Architecte : Simón Vélez Rédigé par Dominique GAÜZIN-MULLER Publié le 03/12/2018 |
Ressource
renouvelable à croissance rapide, transformable en matériau de construction
avec un processus de production simple, le bambou est une alternative
performante au béton, à l’acier ou au bois. Simón Vélez et Stefana Simic,
associés au bureau d’études structures français C&E ingénierie, en ont fait
une démonstration magistrale avec le pavillon qui a servi d’écrin aux
photographies de Matthieu Ricard lors des rencontres de la photographie d’Arles
2018.
Du 2 juillet au 23 septembre 2018, les Rencontres de la photographie d’Arles ont accueilli un pavillon présentant l’exposition « Contemplation » de Matthieu Ricard, docteur en génétique cellulaire, écrivain et moine bouddhiste tibétain. Ses 40 portraits ou paysages de grand format, imprimés sur du papier japonais dont la technique de production remonte à 1 400 ans, sont complétés par une citation manuscrite. L’installation monumentale en bambou qui les accueille tisse des liens entre architecture et photographie : dans ce « lieu de sérénité », les jeux de lumière subliment le clair-obscur des clichés en noir et blanc. Ce pavillon qui a passé l’été sur la berge du Rhône, face à la vieille ville d’Arles, a été conçu par l’architecte colombien Simón Vélez et son associée, Stefana Simic. Premier bâtiment réalisé en préfabrication par le duo, il peut être démonté, transporté et réassemblé dans tous les lieux où l’exposition « Contemplation » sera accueillie.
Un matériau qui fixe le carbone
Le
bambou est une graminée géante originaire des zones tropicales et subtropicales
d’Asie et d’Amérique, mais on le trouve aussi dans les régions chaudes et
humides d’Afrique et d’Océanie. Il peut même pousser en altitude, comme dans l’Himalaya,
voire dans des pays tempérés, comme en Europe, où il a été importé. Parmi plus
d’un millier d’espèces, certaines supportent de fortes sécheresses, d’autres
des inondations et quelques-unes résistent au gel. Sa
culture ne nécessite que peu voire pas d’engrais ni de produits phytosanitaires,
et on l’utilise en phytoremédiation pour l’élimination de certaines toxines du
sol. Grâce à un réseau racinaire très dense, il limite l’érosion et restaure
des sols appauvris. L’étroitesse de ses feuilles améliore aussi l’infiltration
de l’eau dans le sol. Mais à l’ère de l’urgence climatique, le bambou a surtout
un énorme avantage : il peut fixer 30 % de CO2 de plus que les arbres feuillus et libère 30 % d’oxygène de plus.
Le chantre du bambou
Depuis plusieurs décennies, Simón Vélez exploite les propriétés du bambou et
lui donne ses lettres de noblesse. Son spectaculaire pavillon de la Colombie à l’Exposition universelle de
Hanovre en 2000, son imposante
église sans religion à Cartagena en Colombie et son intervention à la Biennale de Venise en 2016
lui ont assuré une reconnaissance internationale. Sa démarche environnementale, à la
croisée du vernaculaire et de la modernité, fait usage d’une ressource issue du
territoire pour un marché local : le bambou guadua. D’un rapport
poids/résistance supérieur à l’acier et d’une remarquable résilience, il ouvre
de nouvelles possibilités pour l’architecture, mais aussi pour le génie civil. Simón
Vélez a ainsi réalisé plusieurs ponts, dont une passerelle surplombant l’autoroute
Bogotá-Medellín. Ses
structures élégantes à la géométrie complexe valorisent non seulement des
matériaux tirés de la nature et peu transformés, mais aussi le travail des
artisans, avec la volonté de diffuser les connaissances et de partager les
savoir-faire.
Inspiration vernaculaire
Le pavillon construit à Arles est impressionnant :
70 mètres de longueur, 10 de hauteur ! Il est inspiré des malocas des tribus amérindiennes,
implantées près des fleuves Amazone ou Orénoque. Ces grandes maisons
communautaires sont constituées d’un seul espace, souvent circulaire, ouvert
sur l’extérieur et couvert d’un épais toit de palmes porté par une charpente en
bois posée sur de puissants piliers. En déclinant ce symbole du lien sacré
entre l’Homme et son environnement, Simón Vélez place la nature et sa
spiritualité au cœur du projet, en écho à l’engagement humaniste de Matthieu
Ricard.
Travailler avec la nature
La salle d’exposition centrale de 400 m2
est entourée d’une large coursive extérieure invitant à une promenade méditative.
Pour l’architecte colombien, « “Contemplation” illustre à quel
point il est extraordinaire de travailler avec la nature ». La conception
bioclimatique privilégie la
ventilation naturelle et la régulation de la chaleur et de l’humidité grâce une
couverture en roseaux. Le
bambou est omniprésent en structure mais aussi en panneaux pour la sous-face de
la toiture, le cloisonnement et le revêtement de sol. L’esthétique
contemporaine est apportée par sa combinaison avec des connecteurs industriels en
acier et en aluminium recyclé moulé. Les Rencontres de la
photographie d’Arles 2018 ont fermé leurs portes le 23 septembre. Le
pavillon, déconstruit en laissant le site intact, sera bientôt remonté ailleurs
pour disséminer son message de fraternité.
Transfert
Colombie-France
Construire avec un matériau de construction non
référencé
L’architecte-ingénieur
Jean-Marc Weill est directeur du bureau d’études
français C&E Ingénierie, spécialisé dans les structures
environnementalement performantes. Il a été chargé par Simón Vélez et Stefana Simic d’assurer
la concrétisation de leur pavillon à Arles.
Il nous décrit les multiples avantages du bambou, la difficulté de construire
avec un produit naturel à géométrie et qualité variables et la force de la mise
en commun des compétences des deux côtés de l’Atlantique.
D’a :
Quelle est la place du bambou parmi les matériaux éco-locaux ?
Après les scandales liés à l’amiante et au plomb, les
soupçons qui pèsent sur les éthers de glycol et l’urgence actuelle de la lutte
contre les gaz à effet de serre, la nécessité de recourir à des matériaux sains
et « bas carbone » devient peu à peu une normalité partagée. Le pavillon
de l’exposition « Contemplation » démontre que l’emploi du bambou
peut être une des solutions. Cette graminée ligneuse, dont on redécouvre l’emploi en architecture, convainc
par une résistance mécanique située entre le bois et l’acier et par une
remarquable maniabilité. Sa vitesse de croissance est supérieure à celle de toutes
les essences d’arbres : il est récolté après environ cinq ans. Dans ses
pays d’origine d’Asie et d’Amérique du Sud, où la plante est abondante, il est déjà
considéré comme un matériau de construction performant. Les projets s’y inspirent
souvent de la tradition locale et du savoir-faire des populations, et
représentent un facteur de développement économique local. En Europe, l’intérêt
pour le bambou a commencé au début des années 1990 pour ses qualités de plante
de jardin puis pour ses capacités dépuratives, moins connues mais très
importantes.
D’a :
Quels sont ses avantages pour la construction ?
Quand
vous coupez un bambou, vous ne détruisez pas la forêt ! Les tiges qui ont
été utilisées à Arles viennent de Colombie. L’espèce endémique Guadua angustifolia
constitue la ressource forestière la plus abondante de ce pays, et compte parmi
les meilleurs au monde pour ses qualités constructives. On la
surnomme d’ailleurs « l’acier vert ». Grâce à ses propriétés mécaniques performantes, sa grande flexibilité, une
faible masse et des coûts d’achat réduits, le bambou est un matériau de
construction riche en potentiel d’utilisation. Son design creux naturel est
structurellement beaucoup plus efficace qu’une section massive rectangulaire,
comme celle des sciages de bois : à fonction égale, la masse de matériau à
utiliser est beaucoup moins importante. Par ailleurs, la tige de bambou est séchée à l’air libre, sans l’utilisation
d’une chambre de séchage, ce qui limite son coût énergétique, donc la charge
environnementale.
D’a :
Sous quelle forme avez-vous utilisé le bambou dans ce pavillon d’exposition ?
Le projet est
constitué de 1 800 tiges de bambou de 3 à 10 mètres de long et de
3 000 m2 d’esterillas.
Ces panneaux sont employés pour la sous-face de
la toiture et le support des photographies, avec des portées de 0,48 et de 0,67 mètre
selon l’entraxe entre les éléments porteurs. Ils sont constitués de lamelles de
bambou de 10 millimètres d’épaisseur et d’environ 2 centimètres de
largeur. D’autres panneaux en bambou très travaillés, épais de 16 millimètres,
sont utilisés pour le revêtement du plancher.
D’a :
À quels problèmes avez-vous été confrontés pour concrétiser ce projet ?
Tout était
nouveau : l’utilisation d’un produit non référencé en Europe comme
matériau de structure, le développement de modes d’assemblage limitant le
nombre de perçage et une production à cheval sur deux pays. L’étude de
faisabilité initiale a été réalisée par l’ingénieur colombien Andres Gomez
Roldan. Au cours des études, nous nous sommes heurtés à deux problématiques. Le
bambou n’est reconnu pour ses qualités structurelles ni par les normes
françaises ni par les normes européennes. Pour concevoir un bâtiment recevant
du public en bambou, nous nous sommes donc documentés sur des exemples étrangers
et sur les règles de calcul en usage en Colombie, pays de provenance du matériau.
Cela nous a permis de déterminer en concertation avec le contrôleur technique
du bureau Veritas, Fabrice Cousin, un cadre de justification acceptable au sens
de la sécurité et de la solidité à garantir. La deuxième problématique était
liée à la mise en œuvre. Le contexte du projet, un pavillon d’exposition
démontable et remontable dans des temps courts, a imposé une forte anticipation
en amont du chantier. Ce travail a été mené par le bureau d’études de l’entreprise
GTM Sud, une filiale de Vinci Construction France également en charge de
toute la partie opérationnelle de l’opération dans le cadre d’un mécénat de
compétences.
D’a : Quel a
été le processus, depuis les esquisses en Colombie jusqu’à la mise en œuvre en
Arles ?
Le bambou est un
matériau naturel non industrialisé, qui a non seulement une qualité variable mais
aussi une géométrie variable : le diamètre est différent aux deux
extrémités de la tige. Pour maîtriser toutes ces contraintes, deux membres de l’équipe
française sont d’abord allés en Colombie pour valider un prototype et apprécier
la qualité des éléments et le temps de montage : Marie Dronneau-Mazeau, architecte-ingénieur
en charge du projet dans notre agence, et Anne Visier-Espuny, ingénieur méthode
de GTM Sud. À partir de cette base, le projet a été intégralement modélisé
chez C&E Ingénierie sur
maquette numérique BIM par l’architecte Alexandre Noceto. Cela a facilité la
conception des assemblages ainsi que la logistique de mise en œuvre de la
structure, en étroite concertation avec les ingénieurs et les techniciens de
GTM Sud présents sur le site. L’enjeu était notamment d’anticiper, dès le
stade de la conception, les contraintes liées aux incertitudes dimensionnelles
d’un matériau naturel, produit en Colombie mais destiné à être assemblé sur des
pièces mécaniques réalisées en Europe. Les bambous ont quitté la forêt
colombienne en avril 2018 et sont arrivés un mois et demi plus tard. Ils n’ont
subi aucun traitement spécifique. Après trois mois de préparation, six semaines
de montage ont été nécessaires pour pouvoir accueillir les visiteurs sur les 1 000 m2
du pavillon.
D’a : Quel système constructif
avez-vous retenu pour ce pavillon d’exposition ?
Le pavillon devait être démontable, donc composé d’éléments
facilement maniables. Il est réalisé sur le principe d’une structure « à
la Philibert Delorme », constituée de petits éléments assemblés
mécaniquement avec peu d’instruments de levage. Le système constructif
repose sur la mise en œuvre d’une succession de fermes et demi-fermes en bambou
de 120 millimètres de diamètre. L’ensemble est maintenu par une série de
cerces, armatures cintrées horizontales en tubes d’acier de 114,3 millimètres
de diamètre qui ceinturent le pavillon. Les assemblages sont tous conçus comme
des articulations. Ils sont essentiellement fixés par des boulons (tiges
filetées et écrous), dont les entraxes sont issus de la norme de calcul
colombienne. La connexion bambou-acier est la plus courante du projet. Elle
permet d’assembler chaque extrémité des éléments en les sollicitant dans le
sens des fibres. Pour limiter la détérioration des éléments lors du serrage et
transmettre au mieux les efforts mécaniques, des coupelles en aluminium recyclé
moulé sont intercalées dans l’assemblage par tige filetée. Du fait de l’emboîtement
de cette pièce dans le bambou, cette connexion n’est pas apte à reprendre les
efforts de traction, qui sont assurés par des tirants métalliques. Les assemblages
principaux acier/acier sont le manchonnage des cerces et l’assemblage des
éléments du socle. La stabilité de l’ensemble
est réalisée par un lest « hors sol » démontable. La souplesse
de cette structure intégralement réversible facilitera son intégration dans un
autre site, en Europe ou sur d’autres continents, dans les limites imposées par
les conditions climatiques locales.
D’a :
Le bambou ayant été importé de Colombie, peut-on parler d’économie
locale ?
Dans
les pays où il est courant, le bambou est très bien adapté au principe du circuit court applicable aux matériaux de
construction : production, transformation et mise en œuvre dans le même
territoire. Dans ce projet, l’économie locale joue sur deux sites. D’abord la
Colombie, qui a produit le bambou guadua et les pièces d’assemblage en
aluminium recyclé moulé avec une économie de moyens maîtrisée. Ces matériaux
ont été transportés vers Arles par voie maritime, avant d’être montés par les
équipes de GTM Sud, conseillé par le chef de chantier travaillant avec Simón Vélez.
Mais des entreprises du Sud de la France ont également été impliquées :
les éléments en acier de la charpente et la couverture en roseaux de Camargue
proviennent du tissu industriel et artisanal local. Le Groupe Noel a eu la
charge de la préparation des pièces métalliques de liaison et des tubes formant
les entretoises du pavillon. Les Toits de Camargue ont assuré
la fourniture et la pose de la toiture en chaume. Les 5 000 pièces
de la construction ont donc été produites et assemblées par des acteurs colombiens
et français, unis par une énergie commune qui a favorisé le croisement des
connaissances et la transmission des savoirs.
Maître d'ouvrage : Fonds de dotation Contemplation
Maître d'oeuvre : Simón Vélez et Stefana Simic
Surface SHON : 1 000m²
Date de livraison : 2018
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