Dans un monde du travail en perpétuelle mutation, les compétences pluridisciplinaires des architectes sont de plus en plus appréciées. Cette évolution ouvre de nouvelles perspectives aux salariés des agences d'architecture qui savent rarement valoriser l'expérience de leurs employés.
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L'étude Ifop de 2011 sur l'exercice de la profession d'architecte
réalisée pour le conseil de l'Ordre montre l'impact de la crise
économique sur les conditions d'exercice, avec une baisse du revenu
médian de 41 139 euros à 34 299 euros entre 2008 et 2010. La moitié des
804 architectes interrogés (représentatifs des inscrits à l'Ordre en
activité selon le CNOA) ont gagné moins de 27 000 euros en 2010. Quant
au nombre de salariés par agence, il retombe au niveau qui était le sien
juste après le déclenchement de la crise en 2009, soit 1,7 salarié.
L'année 2011 est marquée par une forte progression du nombre d'agences
sans salarié (+ 9 points, à 59 %) et une réduction importante du poids
des petites agences (moins de trois salariés) dans l'ensemble des
agences étudiées (– 8 points, à 20 %). Et si le nombre moyen de salariés
reste étroitement corrélé au chiffre d'affaires et au revenu, l'écart s'est estompé entre
la Région parisienne (1,6 salarié) et le reste de la France (1,7
salarié). Parmi les salariés en agence, on trouve 30 % d'architectes
diplômés, mais leur proportion est en baisse depuis 2005 (– 12 points
en six ans). Les deux autres métiers les plus représentés sont les
secrétaires (22 %) et les projeteurs (issus des écoles d'architecture
sans avoir terminé leur cursus, titulaires de BTS génie civil,
ingénieurs ESTP débutants… : 19 %).
Au-delà des effets des fluctuations économiques, la montée en puissance
de l'organisation du travail au sein des agences et les 35 heures ne
tendent-elles pas paradoxalement à freiner l'emploi, dans un secteur de
tradition libérale où il importe d'ajuster les horaires et les
performances à la nature et au phasage des projets ? Les patrons
prospectent, ont une importante mission commerciale et agissent
également par réseau et affinités. Un salarié s'engage rarement de la
même manière et il peut décider de se limiter à ses horaires. Dès lors,
il n'est pas rare que les architectes qui dirigent les agences
considèrent que le statut de collaborateur libéral permet plus
facilement de pérenniser l'emploi car il favorise une relation de
confiance entre l'architecte et ses collaborateurs, tout en offrant une
certaine liberté à ces derniers.
L'autre phénomène tient à la concurrence qui existe désormais dans tous
les secteurs d'activités entre stagiaires et salariés. Pourquoi des
agences d'architecture, pour beaucoup atomisées, y échapperaient-elles,
alors que, dans tous les secteurs de l'économie, les grands groupes ne
l'excluent jamais, comme en attestent par exemple les bataillons de
stagiaires qui passent chaque année chez L'Oréal ? Évoquer ces points ne
va nullement dans le sens d'une « pakistanisation » du travail, mais
dans celui d'un débat sur ce qu'est le travail aujourd'hui, sur les
attentes des uns et des autres et sur l'engagement implicite propre Ã
certains métiers.
Sur 1 600 diplômés sortant chaque année des écoles d'architecture,
certains possèdent une vraie vocation et d'autres ont plutôt une
première connaissance d'un art complexe. Selon l'enquête Ifop, les
architectes ayant accueilli des diplômés d'État en HMNOP considèrent que
deux ans sont nécessaires pour qu'ils exercent correctement leur
métier. En matière de recrutement, bouche à oreille et cooptation
fonctionnent bien ; les compétences s'acquièrent ensuite et se
pérennisent sur le terrain. Après une expérience plus ou moins longue en
tant que salariés, certains créent leur agence, d'autres évoluent comme
chefs de projet, d'autres encore cherchent une troisième voie Ã
l'extérieur des agences. Tout dépend surtout de ce que l'on attend de ce
métier et de la philosophie de vie que l'on adopte. Concepteur
enthousiaste, passionné de chantier, gestionnaire ou fin commercial,
adepte des horaires en flux tendu ou militant des 35 heures et des RTT,
dady ou mummy cool, chacun peut trouver ses propres pistes en toute
lucidité. Le petit ouvrage 20 Portraits d'architectes publié par
ArchiBat en témoigne.
<http://www.archibat.com/fr/portraits-et-itineraires>.
Rencontre avec Dominique Noël, directrice d'ArchiBat*
DA : Architecte et fille d'architecte, vous avez créé ArchiBat en 1985. Qu'est-ce qui a changé aujourd'hui ?
Dominique Noël : En plaçant mes copains d'école auprès des agences que
connaissait mon père, j'avais vu qu'il y avait un réel besoin. On
dessinait encore à la main et trouver des gens qui dessinaient vite et
bien était difficile. J'ai fondé ma société avant d'obtenir mon diplôme.
Aujourd'hui, les agences nous confient des recrutements pour des
missions temporaires relevant de compétences de plus en plus précises,
mais aussi pour des postes en CDI ou CDD. Nous faisons également du
portage salarial.
En matière de recrutement, après la crise de 2009, la période est Ã
nouveau active depuis mai 2010. En effet, alors qu'une génération part Ã
la retraite, les salariés de trente-cinq à quarante ans qui ont des
responsabilités sont de plus en plus mobiles, donc de nombreux postes
sont à pourvoir. Les compétences se complexifient ; il faut par exemple
être un bon technicien, avoir l'esprit de synthèse et le sens du
management.
Notre équipe – composée d'architectes – ne cesse de rappeler aux
entreprises qu'employer un architecte peut représenter une réelle valeur
ajoutée car ils allient des connaissances techniques, managériales et esthétiques à une maîtrise
des coûts. Nous recrutons de jeunes diplômés, des salariés souhaitant
évoluer ou des libéraux voulant intégrer une entreprise ou un groupe
immobilier. Il y a de nombreux cas de figure et nous suivons nos
candidats tout au long de leurs parcours.
DA : Quels conseils donnez-vous aux architectes qui cherchent du travail ?
DN : Je ne nie pas la difficulté d'accès à la commande, mais au lieu de
m'interroger sur la paupérisation, je vois la valeur ajoutée du métier.
Toute la question est de trouver sa voie. Je suis optimiste car la prise
en compte de cette diversification du métier dans un cadre salarié
permet de sortir du mythe de la voie unique de l'architecte créateur et de répondre efficacement aux nouvelles demandes en mettant en valeur la formation pluridisciplinaire des architectes et leur facilité d'adaptation.
Au-delà des agences, ils sont appréciés dans de nombreux domaines. Une part de notre clientèle est ainsi constituée
d'entreprises publiques ou privées, d'universités, de groupes
immobiliers, de banques ou d'assurances, d'enseignes commerciales… Tous ceux qui ont un patrimoine Ã
gérer créent des postes au sein des directions immobilières. La gestion
du patrimoine est une tâche importante pour le service technique
interne d'une entreprise. Un architecte peut en assurer le management et
contribuer aux études de faisabilité et de programmation afin
d'optimiser la maintenance du parc immobilier. Quand une direction
immobilière sollicite des architectes extérieurs, il faut également
préparer en interne la commande ou le cahier des charges du concours. LÃ
aussi des architectes sont nécessaires. Ils interviennent dans
l'ensemble des métiers du cadre bâti en maîtrise d'œuvre et en maîtrise
d'ouvrage. Les logiciels de gestion et de facilities sont rapidement
maîtrisés par les architectes juniors. Au fur et à mesure de leurs
parcours, leurs connaissances du chantier et des coûts de travaux se
pérennisent ; l'architecte a alors sa place dans une équipe
pluridisciplinaire dirigeant la gestion et la maintenance d'un ensemble
immobilier.
DA : Pourquoi les boutiques et le créneau de la gestion du patrimoine immobilier ouvrent-ils selon vous de bonnes pistes ?
DN : Depuis une dizaine d'années, nous sommes régulièrement consultés par des entreprises sur des fonctions de facilities management consistant à recenser un patrimoine
bâti et à mettre à jour les plans. À la fin des années quatre-vingt-dix,
avec l'apparition de l'informatique, il a fallu monter des équipes dirigées
par des architectes pour refaire des plans et appliquer ces procédures
informatiques à la programmation et à l'estimation des investissements
en matière de maintenance et travaux neufs.
Les DRH que je rencontrais à l'époque voulaient des ingénieurs, mais ces derniers étaient alors attirés par le marché des nouvelles technologies. J'ai donc mené une croisade en
faveur des architectes et certains ont été recrutés dans des entreprises
comme Sanofi, la Société Générale, DaimlerChrysler, Canal + ou encore
France Galop pour les hippodromes, avec des fourchettes de salaire
allant de 50 000 euros à 120 000 euros annuels pour les différents
postes en maîtrise d'ouvrage, immobilier, gestion de patrimoine. Le salaire annuel le plus important proposé à un architecte à ArchiBat
s'élevait à 180 000 euros pour un poste au sein d'une grande marque de
luxe.
Nous avons vu que l'architecte était performant par sa formation
polyvalente, ses connaissances techniques et sa maîtrise des logiciels
de dessin. Il est également apprécié pour la réalisation des audits et
son rôle de conseil auprès de la Direction. Grâce à sa formation
polyvalente, il est aussi à l'aise dans des fonctions techniques,
commerciales et créatives. L'autre secteur où les architectes sont
sollicités est le retail, c'est-à -dire les boutiques et l'architecture
commerciale. Depuis une première demande de l'enseigne GAP en 1997, j'ai
prospecté un grand nombre de chaînes et d'enseignes de luxe. Beaucoup
d'entre elles possèdent désormais des équipes internes d'architectes
âgés en moyenne de trente à quarante-cinq ans.
DA : Comment un chef de projet licencié à cinquante ans après des années d'expérience peut-il rebondir ?
DN : Après cinquante ans, avec une connaissance complète du métier, une maîtrise de toutes les phases du projet, une
bonne expérience du chantier et une maîtrise des coûts, un chef de
projet peut intégrer des sociétés d'ingénierie, d'immobilier et de
gestion de patrimoine en tant que directeur travaux, chargé d'affaires, directeur technique…
* À la Maison de l'architecture d'Île-de-France, ArchiBat anime
régulièrement les deux ateliers Emploi : « Jeunes diplômés, premier
emploi » et « Salariés, repositionnement professionnel ».
Le point de vue de l'architecte Éric Pannetier
Huit ans salarié avant d'ouvrir sa propre agence, Éric Pannetier
témoigne : « Jean Nouvel m'a appris que l'on peut magnifier la technique
et non la subir. Christophe Lab m'a appris ce que sont l'abnégation,
l'engagement pour mener un projet. Lorsque le maître d'ouvrage du quai
Branly a sabré certaines prestations au stade du chantier, Nouvel a saisi cette
opportunité pour retravailler son projet sans rien y perdre. Il y a
quelque chose de viscéral dans le travail du projet. Quand on est
salarié dans ces agences, on doit partager cette vision, ce qui suppose
d'avoir envie de donner du sens à sa vie. Salarié ou non, les horaires
ne sont pas une science exacte en architecture ; c'est un peu comme en
médecine. »
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