Théâtre le Maillon, Strasbourg

Architecte : LAN
Rédigé par Maryse QUINTON
Publié le 03/03/2020

Scène européenne avant-gardiste et exigeante, le théâtre du Maillon s’est installé dans un nouveau bâtiment signé LAN, construit au nord de Strasbourg. Derrière une enveloppe hyperstatique, le vide y joue un rôle décisif, œuvrant à l’hyper-flexibilité recherchée et démultipliant les possibilités d’usages. Un projet qui renouvelle le modèle du théâtre contemporain en faisant la démonstration de ce que l’architecture peut lorsqu’elle est face à une maîtrise d’ouvrage éclairée et proactive.

 

Au mur, percée dans l’épaisseur du béton, une citation d’Eugène Ionesco que le Maillon a fait sienne : « Le théâtre peut être le lieu où il semble que quelque chose se passe. » Des mots simples pour résumer ce qu’attendait l’institution culturelle strasbourgeoise de ce nouveau bâtiment où elle s’est installée à l’automne. Quand ils remportent le concours face à Dominique Coulon, Lipsky + Rollet, Rudy Ricciotti et studioMilou en 2014, Benoit Jallon et Umberto Napolitano sont déjà plongés dans l’œuvre d’Haussmann en vue de l’exposition qu’ils lui ont consacrée au Pavillon de l’Arsenal en 2017. De manière consciente ou non, tantôt avec efficience, parfois de façon anecdotique, le travail d’étude mené pour « Paris Haussmann » a essaimé jusqu’à Strasbourg. Derrière une volumétrie compacte aux murs épais, le vide est orchestré avec précision, et la flexibilité, à l’œuvre. Plutôt qu’un théâtre figé, LAN a ainsi privilégié l’expérimentation, l’ouverture, les espaces en plus, l’indétermination. « Ce théâtre a été conçu et pensé comme une fabrique, une machine artistique, explique Umberto Napolitano. Il s’agissait d’effacer les limites traditionnelles entre l’arrière-scène et l’avant-scène, entre le public et les artistes. » Objectif recherché ? Plus de possibilités, plus de liberté : « L’espace doit devenir un réservoir de potentiel pour le spectacle. »

 

Un quartier en devenir

L’origine de ce projet prend forme dans un contexte urbain emblématique de l’urbanisme contemporain à la française : le Wacken et le quartier d’affaires international Archipel, lieu stratégique de développement pour Strasbourg, à quinze minutes de tramway au nord du centre-ville. Hier, la Maison de la Région, signée Chaix & Morel ; demain, des immeubles de bureaux et de logements sagement alignés, des commerces, un parc. Voilà pour le voisinage immédiat. Sous les grues, un nouveau centre urbain émerge, lequel aura son quota de culture.

Pour le Maillon, c’est l’occasion d’un déménagement bienvenu. D’abord dans le quartier Hautepierre et, depuis 1999, dans l’ancien pavillon d’accueil du parc des Expositions à quelques pas du nouveau site, il peut enfin prétendre à un bâtiment entièrement déterminé par son identité singulière sur la scène européenne. C’était l’une des exigences du concours : sortir des modèles classiques et réinventer le théâtre contemporain. Loin d’être une posture de principe, c’est toute la raison d’être du Maillon. L’architecture n’avait d’autre choix que de se mettre au service d’une équipe inventive capable d’activer le bâtiment.

 

Une scène avant-gardiste

Car l’aspect le plus intéressant du Maillon est que l’architecture s’est pleinement montrée à l’écoute de ses utilisateurs. Ce n’est pas toujours le cas, a fortiori dans la production de LAN. Mais le Maillon n’est pas n’importe quel théâtre. C’est une scène nationale engagée, dont l’utilisateur ne pouvait se contenter d’un théâtre classique ; des exigences qui ont poussé Jallon et Umberto Napolitano à se remettre en question. Fondé en 1978, ce théâtre a toujours milité pour sortir le sixième art de ses murs et d’une posture souvent jugée élitiste. Par son positionnement à la fois ancré dans son territoire et résolument européen, cette institution strasbourgeoise figure aujourd’hui parmi les scènes incontournables, privilégiant la diversité de langages scéniques et les formes hybrides. Elle est aujourd’hui dirigée par Barbara Engelhardt, qui se réjouit de profiter désormais « d’un véritable outil de travail partagé avec les artistes » plutôt que d’un simple lieu de diffusion.

Pour répondre à ces attentes nombreuses, le nouveau bâtiment mise sur la flexibilité – c’est sa force –, autorisant de multiples potentialités de reconfigurations et d’usages. De l’aveu d’Umberto Napolitano, « travailler avec l’équipe du Maillon est notre meilleure expérience de maîtrise d’ouvrage à ce jour », soulignant une qualité de dialogue constante.

 

Le vide, champ des possibles

« Lors de l’exposition “Paris Haussmann” présentée au Pavillon de l’Arsenal, l’observation du type haussmannien nous a amenés à réinterroger une problématique fondamentale de la forme urbaine : comment rendre optimal le rapport entre les pleins et les vides », disent les architectes. Une problématique qui a jalonné toute la conception du Maillon. Le bâtiment est structuré par les pleins que forment les deux salles : une grande de 700 places (de 40 sur 26 mètres) et une petite de 250 places (de 22 sur 20 mètres). Elles fonctionnent sur le principe de la black box, autorisant des scénographies frontales, bi, tri ou quadri-frontales, offrant tous les équipements techniques nécessaires pour accueillir différents types de spectacles.

Entre ces deux entités, le vide, généreux, fabrique le potentiel du Maillon. C’est entre ces deux boîtes fermées, dedans mais aussi dehors, que tout se joue. Tous les interstices sont investis, démultipliant les possibilités du bâtiment qui mise sur l’indétermination dans sa conception. Le vaste hall est pensé comme un espace hybride pouvant remplir sa fonction première mais pouvant aussi accueillir des expositions, des conférences, des débats ou encore des performances. Des cloisons mobiles permettent de clore l’espace ou de le dilater vers l’extérieur. Réversible, le bar ouvre et ferme des deux côtés, s’adaptant à la configuration choisie. Les circulations profitent de la même hauteur sous plafond que les salles : 15 mètres. Le patio extérieur peut lui aussi se faire espace théâtral, prolongeant en plein air les possibilités de mise en scène. Tous les espaces connexes sont ainsi pensés pour accueillir autre chose que leur fonction première, façonnant un lieu ouvert à l’expérimentation théâtrale.

 

Une structure efficiente

Le Maillon se cache derrière une enveloppe anthracite hyperstatique, massive et régulièrement percée de grandes fenêtres (de 5 sur 6 mètres) posées au nu extérieur. Autoritaire, elle semble chercher à se protéger d’un quartier d’affaires en train de se faire, un contexte avec lequel le Maillon aura probablement du mal à établir une forme d’urbanité. La structure cherche avant tout l’efficacité : « Il n’y a aucune décoration, tout est structure, comme dans une usine », précise Umberto Napolitano. En béton architectonique teinté dans la masse épaisse de 35 cm, les façades sont traitées de façon uniforme, s’affranchissant de la hiérarchie traditionnelle avant/arrière. Particularité, la mise en œuvre d’un coffrage de grande hauteur de 14 mètres, en une seule levée et en 8 heures de coulage. À l’intérieur, des voiles en béton préfabriqué organisent les différents espaces.

Enfin, pour éviter de voir son projet colonisé par du mobilier de piètre facture, l’agence LAN a mis en place un processus de production baptisé « Make a ». Les architectes ont dessiné une série complète de meubles (chaise, tabouret, table, banc, rocking-chair…) nécessaires au fonctionnement du théâtre et qui, n’étant pas affectés à tel ou tel espace, peuvent ainsi se déplacer n’importe où dans le théâtre. Après la livraison, les plans et notices de montage sont fournis au Maillon qui peut, au gré des besoins et facilement, fabriquer lui-même des pièces supplémentaires.



Maîtres d'ouvrages : Ville de Strasbourg
Maîtres d'oeuvres : LAN, Changement de vue, Terrel Group, Batiserf, Franck Boutté Consultants, Bureau Michel Forgue, Cabinet Lamoureux
Entreprises : Albizzati, Interdecor-Groupe Bier, Hefi, Parthos, BC CAIRE, Bertelé
Surface SHON : 7 017 m²
Cout : 20 millions d'euros HT
Date de livraison : concours lancé en 2013, début de chantier octobre 2017, livraison 2019

Théâtre le Maillon<br/> Crédit photo : BROYEZ Charly Théâtre le Maillon<br/> Crédit photo : BROYEZ Charly Le vide joue un rôle décisif<br/> Crédit photo : BROYEZ Charly Le vide joue un rôle décisif<br/> Crédit photo : BROYEZ Charly La hauteurs des couloirs est calée sur celle des salles<br/> Crédit photo : BROYEZ Charly

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