Transformations silencieuses : vers plus de commun et de diversité

Rédigé par NICOLAS BISENSANG, JULIA TOURNAIRE, BENJAMIN AUBRY, ERWAN BONDUELLE
Publié le 25/08/2020

Les habitants de la Casa des Sportifs profitent des espaces généreux d’une vaste maison familiale de Maisons-Alfort

Dossier réalisé par NICOLAS BISENSANG, JULIA TOURNAIRE, BENJAMIN AUBRY, ERWAN BONDUELLE
Dossier publié dans le d'A n°283

Les territoires pavillonnaires n’ont jusqu’à présent qu’une très faible valeur patrimoniale. Construits la plupart du temps sans urbanistes ni architectes, ils ne sont ni un lieu que l’on visite ni un terrain que l’on cherche à protéger. Pourtant, lorsque l’on arpente ces territoires, et surtout ceux composés de « maisons-projet Â» ou lots libres, c’est tout un pan de l’histoire française qui se donne à voir dans l’épaisseur des multiples couches de récits individuels et collectifs qui les composent, et dans le détail des modifications apportées aux maisons d’origine.

Après avoir installé une véranda en extension du salon, Monsieur G. s’est construit son propre atelier de menuiserie et de microbrasserie au fond du jardin. Il y a installé toutes ses machines et va ainsi pouvoir, pendant sa retraite, confectionner du mobilier et distribuer sa propre production de bières artisanales. Monsieur A. a décidé de réaménager tout le premier étage de sa grande maison familiale dans laquelle il habite désormais seul et de le diviser en trois appartements indépendants à louer. Grâce à un escalier en colimaçon installé en prolongement de la terrasse, les locataires peuvent directement accéder à leurs logements sans passer par le rez-de-chaussée. Madame et Monsieur K. ont eux aussi apporté de multiples transformations à leur maison individuelle construite dans les années 1980 : autoconstruction d’un garage-atelier en structure bois en contrebas du jardin, réaménagement de l’ancien garage en appartement indépendant pour leurs enfants devenus grands et ouverture de la chambre du fils aîné sur le jardin arrière pour profiter de la cuisine d’été couverte et également autoconstruite.

Ces transformations, mues pas un métabolisme endogène à chaque unité parcellaire, illustrent la grande malléabilité des territoires pavillonnaires qui évoluent en même temps que leurs habitants. De ces mutations néovernaculaires se dégage d’ailleurs une esthétique spécifique au pavillonnaire, révélant le rôle majeur de la maison individuelle dans l’économie de la construction et du bricolage. De la même façon, de nouveau usages infusent peu à peu dans ces territoires sans que ces évolutions ne soient cette fois visibles de l’extérieur. Des personnes s’y installent pour vivre à plusieurs selon des formats collectifs atypiques, bénéficier d’un espace de travail en lien avec leurs espaces de vie, cultiver leur jardin en permaculture et atteindre un certain degré d’autosuffisance. La voiture n’y est plus forcément indispensable : on fait soi-même son pain, on va chercher son panier à son amap à vélo et on va au travail en covoiturage avec le voisin ou en train en laissant son vélo à la gare. Des territoires monofonctionnels, au départ uniquement dédiés à l’habitat individuel, se remplissent ainsi de pratiques plus diversifiées et plus collectives jusqu’au développement d’une certaine forme d’économie domestique, qui va sans doute encore s’accentuer avec l’évolution des modes de vie, de travail et de consommation, et l’essor des plateformes internet de services.

 

L’essor du coliving

Un certain marché tend même à se structurer sur le lit de ces nouveaux usages, preuve qu’ils gagnent du terrain. Avec la plateforme internet Maison 2 Familles1, il est désormais possible d’acheter une maison à plusieurs. La plateforme dirige la création d’une communauté de coacquéreurs, établit le montage juridique de l’opération, étudie plusieurs scénarios de réaménagement du bien et, enfin, coordonne les démarches pour son acquisition. Avec l’Esplanade2, le constructeur Maisons Évolution a quant à lui voulu adapter son offre au nouveau concept du coliving. Partagée en six espaces privatifs, avec un espace commun aménagé en rez-de-chaussée, cette maison peut soit être louée entièrement à de jeunes étudiants et travailleurs, soit être habitée en partie par les propriétaires, qui cohabitent alors avec leurs locataires. Dans la continuité de ces programmes de colocation, nous pouvons également citer La Casa3, start-up immobilière de location qui propose d’investir des maisons familiales à plusieurs pour y créer des communautés de coliving fondées sur des intérêts communs. Des chambres sont ainsi disponibles à La Casa des Sportifs 2 à Maisons-Alfort, La Casa des Chefs à Rosny-sous-Bois ou encore La Casa du Cinéma à Créteil. La Maison Bleue4, « laboratoire de vie Â» autogéré regroupant 14 habitants à Bourg-la-Reine, ou Seed-Up5, la première hacker house de France à l’origine établie à Antony, sont d’autres exemples de pavillons familiaux réinvestis en colocation. Ce « phalanstère du XXIe siècle Â» développe un modèle entrepreneurial paternaliste novateur logeant et employant une dizaine de jeunes passionnés des nouvelles technologies, cohabitant et cotravaillant donc tous dans la même maison-atelier. Solidarités Nouvelles pour le Logement réhabilite également des maisons familiales, à des fins sociales cette fois, pour l’accueil de personnes en grande précarité. Ces acteurs du logement social ont récemment conclu un bail à réhabilitation de vingt-cinq ans avec le propriétaire d’un pavillon de 127 m2 à Sainte-Geneviève-des-Bois pour la transformation de la maison existante et la construction sur le terrain de logements collectifs à loyer modéré6.

 

Mille manières d’habiter

Même si les initiatives se font plus rares du côté des services ou des espaces de travail, toutes ces conversions, qu’elles soient bricolées ou structurées, familiales ou entrepreneuriales, nous montrent que les territoires pavillonnaires peuvent absorber d’autres récits et parcours de vie. Comme toute forme urbaine, la forme pavillonnaire et son pavillon ne sont pas immuablement destinés à n’accueillir et à ne perpétuer qu’un seul mode de vie et qu’un seul imaginaire. Au contraire, il semble qu’ils puissent être symboliquement et physiquement investis différemment, par des manières d’habiter par exemple plus collectives, qui rappellent d’ailleurs les origines coopératives des zones pavillonnaires. Constructeurs expérimentés de maisons individuelles en location-attribution, les coopératives d’habitation se sont en effet vues attribuer les premiers marchés pour la construction de lotissements « nouvelle génération Â», comme le Villagexpo à Saint-Michel-sur-Orge. Depuis, les territoires pavillonnaires restent des terrains privilégiés pour l’établissement de coopératives habitantes, d’habitats participatifs et autres oasis7.

Dans certains quartiers pavillonnaires aux transformations manifestes, il est même possible d’apercevoir et d’appréhender ce que pourrait être la ville pavillonnaire : une ville avec différentes échelles de pratique où s’invente une urbanité spécifique. Une urbanité qui ne serait pas celle de la ville dense mais qui ne serait pas non plus celle de la grosse machine commerciale qui draine ces territoires majoritairement monofonctionnels. En rendant visibles les pratiques habitantes qui ne rentrent pas dans le stéréotype de « l’habitant-propriétaire-tranquille-dans-sa-maison Â» ou même de « l’habitant-propriétaire-économe-la-conscience-tranquille8 Â», dont parlent Anne Bossé, Laurent Devisme et Marc Dumont, et en construisant de nouveaux récits pour les territoires pavillonnaires, peut-être deviendront-ils des lieux de projection d’autres possibles, capables d’absorber et même d’impulser les grandes évolutions sociétales en cours et à venir.

 

1. https://maison2familles.immo

2. www.maisonsevolution.fr

3. https://lacasa.io

4. la-maison-bleue.org/le-projet/

5. www.seed-up.io

6. www.solidarites-nouvelles-logement.org/ou-nous-trouver/snl-essonne/gls-de-sainte-genevieve-des-bois/

7. Carte des oasis et des habitats participatifs à consulter sur www.colibris-lemouvement.org/projets/projet-oasis

8. Anne Bossé, Laurent Devisme, Marc Dumont, « Actualité des mythologies pavillonnaires. Le périurbain comme quasi-personnage Â», dans Les Annales de la recherche urbaine, « Individualisme et production de l’urbain Â», n° 102, 2007, pp. 141-152.

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