Une mission d’information sur la création architecturale, pour quoi faire ?

Rédigé par Christine DESMOULINS
Publié le 04/04/2014

Article paru dans d'A n°225

En décembre, la commission des Affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale, présidée par Patrick Bloche, député maire du 11e arrondissement de Paris, lançait une mission d’information sur la création architecturale. Christine Desmoulins est allée assister à ces auditions et nous en fait un compte-rendu à mi-parcours.

C’est parce que « l’architecture n’avait pas fait l’objet de débats parlementaires depuis longtemps » que Patrick Bloche a retenu ce thème. Il préside cette mission d’information avec l’objectif d’étudier « l’évolution récente de la création architecturale française afin d’apprécier sa situation, en France et dans le monde » et « d’identifier les freins structurels au rayonnement architectural français, ainsi que les modifications législatives et réglementaires propres à les lever ». Pour remettre un rapport fin juin, ils auditionnent à un rythme quasi hebdomadaire les représentants d’organismes professionnels, des architectes et d’autres acteurs de la construction. La mission est bien accueillie et tous ses membres sont très attentifs au foisonnement des questions soulevées et aux propositions qui en découlent. Ce foisonnement n’a d’ailleurs rien d’étonnant car le rapport rédigé par le sénateur Yves Dauge en 2004 Métiers de l'architecture et du cadre de vie : les architectes en péril, reste très actuel et les difficultés pesant sur un art d’intérêt public et ses acteurs font l’objet de débats récurrents. 


Insistant sur « la question culturelle », Jean Nouvel joue de l’analogie : « Pour qu’il y ait littérature, il faut des auteurs dont les œuvres peuvent côtoyer des romans de gare. En matière d’architecture, susciter des vocations relève de la volonté d’un pays. Or, au vu du sort réservé aux architectes français, ce métier est humilié. L’architecture est le propre des pays qui confient des programmes forts et des commandes publiques à leurs artistes. Si ces commandes n’existent pas, l’architecture française s’affaiblit de même que sa présence à l’export. » Dénonçant la dégradation des conditions d’exercice, il insiste sur la nécessité de redonner au métier d’architecte « sa vocation et son sens, face au poids croissant des entreprises où le système de sous-traitance lié à des objectifs de rentabilité d’ordre spéculatif entraîne une terrible déqualification alors qu’aux États-Unis, ils sont plus compatibles avec la réalité du BTP ». Il insiste pour que « la vision humaniste du métier ne soit pas perdue au profit des normes caricaturales qu’inspirent des acteurs économiques. » Nicolas Bourriaud, directeur de l’École nationale supérieure des beaux-arts, préfère placer le débat sous l’angle fragile de la beauté : « La beauté paye, mais en France on ne se rend pas compte que, pensé à long terme, le rapport entre les enjeux esthétiques et économiques est plus important qu’il n’y paraît. »


Les représentants de la profession sont revenus sur l’actualité législative (loi ALUR, projet de loi Patrimoine, objectif 500 000 logements…), la complexité croissante des projets, le seuil de recours obligatoire à l’architecte, les méfaits d’une concurrence accrue quand trop de constructions échappent aux architectes et le paradoxe d’une profession paupérisée dont les membres sont moins nombreux en France que dans d’autres pays d’Europe. Autre point central, la nécessité d’un dispositif de soutien à l’export propre aux agences. Lors des auditions, des intervenants ont fait des propositions constructives. Ils ont dénoncé un manque de professionnalisme de la maîtrise d’ouvrage entraînant une trop grande segmentation des missions et le recours croissant à des assistants à maîtrise d’ouvrage aux compétences faibles au détriment de relations directes entre le maître d’ouvrage et l’architecte ; des relations directes souvent plus efficaces pour le projet et la gestion de l’argent public. Les critères de choix des projets et la capacité des jurés des consultations à les évaluer sont d’autres sujets d’inquiétude, sans oublier les effets induits par l’absence de dialogue architecte/maître d’ouvrage dans des concours anonymes.


L’enjeu du logement


Ceci a conduit Patrick Bloche à rappeler que « le cadre des directives communautaires n’empêche pas l’Allemagne de prendre des libertés pour préserver une étape essentielle de dialogue avec l’architecte dans les concours ». Difficile de dire à ce stade si la mission débouchera sur des dispositifs favorables à la promotion d’une architecture ambitieuse – quotidienne ou plus exceptionnelle – et sur des conditions de travail plus sereines. Une source parlementaire indique que si « ces échanges permettent aux députés d’entendre ce qui relève du sensible et des compétences pour l’intégrer dans un état des lieux, la mission doit aussi ouvrir des propositions parlementaires ».

Pour elle, plusieurs thèmes ressortent : « L’enjeu du logement tant collectif qu’individuel, le poids excessif des normes, la façon de favoriser l’ouverture à l’expérimentation et à l’innovation et ce qui relève des modalités du dialogue avec l’architecte. » Par ailleurs, les auditions mettent en exergue « une faiblesse technique des maîtrises d’ouvrage publiques depuis la décentralisation et une inquiétude quant aux solutions quantitatives qui se profilent pour le plan des 500 000 logements », d’après une autre source parlementaire. Celle-ci note également que « la loi sur l’architecture de 1977 et la loi MOP sont de bons textes que l’on tend hélas à dévoyer quand ils pourraient être utiles pour remettre la place de l’architecte en position centrale ».


Quelle représentativité ?


Hormis Vincent Feltesse, président de la Communauté urbaine de Bordeaux, de la Fédération nationale des agences d’urbanisme et auteur du rapport Concertation sur l’enseignement supérieur et la recherche en architecture, ou François de Mazières, qui a longtemps présidé la Cité de l’architecture et du patrimoine, les élus missionnés ne sont pas familiers des questions architecturales. Ce n’est pas nécessairement un handicap dès lors qu’ils les abordent avec pragmatisme.

Au vu de l’abondance des informations transmises par les personnalités auditionnée dont beaucoup sont plus observateurs que praticiens (voir encadré), on espère que les membres de la mission auront assez de temps pour prendre suffisamment de recul et mesurer l'ampleur des enjeux au-delà d’un discours enkysté sur l’export ou des doléances d’une profession trop souvent divisée. Si le panel des personnalités auditionnées ne saurait être infini, on peut aussi s’interroger sur la représentativité de certains témoins.

À cet égard, les envolées autistes de Jean Magerand sur son CV multicarte et la ville du futur parurent susciter la perplexité des membres de la commission. Il faut certes interroger tous les acteurs de la chaîne de production. Dans le cadre de ce questionnement sur la création architecturale française – où la visibilité des talents français sur leur propre territoire et à l’export est sous-jacente – il est curieux que les lauréats du Grand Prix national de l’architecture ou d’autres praticiens ne soient pas plus nombreux à avoir été auditionnés. Au moment où l’absence d’oral dans les concours pose question, une mission sur la création ne doit-elle pas valoriser l’écoute de ces praticiens ? Ils savent mettre en exergue des opérations exemplaires, expliquer l’intérêt d’exercer pleinement leur mission de conseil auprès d’un maître d’ouvrage. Ils savent démontrer que des arbitrages techniques et budgétaires peuvent nourrir un projet. Ils sont combatifs et connaissent les ressources d’une architecture d’auteur.

Relayée par une politique publique culturelle ambitieuse, la force de ces exemples contribuerait peut-être à encourager l’« écosystème intellectuel » favorable à l’envie d’architecture que Vincent Berjot, directeur général des patrimoines, appelle de ses voeux. La reconnaissance ou non de ce métier dépendra de l’aura que l’on saura lui redonner en valorisant la continuité de l’oeuvre d’architectes ayant fait leurs preuves et des talents émergents mais aussi tout ce que l’architecture apporte très concrètement dans des situations variées en termes d’usage et d’économie. Ce défi suppose de réconcilier la commande, la création et le regard porté sur cette création.

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