous avons conservé l'église, c'est comme point de repère et non en raison de ses qualités architecturales.

DK & NB : Avez-vous hésité ? Comment décidez-vous ce qui doit être conservé ?
ES : Vous me demandez quelle est notre méthode ? Nous n'en avons pas. Nous nous efforçons de comprendre à quels principes obéit le bâtiment et concevons son extension selon un vocabulaire contemporain qui doit devenir partie intégrante du processus de transformation.


DK & NB : Vous n'en êtes pas à votre première expérience avec des édifices historiques. En 2004, vous avez déclaré, à propos de la transformation du Castillo de la Luz : « Nous n'avons pas reconstruit le bâtiment, nous l'avons vidé. »
ES : Ce château imposant n'était au départ qu'une petite forteresse. Sur les plans d'origine, on voit distinctement que la surface de 1483 a été agrandie à peine cinquante ans plus tard par la construction d'une nouvelle enceinte. On a comblé l'espace intermédiaire avec du sable, et l'ensemble est resté en l'état pendant cinq siècles. Nous avons ensuite ôté ce sable… C'était une particularité de ce projet.
Mais il en va de même dans toutes les transformations : plus on fait disparaître de choses, plus on révèle le passé.


LE « MUR VERT »

Les ouvertures ovales de la façade semblent disposées au hasard et certaines d'entre elles abritent lichens, mousses et autres plantes propres à la Costa Verde. C'est l'environnement qui a inspiré ce motif aux architectes. Sur les versants abrupts du mont Urgull se trouvent des portions de falaise parsemées d'orifices creusés par le vent et l'eau et colonisés par les végétaux. Mais comme à chaque fois que l'architecture imite la nature, procédé et résultat doivent être calculés au plus juste. Conçue en collaboration avec les artistes basques Leopoldo Ferrán et Agustina Otero, la façade comporte près de 3 000 plaques rectangulaires de 180 cm sur 60 cm. L'ensemble associe quatre types de plaques. Percées d'un nombre variable d'ouvertures, elles peuvent se combiner à volonté, tant verticalement qu'horizontalement. Des plaques sans ouverture complètent l'ensemble. Coulées en aluminium de 6 mm à 8 mm d'épaisseur, les plaques présentent une surface sans la moindre irrégularité. « Afin de créer une façade vivante, nous avons recherché un matériau qui soit non pas industriel mais fabriqué de manière artisanale », précise Enrique Sobejano.



Maître d'ouvrage :  ville de San Sebastian

Maîtres d'oeuvres : Fuensanta Nieto et Enrique Sobejano
Entreprises : NB 35 S.L. (ingénierie structurale)
Surface SHON :  5000 m d'extension
Cout :  17 M €
Date de livraison : avril 2011

Extension du musée San Telmo, San Sebastián L'entrée de la Plaza Zuolaga. <br/> Crédit photo : ALDA Fernando Plan rdc © Fuensanta Nieto et Enrique Sobejano<br/> Crédit photo : DR  Plan r+1 © Fuensanta Nieto et Enrique Sobejano<br/> Crédit photo : DR  Plan r+2 © Fuensanta Nieto et Enrique Sobejano<br/> Crédit photo : DR  Plan r+3 © Fuensanta Nieto et Enrique Sobejano<br/> Crédit photo : DR  Coupe © Fuensanta Nieto et Enrique Sobejano<br/> Crédit photo : DR  Coupe © Fuensanta Nieto et Enrique Sobejano<br/> Crédit photo : DR  Coupe © Fuensanta Nieto et Enrique Sobejano<br/> Crédit photo : DR  Aux heures d'ouverture, ses panneaux pivotent perpendiculairement<br/> Crédit photo : HALBE  Roland Extension du musée San Telmo, San Sebastián<br/> Crédit photo : HALBE  Roland La rugosité des éléments en fonte d'aluminium moulé. <br/> Crédit photo : ALDA Fernando Le nouvel escalier en bois pour accéder au cloître.<br/> Crédit photo : ALDA Fernando Extension du musée San Telmo, San Sebastián<br/> Crédit photo : HALBE  Roland Le cloître Le "mur vert" Jeux de lumière à travers les panneaux d'alluminium Extension du musée San Telmo, San Sebastián Extension du musée San Telmo, San Sebastián Vue du hall d'entrée depuis la mezzanine vers la bibliothèque Le "mur vert"

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