Christine & Michel Pena

Rédigé par Françoise ARNOLD
Publié le 03/11/2003

Portrait

Article paru dans d'A n°133

Paysagistes emblématiques de leur génération, Christine et Michel Pena travaillent à toutes les échelles urbaines et tentent de s'inscrire dans une sorte de résistance discrète à la normalisation esthétique.

Très classiquement, ils se sont connus à l'école de Versailles-l'ENSP. Au tournant des années 80, à quinze par « promo », ils ne pouvaient pas se rater. Christine venait de biologie, Michel venait de mettre un terme à ses études d'architecture à Bordeaux. Il cherchait un métier qui offre « une relation sensible au monde, un rapport qui ne soit pas seulement utilitaire ». La découverte fut un éblouissement. Encore aujourd'hui, avec une agence de douze personnes, dont un ingénieur économiste, des journées très occupées, la pratique d'agence ne lui pèse pas. « On a de moins en moins de temps pour rêver, reconnaît-il, les moments que l'on peut consacrer à la conception n'en sont que plus denses. » L'énergie de Michel semble inépuisable et doit faire merveille sur les chantiers. Christine décide par moments qu'il est temps de prendre la parole et présente ses projets, puisqu'ils font « projet à part » : elle a choisi depuis quelques années de se consacrer aux jardins de la promotion privée, qui lui apparaissent comme une terre de liberté. Elle crée des ambiances étonnantes, luxuriantes, en plein Paris : un jardin méditerranéen, un jardin tropical très dense, un verger sur des terrasses en gabions… Michel se tourne davantage vers la commande publique, à toutes les échelles. Tous deux, quarante-cinq et quarante-huit ans, ont été formés sous la houlette de Michel Corajoud. Avec le temps, ils ont su se souvenir des autres voix de l'école, celles de Bernard Lassus et de Gilles Clément. Ils se sentent à présent héritiers de ces fortes personnalités. Ils ont continué leur formation sur le tas à la dimension urbaine et aux terminologies arides de l'urbanisme opérationnel, mais sans revendiquer le statut d'urbaniste. Ils laissent à d'autres le soin de répartir la Shon, à Bruno Fortier, Patrick Céleste ou Christian de Portzamparc par exemple, avec lesquels ils travaillent le plus. Ils estiment que leur rôle est de donner de la sensualité à la ville. Un rôle qui est loin d'être de second plan puisque, analysent-ils, la ville, autrefois lieu de production, est aussi devenue un espace de loisirs. Un grand coup de sabre. Ils montent l'agence en 1983, quasiment tout de suite après leur diplôme, et remportent rapidement un concours important, en 1987 : celui du jardin Atlantique, créé sur dalle au-dessus de la gare Montparnasse, avec d'invraisemblables contraintes structurelles et de multiples trémies… À sa livraison, en 1994, l'accueil fut mitigé : « On a été beaucoup critiqués par les architectes qui préfèrent une esthétique plus minimaliste », commentent-ils. Le jardin emploie en effet un certain nombre d'artifices et manie l'anecdote pour répondre aux contraintes. Il y a la pelouse en vague, métaphore de l'océan, et surtout un volume supplémentaire de terre, nécessaire à cet endroit pour faire contrepoids à la structure de la dalle. Des pavillons pour masquer les trémies. Deux alignements d'arbres tous différents, chaque rangée correspondant à une symbolique dialectique nouveau monde/ancien monde. Les mâts d'éclairage qui sont autant de morceaux de bravoure, « on revendiquait tout à l'époque ». Aujourd'hui, ils travaillent avec des designers, souvent avec Sylvain Dubuisson. Cette question du « droit au décor », qui n'est ici jamais gratuite comme une résolution formelle, est une vraie question récurrente des milieux artistiques du xxe siècle. Les paysagistes n'y échappent pas, d'autant qu'ils cumulent eux aussi un passif. Les grandes lignes droites, devenues la signature du paysage français, s'expliquent largement comme une réaction aux « spaghettis cuits », aux lignes molles des années 50 ou, bien avant, aux jardins néo-romantiques. « Cette esthétique rectiligne vient aussi de la proximité des refondateurs du métier du paysage comme Corajoud, Coulon, avec l'esthétique archi, fondée sur la géométrie simple », précisent les Péna. Cela ne les empêche pas de porter un regard critique sur leurs premiers travaux, de reconnaître parfois en avoir fait un peu trop… Ce goût pour le décor revient maintes fois dans leurs projets. Ainsi la rue principale de La Baule où les sols, en quartzite, presque un produit verrier, proviennent de lais différents. Sur le chantier, son irrégularité les a surpris mais ont ils choisi d'en tirer parti. « Voir ce que les fournisseurs proposent permet de sortir des clichés esthétiques. Quand on montre l'opération à certains architectes urbanistes avec lesquels on travaille, on comprend bien que pour eux c'est carnaval », s'amuse Michel Pena. Tout de même, ne trouvent-ils pas que la demande des villes tend vers l'homogénéisation du paysage urbain ? Les opérations des paysagistes ne sont-elles pas souvent semblables, de simples déroulés de grands tapis verts, des mails ? « C'est vrai », acquiescent-ils. Il y a une production conventionnelle de l'espace public, en réaction contre ce qui s'est réalisé dans les villes nouvelles où l'on avait multiplié les expériences. Les Pena restent pour leur part vigilants à ne pas se laisser emporter par la normalisation de la pensée. Sans en faire une obsession, d'ailleurs : « Si c'est innovant, tant mieux, sinon, tant pis. Chaque opération est un cas particulier, le terrain parle. » Cependant, depuis deux ou trois ans, ils ont le sentiment que les choses évoluent : « Les maires ont acquis une culture, ils ont vu l'exposition de Gilles Clément sur le jardin planétaire à La Villette, visité Chaumont. Il émerge chez les politiques un fantasme de jardin. » La preuve ? Cette directrice de l'urbanisme qui leur a dit récemment : « Faites nous rêver. » Étonnant non ?


Le jardin Atlantique, Paris, avec François Brun, paysagiste.

Le nom, qu'ils ont trouvé, a guidé leur création. Dans ce quadrilatère encadré de hauts immeubles lisses, ils ont intégré un carré central, traversé par une discrète voie pompier. D'un côté, le terrain monte en légers enmarchements engazonnés, dissimulant une bande de tennis. Un ponton sinue entre les arbres. Les contraintes techniques impliquaient notamment d'intégrer 136 trémies. Une moyenne de 1 mètre de terre a été plantée. Terre de bonne qualité, bien meilleure qu'un sol urbain, dit « sol naturel », en grande partie constituée de déblais. Elle nourrira les végétaux pendant deux à trois cents ans.


Le jardin de Carrare.

Ce jardin en promotion privée, dans le XVe arrondissement, propose un voyage en Méditerranée avec cyprès, vieux oliviers et amandiers courbant sous le poids de leurs fruits. Il tire son nom du matériau utilisé pour le sol et en bordure de parterre.


Le jardin des Lumières, Paris.

Ce jardin de 2 000 m2 a été réalisé pour les promoteurs Sofap et Helvim dans le XIVe arrondissement. L'inspiration est tropicale, faisant la preuve de la possibilité d'acclimater ces plantes à Paris, dans le site protégé d'une cour d'immeuble. Les albizias montent quelquefois jusqu'à R + 3 ou 4 – dissimulant l'architecture – et les bambous forment au-dessus des cheminements une voûte digne de la bambouseraie d'Anduze.


Place de l'Hôtel de Ville, Chalon-sur-Saône

Aménagement du centre-ville avec calepinage sur l'espace public. Le designer Sylvain Dubuisson a dessiné ces lampadaires, à l'échelle quelque peu surdimensionnée, en s'inspirant de la double hélice de l'ADN.


Aménagement de la rue Charles-de-Gaulle, La Baule, avec Patrice Carudel, architecte.

Des arbres à fleurs, des lagerstrœmias. De la quartzite au sol. Et pour le fil d'eau une pierre très dure, presque du verre, qui fait écho au sable des plages toutes proches. Elle est clivée plutôt que sciée, ce qui rend la surface rugueuse et empêche de glisser. Elle est posée en opus romain aux pieds des façades, en dalles régulières ailleurs. Le reste est plus classique : du granit pour la bordure de trottoir, un caillebotis bois pour protéger les pieds des arbres, des lampadaires blancs, d'inspiration balnéaire, dessinés par Cécile Planchais, comme l'ensemble du mobilier.


Le parc des Guilands, Bagnolet/Montreuil.

À cheval sur les deux communes, ce parc assemble deux autres parcs existants avec des morceaux d'espaces verts et de friches jusqu'à constituer un ensemble unitaire de 30 hectares. Le long d'une ligne de crête, en balcon sur Paris, les Pena implantent un grand tapis sinueux, large de 40 mètres, long de 600. Ils traitent une ancienne carrière de gypse selon un mode plus naturaliste, avec un étang et des plantations aquatiques. Des escaliers en platelage bois coupent droit dans les dénivelés. À proximité du grand ensemble sur dalle de Bagnolet, le parc se clôt par un grand mur appareillé, doublé d'une promenade plantée de chênes. Sa livraison est prévue pour l'été 2004.


Le bois Bonvallet, Amiens.

Dans cet ancien bois marécageux, les beaux arbres ont été conservés et le système hydraulique des canaux, caractéristique de la ville, a été mis en fonctionnement. Ce parc de 3 hectares reste ouvert, l'allée qui le traverse de part en part a été tracée rectiligne pour offrir un sentiment de sécurité. La nuit, il se transforme en gigantesque lanterne chinoise : les éclairages sont directement fixés dans les arbres, protégés par des sortes de nasses en osier, qui projettent au sol des ombres étonnantes. Ces nasses, comme les protections tressées en pied d'arbre, ont été conçues par l'artiste Stéphanie Buttier.


Biographie :

> 1955 et 1958 : naissances de Michel à Bordeaux et de Christine à Metz.

> 1976 : Michel Pena fait le tour de France à pied.

> 1983 : diplômes de l'ENSP, création de l'agence.

> 1987 : lauréats du concours du jardin Atlantique.

> 1990 : incendie de l'agence, dans les magasins généraux. Achat d'un terrain d'expérimentation dans les Cévennes. Création de l'atelier de l'Entre-deux.

> 1998-1999 : organisation d'ateliers de paysage dans les Cévennes.

> 2001-2003 : étude pour la rénovation du bois de Boulogne.

> 2003 : exposition de leurs projets à Philadelphie (états-Unis). Lauréats du concours pour la RN 7 avec Bruno Fortier.

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