OAB Carlos Ferrater : une ville mondialisée |
Dans
la plaine du Var – une vaste zone agricole en déshérence, où ont été exilés
les grands équipements qu’une ville prisonnière de son cirque de collines ne pouvait
plus absorber : centres commerciaux, logements sociaux, cité
administrative, stades, nécropole… – il s’agit maintenant de créer du lien
et de générer de l’urbanité. Un excellent terrain d’expériences pour appréhender
quelques-unes des manières d’anticiper la ville de demain… |
La plaine du Var : une vaste zone
au centre de laquelle le fleuve du département voisin, tumultueux et
imprévisible, divague dans son lit jonché de galets. Autour de lui, deux
grandes bandes agricoles délimitées par des collines souvent couronnées de
villages fortifiés. Un thalweg, sur la rive gauche duquel se sont naturellement
immiscées les infrastructures de transport – routes, autoroutes, voies
ferrées – nécessaires aux liaisons entre Nice et son arrière-pays.
La plaine s’est peu à peu urbanisée le
long de ces grands axes de communication sur des terres agricoles en
déshérence : d’abord des centres commerciaux, une cité administrative, des
logements sociaux, des équipements sportifs (notamment l’Allianz Riviera),
tout ce dont la ville ne voulait plus… Et maintenant, un projet d’éco-vallée lancé par des édiles locaux rêvant d’une
métropole à l’échelle du département et reliant une côte presque exclusivement
urbanisée de Menton à Cannes aux contreforts des Alpes, au parc du
Mercantour et aux stations de ski. Directement desservie par l’aéroport
international Nice Côte d’Azur, le troisième de France après Roissy et Orly, cette
ville territoire articulera la mer à la montagne. Au sud, la nouvelle gare TGV doublée
d’une gare routière viendra directement se connecter à l’aéroport. Et dans la zone
médiane qui nous intéresse, une technopole captera à la source les flux de
population générés par ce nouveau hub.
Casting
Le plan de Christian Devillers sait
prudemment suivre les lignes et les bandes déjà présentes sur le site et vient
créer des transversales pour insérer dans une maille orthonormée les objets
célibataires qui y ont été jetés au gré des opportunités, comme le Palais Nikaia,
une salle de spectacle de 9 000 places. Son plan du macrolot Nice
Méridia, cœur du nouveau quartier, a été suivi et librement réinterprété par
les équipes en lice. Il prévoyait notamment une tour emblématique donnant sur l’avenue
Simone-Veil et la ligne 3 du tramway – remontant la vallée de l’aéroport
au centre commercial de Lingostière – ainsi qu’un espace public aux
proportions semblables à celles de la célèbre place Garibaldi du centre-ville.
Au-dessus d’un parking souterrain d’environ 1 200 places – dont 700 mutualisées et
accessibles au public – devront ainsi s’élever 800 logements, des
équipements hôteliers et para-hôteliers, des commerces, des services de
proximité et des bureaux…
Les perspectives, les films et les
PowerPoint des concurrents nous montrent des palmiers, des parasols, des tables
de restaurants sous les arcades, des barbus (hipsters pas islamiques), des femmes
de 30 ans délicatement bronzées hissées sur de hauts talons, des enfants
blonds, des joggeurs : Nice telle que la rêvent les politiques et les
investisseurs. Mais derrière ces images conventionnelles se déploient des
stratégies urbaines qu’il nous faut décrypter. Elles sont d’abord portées par
des castings. Ces listes de noms qui racontent une histoire, comme un film que
l’on a envie de voir et que l’on imagine déjà rien qu’en découvrant le choix de
ses acteurs.
Pour les lauréats : ce sera ainsi
un listing de jeunes professionnels – niçois, italiens ou parisiens –
réunis autour de la personnalité charismatique de Sou Fujimoto et encadrés par
les très consensuels Lambert Lénack. Portzamparc au contraire a préféré sélectionner
des personnalités plus matures aux écritures très marquées – que ce soient
Aires Mateus, MAD, ECDM, Fernandez & Serres ou CAB… – pour
obtenir une diversité formelle maximale. Le Barcelonais Carlos Ferrater s’est appuyé
sur des agences locales pour mieux ancrer dans le contexte son autre manière de
penser la ville. Quant à Finn Geipel, il a su s’entourer d’une équipe très
cohérente d’architectes français de la génération montante – notamment
Franklin Azzi, Muoto et OXO – en phase avec les principes qu’il développe.
L’EXCEPTION
ET LA RÈGLE (lauréat)
Maîtres
d’ouvrage : Pitch Promotion, promoteur mandataire / Eiffage Immobilier/
SODES Gestion des espaces commerciaux
Maîtres
d’œuvre : Lambert Lénack (coordonnateurs) / Sou Fujimoto / Chartier Dalix
/ Laisné-Roussel / Cino Zucchi / Anouk Matecki / Carta associés
Alain
Faragou (paysagiste) / Carsten Höller (artiste)
Lambert et Lénack ont d’abord défini
un épannelage. Des immeubles de six étages entoureront ainsi la place prévue
par Christian Devillers pour obtenir une architecture horizontale aux
proportions comparables à celle du centre-ville. Tandis que les hauteurs se libéreront
sur l’avenue Simone-Veil, afin de laisser libre cours à une architecture plus
verticale à l’échelle du territoire. Puis ils se sont penchés sur les sols, en
prescrivant des espaces publics minéraux et une végétation dense pour les cœurs
d’îlots ouverts. Quant aux toitures-terrasses autour de la place et de ses
environs – fédérées par les passerelles lumineuses de l’artiste allemand Carsten
Höller –, elles seront dédiées à l’agriculture urbaine.
Les murs percés de fenêtres ont été
prohibés au profit de loggias largement ouvertes sur la ville pour assurer les relations
les plus fluides entre intérieur et extérieur. Chaque équipe a ensuite défini
son propre dispositif de filtrage, des moucharabiehs revisités pour Roland
Carta, de grands stores rouges pour Chartier Dalix, etc. Enfin, après les volumes,
les sols et les murs, une réflexion sur le programme. La place centrale est
ainsi dotée une « Cité du bien-être » où, autour d’un patio à la
végétation luxuriante, se distribuent et se superposent des terrains de sport
ouverts sur l’extérieur. Leurs doubles hauteurs accordent à l’édifice conçu par
Laisné-Roussel une monumentalité à la fois discrète et bienvenue.
Moins contraint, le projet de Sou Fujimoto
s’inscrit à l’angle sud de l’opération, dans sa zone de visibilité maximale,
pour développer une architecture qui s’affirme comme l’enseigne de l’opération.
De vastes balcons continus et organiques se déploient ainsi autour du haut
noyau de logements. Ils sont suspendus par des tirants à des poutres inversées
invisibles, ce qui accentue une impression de flottement et de flou. Percés de
trous circulaires ou amiboïdes, parfois striés de claires-voies, ils
parviennent à donner un effet de canopée étendant son ombre douce sur l’avenue.
Comme si le Japonais était condamné à décliner à l’infini sa folie
montpelliéraine, l’Arbre blanc hérissé de balcons et de pergolas.
EXTRA-ORDINAIRE
Maîtres
d’ouvrage : Bouygues Immobilier /
BNP Paribas Immobilier
Maîtres
d’œuvre : Christian de Portzamparc
(coordonnateur) / Alfonso Femia /
Atelier Aires Mateus / MAD Architects / ECDM / Agence Comte & Vollenweider
/ Fernandez & Serres / CAB Architectes / Jean-Paul Gomis
Jean Mus & Compagnie (paysagiste)
Pour Christian de Portzamparc, il
s’agissait d’imaginer un fragment de ville bigarrée en poussant chaque
architecte à être lui-même, tout en l’orientant pour conjurer le risque d’une
collection d’objets célibataires.
Le plan de Christian Devillers a d’abord
été scrupuleusement respecté. Complété par d’autres règles, comme celle de
respecter l’alignement des rues de manière à obtenir des murs lisses délimitant
sans ambiguïté un espace public matriciel. Déhanchements et porte-à -faux ont a priori
été réservés aux intérieurs d’îlots, afin de promouvoir des compositions
sculpturales comme coupées au couteau pour être insérées par effraction dans la
trame urbaine.
Premier arrivé, le projet d’ECDM
domine la place centrale – son écriture balnéaire semble renvoyer aux
projets des années 1980 d’Arquitectonica à Miami – et donne le ton. À
partir de lui, chacun a donné libre cours à son désir d’architecture, des
propositions qui ont été ensuite amendées pour obtenir un jeu clair de
similitudes et de contrastes. Ainsi Portzamparc s’est adapté à la tour célibataire
de Yansong Ma en proposant une construction jumelle qui permet son intégration
à l’ensemble. Alors que l’immeuble de Fernandez & Serres, un temps tramé
comme son voisin, a ensuite été revêtu d’une mantille pour s’en différencier.
Au final : un espace conçu pour
le piéton qui sait être enveloppant tout en ménageant des ruptures et des respirations,
comme la grande fenêtre urbaine de l’immeuble fermant la place. Un contexte dans
lequel les frères Aires Mateus semblent s’être beaucoup amusés en
dessinant trois blocs aux façades concaves qui étreignent le vide au-devant d’elles
de manière à tenter de lui accorder une consistance. Un dispositif qui rappelle
les immeubles baroques de la place Saint-Ignace-de-Loyola à Rome, réalisés par Filippo
Raguzzini (1680-1771). Tramé, vrillé, voilé ou creusé, chaque bâtiment s’est
ainsi donné comme un personnage prêt à jouer son rôle dans cette comédie
immobile…
VILLE
MONDIALISÉE
Maîtres
d’ouvrage : Linkcity / Icade
Maîtres
d’œuvre : OAB Carlos Ferrater (coordonnateur)
/ Dumetier Design / PeñÃn Arquitectos /
In Situ / Février Carré / Marin Architectes / Petitdidier Prioux / Martin
Duplantier
Anouk Debarre (paysagiste)
Carlos Ferrater opère d’abord une
relecture du plan de Christian Devillers dans lequel il retrouve, en bon Méditerranéen,
le forum à l’angle du cardo et du decumanus, les axes primaires orientés
respectivement nord/sud et est/ouest de la ville romaine. Sur cette trame vient
ensuite se superposer une promenade en U qui part de l’avenue vers la
place et retourne vers l’avenue. Elle renvoie aux traditions du Sud, notamment
la passeggiata italienne qui consiste à arpenter les axes piétons en fin d’après-midi,
ou aux promenades espagnoles sur les ramblas et autres paseos. Elle détermine
les rez-de-chaussée qui se creusent d’arcades de différentes hauteurs pour
protéger les promeneurs du soleil et de la pluie.
Toutes les façades se constituent
ensuite comme des variations sur la trame – orthogonale ou en quinconce –
et déterminent des constructions génériques. Des constructions très homogènes
qui peuvent indifféremment abriter toutes sortes de programmes – ainsi l’immeuble
dominant la place recèle-t-il un théâtre – et qui mettent en pratique les
analyses de Rem Koolhaas sur le Manhattan Athletic club ou le Rockefeller Center
de New York. Ces grilles épaisses sont formées de loggias qui se
constituent comme autant de tampons thermiques isolant les logements de l’extérieur.
Mais le plus intéressant reste la
manière dont sont gérés les immeubles hauts. Ils ne forment pas un alignement
perpendiculaire à l’avenue, comme chez Portzamparc, ni ne se massent contre
elle, comme chez Lambert Lénack. Ils sont comme extrudés aléatoirement de la
stricte organisation urbaine pour permettre l’émergence d’arrière-plans, comme
ces montagnes toujours visibles des rues de Nice qui permettent une présence du
lointain au cœur du proche.
À cela s’ajoute le couronnement
lumineux de la tour principale en porte-à -faux, dessinée par Carlos Ferrater
lui-même. Il renvoie aux sommets-lanternes des gratte-ciel des mégapoles
américaines ou asiatiques. Un élément allogène bienvenu dans une ville qui,
plus que toutes autres, trouve son identité dans des apports étrangers : que
ce soit son acropole grecque, ses thermes romains, son église russe, ses places
turinoises ou sa promenade des Anglais.
ARCHITECTURE
BIO
Maîtres
d’ouvrage : Nexity / Roxim / Kalelithos
Maîtres
d’œuvre : LIN Finn Geipel (coordonnateur)
/ Franklin Azzi & Chi&Ro /
Muoto / Architectes Singuliers / Search & Atelier du port / OXO
L’équipe réunie autour de Finn Geipel
part d’un système d’îlots fermés homogènes. Des îlots bioclimatiques rafraîchis
par des cours intérieures qui savent développer leur propre ambiance en
complément de celle de la rue. Ces constructions R+8 sont en moyenne légèrement
plus hautes que celles des concurrents, pour obtenir l’inertie nécessaire à une
bonne autorégulation thermique que les émergences, plus rares et rejetées à la
périphérie de l’opération, ne parviennent pas à perturber. Un dispositif qui
permet une claire différenciation des espaces publics et semi-publics et qui
renforce la lecture du système viaire : les perspectives des deux axes
importants est/ouest et sud/nord étant soulignées par ces constructions plus
hautes. Des arcades viennent compléter le dispositif urbain primaire en
dilatant la rue sous les immeubles et en introduisant aux traversées des cours
plantées. Tandis que les façades sont traitées de manière homogène : des
trames très déliées, creusées de loggias au sud et protégées par des stores à l’est
et à l’ouest. Une réponse qui ne fige pas les espaces intérieurs et qui reste
ouverte à toutes formes de flexibilité programmatique…
Venons-en justement au programme
– outre les inévitables commerces et restaurants en rez-de-chaussée et les
fermes urbaines en toitures –, il comporte deux éléments remarquables. Une
maison du corps – conçue par Franklin Azzi et Chi&Ro – qui
reprend la thématique du Nuage réalisé par Philippe Starck à Montpellier, et
fonctionne sur l’avenue Simone-Veil comme un clip vantant les qualités de vie
portées par l’opération immobilière. Mais surtout un parking silo dessiné par
Muoto qui vient en complément des places enterrées pour explorer de nouveaux
rapports, plus ludiques et distancés, à l’automobile et aux autres moyens de
locomotion.
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