![]() La Villette, 2008, 246 pages, nombreuses cartes et illustrations en couleur, bibliographie, abréviations et sigles, 20 euros. |
On
connaît les défauts des livres d’urbanisme sur Paris : volontarisme («
yaka, fokon ») ; nostalgie d’un pouvoir fort (« ah ! sous Delouvrier! »)
; comparaisons abusives (« mais ça marche en Hollande, ça se fait Ã
Dubaï ») ; et surtout aveuglement devant les formes urbaines constituées
dans le temps long, le « bordel » vu par de Gaulle depuis son
hélicoptère. Le dernier livre de Philippe Panerai échappe à ces travers
(encore que sur le comparatisme…), dans la mesure où il part des formes
de la métropole et de son histoire conflictuelle : l’oignon du centre et
la patatoïde de la carte orange bien sûr, mais aussi le triangle des 3 M
et les repères (les amers ?) des villes royales. |
Après la révision du SDRIF, les annonces présidentielles, la création d’un secrétariat d’État, les grandes manœuvres de la Défense et le concours d’idées sur le Grand-Paris, le timing de la publication de Paris métropole semble parfait. S’il n’est pas assuré d’être lu à l’Élysée, parcouru à la Région ou feuilleté à l’Hôtel de Ville, Panerai peut compter en vendre au moins vingt et un exemplaires aux membres du conseil scientifique du Grand-Paris et dix aux équipes retenues. Mais c’est tout sauf un livre de circonstance : la force de Panerai est de vouloir comprendre avant de prétendre orienter. Il s’inscrit consciemment dans un courant minoritaire de la littérature sur Paris, illustré récemment par Fourcaut, Offner, Burgel, Pinon, Chemetov et Gilli ; celui d’une réflexion plus soucieuse de morphologie urbaine et de logiques sociales que de signaux médiatiques (le débat sur les tours) ou de gouvernance (le fameux échelon de pouvoir intermédiaire).
Divisé
en sept chapitres entrecroisant constats et propositions, Paris
métropole s’ouvre par un développement sur la densité, sujet auquel
Panerai réfléchit depuis longtemps. Il démontre sans peine qu’elle est «
variable », qu’une « même densité peut prendre des formes différentes »
et que « le bon habitat n’est pas forcément le moins dense », en
égratignant au passage le discours politiquement correct qui prône
théoriquement la densité en dédensifiant dans les faits. Viserait-il
l’Anru ? Le chapitre « Échelles et limites » semble vouloir réfuter
l’agrandissement du centre « par homothéties » dupliquant le schéma
haussmannien ; il est sans doute exact que Nanterre et Versailles
seraient plus difficiles à digérer en 2010 que Vaugirard et Passy ne
l’ont été en 1860. Mais la prégnance du dessin radioconcentrique est
telle que Panerai nous convie à réfléchir sur un Grand-Paris 1 inscrit
dans un cercle de
7 kilomètres de rayon à partir de Notre-Dame, dit
aussi « ville du Vélib », même si les conditions de circulation de la
petite reine diffèrent radicalement de la rue Rambuteau à Puteaux ; un
Grand-Paris 2 de 12 kilomètres de rayon, appuyé sur l’A 86 et
ressuscitant peu ou prou feu le département de la Seine ; un Grand-Paris
3 de 20 kilomètres de rayon, dit « ville-métropole », englobant les
villes nouvelles ; et un Grand-Paris 4 de 30 kilomètres de rayon
impliquant un redécoupage des régions limitrophes. Les numéros 2 et 3
semblent se partager les faveurs de l’auteur.
Le chapitre «
Géographies », avec une belle carte des vallées limitées à la cote 60
NGF, rappelle qu’une partie des maux de la métropole tient à l’ignorance
(ou au mépris ?) manifestée par les infrastructures récentes à l’égard
du relief et du fil de l’eau. L’auteur en tire la conclusion étrange
qu’une « ponctuation » de tours mettrait en valeur le grand paysage,
renouant avec la pratique de Le Nôtre ou des ingénieurs de l’enceinte…
Spécialiste
mondial de l’îlot et de la grille, Panerai n’a pas de mal à démontrer
que leur simplicité géométrique permet densification et substitution
d’usage, donc que le pavillonnaire traditionnel et les architectures
populaires modernes qui lui sont associées gardent toute leur place dans
le Grand-Paris. Ah, les beaux îlots 70 x 190 du Blanc-Mesnil !
Théoricien de la résidentialisation des grands ensembles, il prêche la
patience (dix ans au moins) et le respect des habitants. Pour une
véritable stratégie de fractionnement et de substitution, il préconise
des démolitions « inférieures à 10 % du parc ». Que les forcenés de la
démolition lui répondent !
Jusqu’ici rien que de très informé et de
très raisonnable. On sera plus réservé sur les chapitres 5 et 6 qui
traitent de la mobilité et qui prêtent à un système technique (les
transports en commun) des vertus démocratiques (cohésion sociale,
qualité de la vie urbaine pour tous) qui restent à démontrer.
Lointainement inspiré des exemples de Londres, New York et Shanghai,
Panerai fait le choix pour le Grand-Paris d’un « métrophérique associé Ã
l’A 86 ». Il s’agirait d’une sorte de super RER koolhaassien de 75
kilomètres, suspendu à 6 mètres au-dessus des deux fois deux voies de
l’autoroute. Notre urbaniste n’est pas loin de présenter ce système
(élaboré avec Xavier Fabre) comme une panacée. Il en fait la couverture
du livre et le reproduit deux fois dans le chapitre 5 : d’abord
l’emplacement des gares, douze interconnexions avec les grandes radiales
et soixante stations omnibus tous les kilomètres ; ensuite, les grands
équipements desservis, du centre commercial à la forêt (même si le bois
de Boulogne a disparu) en passant par l’université ou le business park.
On comprend bien que le tracé s’inscrit entre l’œuf du périf et la
patate de la tarification RATP, et qu’il utilise « une assiette foncière
déjà pour l’essentiel acquise ». Mais on doute qu’il puisse offrir «
une surprenante promenade en balcon sur le Grand-Paris ». Outre que ce
métrophérique circulerait probablement dans un boudin vitré sale ou
tagué, les ingénieurs ne nous ont pas habitués à beaucoup de finesse
dans le traitement des elevated roads et sopraelevate. Cet hymne à la
modernité (le retour de l’ingénieur Bertin ?) se conclut étrangement par
un « Envoi » swiftien, pages 167-168. Sans doute une machine de guerre
antiprogrammation, qui se présente sous la forme d’un programme maniaque
proposé aux décideurs et aux techniciens, éventuellement aux apprentis
urbanistes. Pince-sans-rire, Panerai liste toutes les « fonctions »
d’une grande place du Grand-Paris, susceptible d’accueillir une foule
d’activités les plus diverses, du « manège pour enfants » aux «
rassemblements hebdomadaires alternés du parti populaire kurde et du
parti communiste turc », au-
dessus d’une station d’interconnexion
type métro, « pour cinq lignes ». Le métrophérique permettra-t-il un
jour de cloner la place de la République ?
Le dernier chapitre (le
seul sans doute que liront les décideurs) est consacré aux « formes de
la gouvernance métropolitaine ». Après une réjouissante satire du SDRIF
de 1994, qui « choisit de fait la maison et l’auto plutôt que l’immeuble
et le train » et qui « déteste l’idée de centre à tel point que Paris,
le centre majeur de l’agglomération, est volontairement ignoré »,
Panerai s’en prend plus prudemment à celui de 2007 : « l’art du
non-choix atteint ici des sommets ». Puis il propose derechef un mixte
des Grand-Paris 2 et 3. Soit une « polycentralité hiérarchisée » en
rupture avec le
« schéma radioconcentrique qui maintient les
inégalités ». Bel oxymore, où le vocable polycentralité reconnaît qu’il
est impossible de gérer 8 millions d’individus depuis un centre unique
et où la hiérarchisation signifie que certaines communes sont plus
égales que d’autres. La dernière phrase du livre entonne à nouveau le
péan des TC : « La carte d’un Grand-Paris plus juste et plus solidaire
sera le plan de ses transports en
commun ». Joliment dit, à cela
près que l’urbanisme de la mondialisation vise davantage à l’efficacité
qu’à la justice. Reste à convaincre les Parisiens sur les deux rives du
périf et les diverses strates du pouvoir d’état qui luttent à front
renversé : les héritiers des Girondins pour une autorité unique, ceux
des Jacobins pour l’autonomie des communes. n
Paris métropole. Formes et échelles du Grand-Paris, Paris, éditions de
La Villette, 2008, 246 pages, nombreuses cartes et illustrations en couleur, bibliographie, abréviations et sigles, 20 euros.
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