Robert Delpire, « Il n’y a pas de fond sans forme »

Rédigé par Olivier NAMIAS
Publié le 01/07/2006

Robert Delpire (photo Sarah Moon)

Article paru dans d'A n°156

Le nom de Robert Delpire évoque inévitablement celui des plus grands photographes français comme Henri Cartier-Bresson ou Marc Riboud, dont il fut l’infatigable éditeur pendant plus de quarante ans : c’est en homme d’images qu’il nous livre ses réflexions sur l’espace.

Robert Delpire débute une carrière d’éditeur à l'âge de 23 ans, lorsqu’il transforme une revue médicale en revue d’art réunissant les plus grands noms : Breton, Prévert, Lartigue, Brassaï… Il remporte ensuite plusieurs médailles d’or des arts graphiques pour ses monographies et publie, en 1958, Les Américains, l’ouvrage d’un jeune photographe suisse, Robert Frank, dont le style introspectif fera date. En 1963, il ouvre à Paris une galerie dédiée à la photographie et au graphisme – sa deuxième passion – et se lance dans la production de films : les longs métrages de William Klein, dont Qui êtes-vous Polly Magoo ?, film qui s’ouvre dans les sculptures-habitacles d’André Bloc. Pour financer ses éditions, il monte une agence de publicité forte de 140 personnes qu’il revend en 1982, lorsque Jack Lang l’invite à s’occuper du Centre national de la photographie (CNC). Il lance à cette époque les éditions Photo poche, qui constituent la collection de photographies la plus vendue à travers le monde, dont il conserve toujours la direction.


Déployant d’innombrables activités, il ne pouvait manquer de croiser la route de l’architecture. S’il ne rencontre Lucien Hervé que sur le tard, il approche en re vanche Le Corbusier au début des années 1960, dans l’intention de faire un livre sur son architecture. L’architecte le reçoit dans son appartement de la rue Nungesser-et-Coli et expose à l’éditeur son idée fixe : « Oui, c’est très bien un livre, on peut faire un livre ensemble mais faites d’abord des cartes postales. » Robert Delpire eut beau protester – il s’est toujours refusé à faire des cartes postales, même avec ses photographes – l’obstination de Corbu aura raison du projet. «Mais je suis en train de vous dire que vous pourriez gagner de l’argent avec mes cartes postales ! » insistait Le Corbusier. Cette rencontre l’aura-t-elle dissuadé de travailler avec des architectes vivants ? Toujours est il que, lorsque Robert Delpire, qui se définit plus comme un éditeur d’images qu’un éditeur de photographies, revient vers l’architecture, il préfère travailler sur des bâtiments dont les auteurs ont trépassé depuis longtemps. Avec son ami André Martin, un photographe disparu il y a deux ans, il lance la collection « Génie du lieu », publiant des ouvrages sur Chambord, Khadjuraho, la tour Eiffel. L’idée était de créer une série donnant l’impression d’entrer dans le monument, en s’attachant à restituer sur le papier les séquences d’ a pproche. Signe de son investissement dans ce travail, Robert Delpire accompagna André Martin à toutes les séances de prises de vues, parfois longues de plusieurs semaines. La série s’arrêtera après cinq titres, faute d’avoir trouvé des relais chez les éditeurs étrangers.


Les nombreuses expositions qu’il réalisera l’amèneront naturellement à la scénographie qui devient, au fil du temps, une passion supplémentaire. « La scénographie, c’est l’un des moments de la jubilation de l’éditeur. » Sa dernière réalisation en la matière lui a été commandée par l’agence VU : « La galerie était toute rabicointée, je l’ai coffrée avec un médium flexible qui donnait une espèce de souplesse. » Delpire le scénographe juge parfois durement certaines réalisations, « comme la fondation Cartier, un bâtiment transparent dans lequel on ne peut rien mettre au mur sans voir passer les voitures derrière », ou l’Institut du monde arabe, dont les espaces d’exposition lui semblent si malcommodes qu’il qualifie l’édifice de catastrophe. Il faut se garder d’y voir une hostilité à l’égard de l’architecture moderne : il a défendu Pei contre Cartier- Bresson, qui estimait pour sa part que la pyramide était un scandale… puisqu’il l’apercevait de la fenêtre de son appartement de la rue de Rivoli !


L’engagement de Robert Delpire auprès des photojournalistes l’a tenu éloigné des photographes d’architecture « à façon », ces artisans discrets respectueux des conventions propres à cette famille images : vue frontale, perspectives redressées… Il estime que certains photographes auteurs qu’il a côtoyés ont pu, avec le temps, développer une sensibilité propre à l’architecture, comme Robert Frank, auteur par excellence, à qui il fera faire ses premières photographies d’ architecture « à façon », en 1985, dans le cadre d’un travail sur les séquelles de la guerre à Beyrouth. Au-delà de ce cas particulier, Robert Delpire estime que la photographie d’auteur pourra prendre une part importante dans la description de l’environnement humain, révélant des formes inédites. Pour exemple, il montre la série de photographies réalisées par Antoine Gonin dans les espaces créés pour la haute technologie. Et prévient, raillant la mode des photographies géantes dont il estime qu’elles n’ont pas toujours grand-chose à nous dire : « Il n’y a pas de fond sans forme. » Et vice versa.

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