Quel avenir pour l’architecture publique ? Alors que l’évolution du code des marchés publics se profile, des échéances interministérielles brouillent les pistes. Entre l’ambition d’une stratégie nationale portée par la ministre de la Culture, un projet d’ordonnance alarmant orchestré par Bercy et les inquiétudes suscitées par la loi Macron et la loi sur la transition énergétique, le sort de l’architecture mobilise les instances professionnelles. Un dîner-débat vient d’avoir lieu à l’Élysée. Est-il de bon augure ? Lire également la réaction de Paul Chemetov : les concours dévoyés ?
Le 3 février, Fleur Pellerin, ministre de la Culture et de la Communication, a mis en place trois groupes de réflexion, composés de Grands Prix nationaux d’architecture ou d’urbanisme et de lauréats des AJAP, qui rendront leurs travaux en juin. Elle confirme ainsi la « stratégie nationale pour l’architecture » qu’elle a annoncée en octobre aux universités d’été de l’Ordre des architectes. Outil d’une évolution de la politique publique menée en concertation avec les instances représentatives de la profession, cette stratégie devrait réaffirmer l’importance de l’architecture et son rayonnement international en s’appuyant sur les rapports Bloche et Feltesse et sur d’autres, plus anciens, tel le rapport Dauge. Le groupe « mobiliser et sensibiliser » est animé par Frédéric Bonnet et Boris Bouchet, le groupe « innover » par Marc Barani, Marie Zawistowski et Bellastock, et le groupe « développer » par Paul Chemetov et Lucie Niney. L’architecte Francis Nordemann pilote le tout et les rapporteurs sont Hélène Riblet, inspectrice du patrimoine, Lorenzo Diez, directeur de l’ENSA de Nancy, et Christine Edeikins, architecte-conseil de l’État.
Tout ne va pas pour autant mieux dans le meilleur des mondes ! En parallèle, des textes en préparation alarment les représentants des architectes. Outre l’ordonnance de transposition de la directive européenne des marchés publics, la loi Macron (croissance et activité) pourrait ouvrir le capital des agences d’architecture à des sociétés d’architecture anglo-saxonnes dont la totalité des capitaux pourraient être détenus par des sociétés financières et la loi sur la transition énergétique dénature le patrimoine en obligeant à l’isoler par l’extérieur (voir Loi sur la transition énergétique : le patrimoine en danger).
Les représentants de la profession ont donc interpellé le président de la République et le ministre de l’Économie en dénonçant les atteintes à la loi MOP et un « arsenal de textes toxiques » qui mettent en péril les concours au profit des contrats globaux.
La loi MOP en danger
L’objectif de la direction des Affaires juridiques de Bercy étant de simplifier les textes en harmonisant le code des marchés publics (qui concerne l’État, les collectivités et leurs établissements publics) et l’ordonnance de 2005 (applicable aux maîtres d’ouvrage privés chargés d’opérations d’intérêt public et aux bailleurs sociaux), le gouvernement légifère par ordonnance pour transposer la directive européenne sur les marchés publics. Au moment où la loi MOP est attaquée de toutes parts par des lobbys déplorant l’indépendance de la maîtrise d’œuvre par rapport aux entreprises, ce projet rédigé par Bercy et soumis à concertation en janvier est très critiqué par les instances professionnelles. L’Ordre des architectes et l’Unsfa ont récemment sollicité un entretien avec le ministre de l’Économie. « Dans le cadre de la concertation, nos observations n’ont pas été prises en compte, dit Catherine Jacquot, présidente du Conseil national de l’Ordre. Ce projet d’ordonnance est dangereux par ce qu’il ne dit pas. Il ne contient aucune mention de la maîtrise d’œuvre, ne définit pas les procédures et ne mentionne pas le concours, procédure de principe actuelle des marchés de maîtrise d’œuvre et dont la directive européenne souligne la pertinence. Lors des rencontres avec les professionnels, Bercy évite le sujet et semble décidé à livrer aux “acheteurs publics” une boîte à outils de procédures utilisables à leur guise, ce qui est permis depuis 2011 aux bailleurs sociaux. Dans ce secteur, l’arrêt des concours et le recours généralisé aux appels d’offres de concepteurs entraînent médiocrité et dumping. » Pour des marchés spécifiques et à forts enjeux, comme la maîtrise d’œuvre architecturale, « la simplification et l’efficacité de la commande » consistent au contraire selon elle « à décrire clairement la bonne procédure ». L’abandon du système français du concours et des procédures spécifiques reviendrait à « une régression de trente ans, avec des conséquences économiques, environnementales et patrimoniales néfastes pour les usagers et les opérateurs publics ».
Généralisation des contrats globaux
En permettant la quasi-généralisation des contrats globaux, le projet d’ordonnance remet donc en cause les principes de la commande publique française d’architecture et de la loi MOP par une atteinte à l’indépendance de la maîtrise d’œuvre. Pour l’Ordre et l’Unsfa, l’ordonnance sort du champ d’habilitation imposé par la loi du 20 décembre 2014 en intervenant sur ceux de la loi MOP et de la loi Boutin (logement et lutte contre l’exclusion) et en rendant définitivement possible l’utilisation sans justification de la conception-réalisation pour les logements sociaux aidés par l’État. L’accès à la commande des artisans et PME du BTP est pénalisé ; ils voient l’allotissement bafoué alors que la directive européenne incite à ce principe.
« Sur les PPP, poursuit Catherine Jacquot, les rapports du Parlement et de la Cour des comptes, des contentieux et des scandales financiers ont confirmé l’analyse à charge faite par les architectes depuis 2003. Or, si l’ordonnance acte la création d’un seuil-plancher de recours aux PPP et l’obligation de soutenabilité de la dette encourue, elle contredit le rapport Sueur-Portelli en supprimant les critères de la complexité et de l’urgence permettant d’y recourir, ne gardant que celui de l’efficience économique. »
Le CNOA, l’Unsfa, la MIQCP et le ministère de la Culture ayant travaillé ensemble, le CNOA et le ministère ont établi un miniguide de la commande publique d’architecture (téléchargeable ici). « Ne pourrait-on en imposer l’usage dans les futurs textes ? conclut Catherine Jacquot. Les architectes espèrent que le ministère de la Culture pèsera sur les discussions interministérielles de mise au point de l’ordonnance et des décrets qui suivront. Si tel n’était pas le cas et si le futur code ne ramenait pas la passation des marchés publics dans une démarche qualité, parler avec l’État de « stratégie nationale pour l’architecture » n’aurait plus de sens. L’ordonnance revue sera débattue en mars en interministériel, puis publiée avant l’été, et les décrets suivront pour être appliqués dès le 1er janvier 2016. La future loi Liberté de création, architecture et patrimoine n’est plus programmée qu’à l’automne, la messe sera alors dite concernant le futur code des marchés publics. »
Le 6 mars, le président de la République s’est entretenu sur ces questions lors d’un dîner à l’Élysée réunissant des membres de son cabinet, les ministres Fleur Pellerin et Sylvia Pinel, Catherine Jacquot, Marie-Françoise Manière et certains architectes auditionnés l’an dernier par la commission Bloche. François Hollande agira-t-il pour modifier le contenu de l’ordonnance ? Une délégation interministérielle de l’architecture sera-t-elle créée pour traiter les questions transversales sous l’autorité du Premier ministre et le ministère de la Culture restera-t-il l’interlocuteur de référence ? ------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- |
Le point avec Marie-Françoise Manière,
Présidente de l’Unsfa
> La directive européenne autorise-t-elle une souplesse d’application plus importante que l’actuel projet d’ordonnance de Bercy ?
MFM : Une préoccupation des commissaires européens est d’empêcher les États de favoriser leurs entreprises nationales. Ils imposent peu à peu des règles pointilleuses qui compliquent la vie des maîtres d’ouvrage publics, les obligent parfois à utiliser des procédures inadéquates et peuvent fragiliser leurs marchés par la multiplicité des recours possibles. Rien dans la directive européenne n’interdit néanmoins explicitement de conserver des procédures spéciales de dévolution des marchés de maîtrise d’œuvre qui ont fait pendant des décennies la preuve de leur efficacité : concours, procédures négociées spécifiques, etc.
> La loi MOP et les concours peuvent-ils encore être sauvés ?
MFM : La France a mis en place l’un des meilleurs ensembles de règles destiné à produire des ouvrages publics de grande qualité : loi sur l’architecture, loi MOP, code des marchés publics prévoyant les procédures spécifiques pour les marchés dont les enjeux dépassent la valeur du marché lui-même, tels que la maîtrise d’œuvre de bâtiments et d’infrastructures. L’architecture française est réputée et s’exporte.
Si tant est que la France dispose encore d’une once de souveraineté, le gouvernement aurait pu maintenir les dispositions propres à renforcer l’efficacité de la maîtrise d’œuvre indépendante. Les rédacteurs de l’ordonnance ont, au contraire, amplifié et multiplié les situations d’emploi des marchés globaux. Concernant les marchés de partenariat, ils ont anormalement « gommé » toutes les dispositions qui, dans l’ordonnance de 2004 sur les PPP (notamment les articles 12 et 14), pouvaient préserver la qualité architecturale des ouvrages.
Sans doute conscients que les règles de la commande publique deviennent « pesantes » pour les collectivités, ils développent aussi largement toutes les façons d’y échapper, en invitant ces collectivités à créer leurs propres services d’ingénierie publique : « in house », « quasi-régie », etc., ce qui est particulièrement grave. Sans maintenir les procédures vouées à produire un cadre de vie de qualité, le projet d’ordonnance institutionnalise tous les moyens de réduire le champ de la commande des activités de prestations intellectuelles des professionnels privés. Ce n’est pas la meilleure orientation en période de récession.
> Le projet définitif de l’ordonnance peut-il corriger cela ?
MFM : Il est impossible d’approuver une ordonnance amputée de dispositions essentielles, sous la simple idée avancée qu’elles figureraient dans les décrets. C’est pourquoi les organisations professionnelles demandent au président de la République que, pour parfaire cette négociation essentielle sur la commande publique, le projet modifié de l’ordonnance et celui des principaux décrets qui compléteront les dispositifs leur soient communiqués.
> L’évolution du cadre législatif n’intervient-elle pas trop tôt, au détriment de la stratégie nationale annoncée par Fleur Pellerin ?
MFM : Ou n’est-ce pas la
« stratégie nationale pour l’architecture » qui arrive
trop tard ? Si elle avait été mise en place plus tôt, ces
articles pernicieux pour l’architecture n’auraient pas vu le
jour.
C’est pourquoi l’Unsfa, l’Ordre des architectes, la DPA et la SFA ont demandé au président de la République de veiller à ce que les projets de lois ou d’ordonnances ne viennent pas dégrader encore la qualité architecturale. Cette décision permettrait de surseoir à tout ce qui irait à l’encontre des propositions faites par Patrick Bloche et de celles qui découleront de la « stratégie nationale pour l’architecture ».
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