L’architecture à l’éloge du paysage rural : Halle et pôle d’accueil, Mandailles-Saint-Julien

Architecte : Atelier du Rouget Simon Teyssou & associés
Rédigé par Cyrille VÉRAN
Publié le 01/07/2020

Traçant son sillon dans les territoires ruraux et périurbains, Simon Teyssou a cultivé une connivence avec leurs architectures vernaculaires, qu’il réinterprète dans un langage contemporain empreint de réminiscences. À Mandailles-Saint-Julien, dans le Cantal, l’architecte livre un ensemble d’équipements destinés à accueillir les randonneurs et touristes l’été. Fidèle à sa démarche, il a cette fois encore usé de pédagogie pour reformuler la question qui lui était soumise et intervenir dans une perception élargie du territoire. Apprécions le résultat.

 

Loin de l’effervescence des métropoles, Simon Teyssou a choisi de nouer des liens de proximité avec son terroir, au cÅ“ur du Cantal, en accompagnant patiemment les villages dans leurs projets d’aménagement. Dans un contexte de dévitalisation des campagnes françaises, le travail est engagé et courageux. Pourtant les besoins n’en sont que plus forts, et l’architecte y répond par des interventions souvent modestes ; un urbanisme des « petites choses Â» comme il le qualifie lui-même, qui s’accorde à l’économie frugale de ces territoires et s’égrène au fil de leurs opportunités.

Une visite de quelques opérations témoigne d’une démarche instruite et pétrie du caractère du lieu, au point que l’on peine parfois à deviner le geste. Un sol remodelé, des façades dégagées de la gangue d’enrobé, de vieilles pierres recyclées en murets… Ces actions concrètes et justes procèdent toujours d’une vision élargie des questions territoriales et parviennent, par leur addition, à redonner une lisibilité à la structure d’un bourg, à infléchir positivement les pratiques locales.

À Mandailles-Saint-Julien, l’intervention est plus affirmée. Situé aux confins de la vallée de la Jordanne et dominé par le magnifique cirque de Mandailles, ce hameau est le point de départ des chemins de grande randonnée pour le puy Mary et autres massifs du parc naturel régional des Volcans d’Auvergne. Calme ce jour de printemps, il s’agite l’été lorsque les touristes et randonneurs affluent. C’est pour mieux les recevoir que la communauté d’agglomération du bassin d’Aurillac (CABA) a souhaité implanter un accueil pour les sportifs et randonneurs au rez-de-chaussée de l’ancienne école ainsi qu’une halle de marché qui peut s’ouvrir à des événements publics ou tenir lieu d’abri.

 

Questionner le programme, toujours

Selon l’architecte, l’intérêt de telles commandes réside bien dans la relation directe avec les maîtres d’ouvrage et les discussions qu’elle engendre. Le prétexte pour ce pédagogue, aujourd’hui directeur de l’École d’architecture de Clermont-Ferrand, d’arpenter les lieux avec eux, de parler de leurs territoires et de leurs potentialités, de remonter la généalogie des savoir-faire locaux ; l’opportunité aussi de décentrer le regard pour se donner la possibilité de reformuler le programme, de l’augmenter, ou de le détourner.

Dans le cadre de cette commande d’équipements, ce sont les flux des voitures et camping-cars durant la haute saison touristique et leur stationnement sauvage au bord du cours d’eau de la Jordanne – et de la future halle de marché â€“ qu’il fallait repenser. Il suggère de le déplacer sur un délaissé au bord de la route départementale, à la sortie du village, et d’aménager les chemins de traverse existants pour les mobilités douces. La proposition est validée. Le mobilier qu’il a dessiné (bancs, potelets, tables de pique-niques) est en place ; ne manque plus que la passerelle pour enjamber la rivière, dont il pointe l’emplacement exact.

Ce retissage fin, s’il donne une cohérence au village dans son ensemble, met aussi en réseau les nouvelles pièces du programme et les active. La halle parfaitement à niveau avec le sol de l’espace public se traverse, à pied ou à vélo. Elle est campée au bord d’une prairie désormais dégagée, et se signale par sa toiture à forte pente en acier autopatinable ondulé, qui tranche sur l’ardoise des maisons avoisinantes.

 

Héritage commun

La référence assumée aux granges-étables aperçues alentour et dans la vallée est explicite, jusqu’aux couleurs de leurs couvertures en tôles rouillées qui ont remplacé le chaume. S’inscrire dans cet héritage commun est pour l’architecte une forme de politesse adressée au territoire et aux habitants. Son intérêt pour les bâtiments agricoles et les cabanes de bois bricolées, souvent protégées à l’huile de vidange, l’a même incité à passer commande à un photographe pour en dresser l’inventaire.

Chacune des nouvelles constructions s’imprègne de cette architecture vernaculaire. L’édicule, réservé au stockage de matériel, est enveloppé de simples parpaings de ciment badigeonnés de noir, et se glisse sous une charpente rudimentaire en fermettes. Il accompagne la reconversion de l’ancienne école en Maison des activités de pleine nature, qui a été mise à profit pour remodeler le préau et installer trois logements locatifs à l’étage. Le dispositif de la grange-étable s’applique fidèlement à la halle de marché. L’implantation, traditionnellement perpendiculaire à la pente, épouse la topographie artificielle du site, autrefois déblayé pour recevoir un terrain de tennis devenu hors d’usage. Le bâtiment se met ainsi subtilement en scène au pied de la rivière et de son pont. Ses proportions, jusqu’aux ouvertures sur les pignons, renvoient elles aussi à ce « marqueur Â» du territoire, comme le système constructif : une charpente à couple typique des fermes cantaliennes, sans pannes ni chevrons.

C’est dans l’écriture et les matériaux que se donne à lire la réinterprétation contemporaine de cette typologie. L’élégante charpente recourt au lamellé-collé de Douglas et s’équilibre sur de frêles poteaux métalliques qui semblent renverser les lois de la pesanteur. À ses extrémités, elle est agrafée à d’épais murs de béton teinté dans la masse, qui s’unifient au socle (un vide-sanitaire se substituant à l’étable…). La tôle à petites ondes en acier Corten a été dénichée aux États-Unis, une entorse au soutien des savoir-faire et matériaux du coin, qui lui a valu une bataille avec les bureaux de contrôle. Mais l’architecte franco-américain ne s’en cache pas, et défend l’hybridation des techniques, qui a toujours façonné les paysages à travers l’histoire. Il a mené l’enquête pour retrouver la filière de ces hangars américains découverts il y a longtemps lors de voyages.

La rigueur formelle et constructive, appliquée à cette architecture du quotidien, atteste indéniablement un art de l’attention et du soin. Or sans consulter l’architecte, la mairie a voulu rendre la halle encore plus polyvalente par l’installation maladroite d’un bar inamovible et d’un écran de projection. On passera sur ces décisions hasardeuses, espérons-le non définitives, pour observer comment celle-ci entre en résonance avec son environnement proche et le grand paysage, dans lequel on nous dit qu’elle se fond, en perception lointaine, lorsque les feuillus et fougères se parent de leurs couleurs automnales.



Maîtres d'ouvrages : Communauté d’agglomération du bassin d’Aurillac (CABA)
Maîtres d'oeuvres : Atelier du Rouget Simon Teyssou & associés / mandataire + Atelier de Saint-Céré Mathieu Bennet & associés + BET 3B (BET bois) + EUCLID (BET TCE)
Surface SHON : 200 m2 (halle) et 345 m2 (pôle d’accueil)
Cout : 1 400 000 euros HT
Date de livraison :
2019

Halle et pôle d’accueil, Mandailles-Saint-Julien Halle et pôle d’accueil, Mandailles-Saint-Julien<br/> Crédit photo : ALAZARD Benoît Halle et pôle d’accueil, Mandailles-Saint-Julien<br/> Crédit photo : CAILLE Emmanuel Halle et pôle d’accueil, Mandailles-Saint-Julien<br/> Crédit photo : ALAZARD Benoît Halle et pôle d’accueil, Mandailles-Saint-Julien<br/> Crédit photo : ALAZARD Benoît Halle et pôle d’accueil, Mandailles-Saint-Julien<br/> Crédit photo : ALAZARD Benoît Halle et pôle d’accueil, Mandailles-Saint-Julien<br/> Crédit photo : Atelier Rouget Simon Teyssou Halle et pôle d’accueil, Mandailles-Saint-Julien<br/> Crédit photo : Atelier Rouget Simon Teyssou

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