Victor Enrich, la contamination du monde réel par le monde virtuel

Rédigé par Olivier NAMIAS
Publié le 18/06/2012

Tongues (Langues)

Article paru dans d'A n°210

Deux entités antagonistes fusionnent dans les images de Victor Enrich. Ses collages numériques superposent le monde réel à un double distordu. Où finit le premier ? Où commence le second ? En maître de la métamorphose, cet architecte photographe voyageur nous invite à douter avec lui…

Avant de devenir photographe, Victor Enrich réalisait des images de synthèse pour les architectes catalans et passait le plus clair de ses journées à fabriquer des vues réalistes de bâtiments qui n'existaient pas. Architecte lui-même, il s'était engagé dans la voie de la visualisation pendant ses études à Barcelone. La crise de l'immobilier en Espagne et l'apparition sur le marché du rendering 3D d'agences proposant de délocaliser la production d'images ont été les prétextes attendus pour rompre avec une vie professionnelle qui ne le satisfaisait plus.

Il ralentit son activité de perspectiviste, passe deux années en Lettonie, puis en Israël, un séjour qui lui permet de mettre au point sa méthode de travail. « J'étais parti à Tel-Aviv pour rendre visite à un ami. Je ne comptais rester que deux semaines, j'y suis finalement resté près de deux ans. Le contact avec les milieux artistiques a été très bénéfique pour mon travail, qui a atteint un niveau qu'il n'avait pas jusque-là. Â»

Il réalise ses dernières images de 3D professionnelles pour une agence d'architecture locale, ce qui lui vaut d'être expulsé du pays pour travail illégal. Ce coup de pied de l'administration lui donne l'occasion de poursuivre son existence nomade : on le retrouve en Allemagne, à Munich, où il travaille quelque temps dans un organisme social s'occupant de personnes âgées et handicapées. Une façon d'entrer en contact avec la réalité d'un lieu, tout en subvenant à ses besoins. L'errance va de pair avec une quête de soi-même : « J'avais mis un terme à mon activité d'infographiste pour savoir ce que j'avais en moi, voir si je pouvais exprimer quelque chose de vraiment personnel Â», explique Enrich. Il vagabonde désormais dans les villes au gré de ses amitiés et envisage aujourd'hui de se replier six mois dans un ashram du Sud de l'Inde afin de se consacrer à son Å“uvre sans être distrait par le monde extérieur.


Collages numériques

Spectaculaires et humoristiques, les images d'immeubles mous ou de tours dansantes réalisées par Enrich en Israël ont rapidement fait le tour du monde via Internet. Si Enrich n'est pas le premier photographe à profiter du numérique pour distordre la réalité – on pense aux montages du Belge Filip Dujardin, par ailleurs photographe d'architecture –, personne ne l'a fait avec autant de sérieux et de systématisme, hormis peut-être Simon Boudvin.

Le processus de production de chaque image est complexe. Il commence par des promenades urbaines au cours desquelles Enrich repère ses sujets. La recherche du bon point de vue est laborieuse : Enrich prend beaucoup d'images du site et peut revenir plusieurs fois sur le même lieu pour trouver celui qui lui conviendra. Après avoir réalisé un montage autorisant l'agrandissement futur de l'image, Enrich retourne aux logiciels de 3D qui firent son quotidien durant quinze ans. Il modélise le bâtiment qui sera le sujet principal de l'image. Un travail plus ou moins long selon le type d'architecture : un immeuble néo-classique sera bien sûr plus long à modéliser qu'un bâtiment moderniste.

Enrich s'arrête à un niveau de détail réaliste et applique ensuite des déformations à cette maquette numérique. Après le passage dans un moteur de rendu, le raccord entre la 3D et la photographie constitue la dernière étape de ce processus qui peut durer quatre semaines. C'est au cours du travail de manipulation de la maquette que naît véritablement l'image : « pour Defense par exemple, j'ai ajouté des cubes, modifié la masse du bâtiment existant pour arriver au résultat final Â». L'immeuble du front de mer de Tel-Aviv est devenu un pistolet pointé vers la Palestine… Il faut se garder d'y voir un propos politique, mais plutôt l'expression d'un imaginaire hanté par les références multiples, parmi lesquelles figure inévitablement son compatriote Salvador Dalí.

S'il n'a jamais fait encore d'images à Barcelone, sa ville natale, Victor Enrich a réalisé des repérages à Munich, Paris, Istanbul et compte bien exploiter ce fonds. Rien n'est encore dévoilé, mais le photographe prévoit de réaliser des métamorphoses moins spectaculaires. « C'est désormais le rapport entre le réel et l'imaginaire qui m'intéresse et je voudrais que dans mes prochaines images, la différence entre l'un et l'autre soit à peine discernable. Â» Car dans ce type de montage numérique, tout le jeu consiste à s'approcher au plus près de la réalité. À Tel-Aviv, l'office du tourisme est régulièrement obligé d'avouer aux visiteurs curieux d'aller voir « la tour coupée en deux Â» (celle que l'on voit sur la photo d'Enrich appelée Shalom) qu'elle est peut-être moins spectaculaire qu'ils ne pensent…


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