Luc Dratwa, un peintre en photographie

Rédigé par Olivier NAMIAS
Publié le 01/10/2010

Portrait de Luc Dratwa

Article paru dans d'A n°194

L'opposition qui est encore souvent faite entre peinture et photographie disparaît chez ce photographe bruxellois, propulsé tardivement sur le devant de la scène pour ses images oniriques prises depuis le sommet du Rockefeller Center à New York.

L'endroit pourrait tout aussi bien être la galerie de peinture d'un musée. Sur des murs sombres, des cadres identiques renferment des vues urbaines. Sur certaines, apparaît la figure iconique de l'Empire State building ; sur d'autres, rien n'apparaît, ce sont des sortes de monochromes blancs. Des spectateurs traversent l'espace, de dos, absorbés dans la contemplation. Nous ne sommes pas dans un musée mais dans le Top of the Rocks, l'étage panoramique du Rockefeller Center à New York, et dans les images de Luc Dratwa.

Inutile de chercher son nom dans les revues de photographie. À cinquante-deux ans, ce Bruxellois arrive tel un ovni dans le monde de l'image, après un parcours des plus tortueux. Sa première passion est la peinture : « Je viens d'une famille d'immigrés polonais très pauvre, arrivée à Charleroi pour travailler dans le bassin minier. Une famille où la priorité était de se nourrir, l'art n'avait donc pas sa place. » En dépit des interdits familiaux, il se forme à la peinture en autodidacte et peindra constamment jusqu'à une période encore récente. Sa production compte 300 toiles sur lesquelles il porte un regard désabusé et lucide : « Honnêtement, ce sont vraiment des croûtes. Je ne pense pas être arrivé à exprimer ce que je ressentais en peinture, à la fois par manque de technique et faute d'accepter les limites du médium. La peinture manque inévitablement de précision car elle est très humaine, il n'y a que Vasarely qui arrive à produire des toiles précises, et encore. »

II découvre la photographie par hasard, vers l'âge de vingt ans, lorsqu'il trouve sur une brocante un Canon AE-1 muni de deux objectifs. « C'est vraiment pour ces deux objectifs que j'ai acheté l'appareil », confie Dratwa. Il commence alors à réaliser des séries photographiques qu'il ne montre pas et qui restent encore inédites à ce jour. Parallèlement, il travaille comme prothésiste, styliste de mode ou petit promoteur immobilier, sans oublier une courte activité d'éditeur avec Domino, un magazine de design et d'architecture publié de 1987 à 1990.


Le déclic

C'est en visitant New York en famille que se produit le déclic qui fera passer son travail de l'ombre à la lumière. « J'arrive au 66e étage du Rockefeller Center un matin, les portes de l'ascenseur s'ouvrent, et immédiatement se passe quelque chose que je n'arrive pas à définir. Je sais juste qu'il y a de la magie dans cet endroit : l'Empire State Building est au loin, des gens passent, s'arrêtent, regardent dans un silence incroyable. On quitte New York, l'agitation de la rue et l'on arrive au-dessus du monde, dans un espace rempli de plénitude. Il m'était impossible de partir. Je ne quittais le Rockefeller qu'à huit heures du soir, en faisant une seule photo. Je n'ai développé que cette photo, j'ai ruminé six mois et je suis retourné plusieurs fois à New York, uniquement pour cette fenêtre, qui est devenue ces fenêtres. C'est comme si j'étais né une seconde fois. » Qui sait combien d'espaces ont pu susciter de telles émotions architecturales ?

Des galeries, et non des moindres, acceptent immédiatement de montrer le travail de cet inconnu, qui s'est finalement décidé à s'exposer, au propre comme au figuré. Comme chez beaucoup de photographes, le travail en série est prédominant. « Une photo m'intéresse très peu, je travaille en thème. Tout le monde sait faire une bonne photo, mais réaliser dix bonnes photos c'est déjà plus compliqué, et faire une série qui possède une certaine logique est encore plus complexe. On peut comparer cela à la poésie : il y a des rimes, des règles, une sonorité, une répétition et une cadence que l'on peut retrouver dans l'exposition. J'adore la géométrie, je suis un horrible maniaque. Mes photos doivent être parfaites, la hauteur des fenêtres doit être identique partout pour que, lorsqu'on voit les images côte à côte, la cadence soit répétée au millimètre près. »

Lors de l'exposition de $Windows$ à Bruxelles, le galeriste avait accepté de peindre le local en noir : « on avait l'impression d'être à l'intérieur du Rockefeller Center », relate Dratwa. La reconstitution du lieu dans l'espace de la monstration n'est pas cependant le point central de son travail, qui comporte des dimensions allusives – les images portent des noms de personnes, pour des motifs que le photographe garde pour lui – et lorgne constamment du côté de la peinture, dont il corrigerait en quelque sorte les imperfections. Les agrandissements soignés renvoient à la « forme tableau » théorisée par Jean-François Chevrier*. Les techniques utilisées troublent la vision claire de la photographie, comme le tirage Orton : un négatif net et flou d'un même cliché donne à l'épreuve finale des lignes vaporeuses. Le prochain défi de Dratwa : des mises en scène à la façon d'une peinture du XVIe siècle, explorant les clairs-obscurs du Caravage. Un travail qui sera cette fois rendu visible.


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