Dire et faire autrement l'architecture dans un monde en mutation - Éthique et ressources

Rédigé par Stéphanie SONNETTE
Publié le 23/04/2017

Pour la Biennale, amàco réalisera une fabrique de briques de terre crue pour sensibiliser aux potentiels de ce matériau local, écologique et peu coûteux.

Dossier réalisé par Stéphanie SONNETTE
Dossier publié dans le d'A n°253

Lors de la Biennale, plusieurs propositions donneront à voir in situ la transformation de matières brutes (terre, pierre, chanvre…) ou d’objets de récupération (des skis, des coques de bateau…) en ressources constructives. À travers ces installations participatives et ludiques, c’est le processus même de fabrication de la ville et des bâtiments qui est mis en question, dans ses filières, ses modes de faire et son modèle économique. 

Le concept d’économie circulaire1 appliqué à la construction incite aujourd’hui à s’interroger sur le cycle de production, de vie (et de mort !) des bâtiments. Alors que le monde de la construction s’active à produire des bâtiments énergétiquement performants, le concept met à jour tout l’intérêt, non pas seulement de limiter les consommations d’eau, de chauffage et d’électricité, ou de recycler des matériaux ou des déchets de construction, mais d’économiser les ressources (matière et énergie) à la source, en questionnant la matière utilisée, sa quantité, sa provenance, son bilan énergétique, sa capacité ultérieure à être réutilisée. Les expérimentations proposées à la Biennale, par des équipes qui travaillent depuis longtemps sur la question des ressources, des matériaux et du réemploi (amàco, les Grands Ateliers Innovation Architecture, Corentin Fivet/EPFL…), sont une manière de tester collectivement la mise en oeuvre de ces matériaux, la pertinence et la faisabilité du réemploi dans le domaine de la construction. Pour alimenter ces expériences, deux tables rondes animées par Valérie Disdier d’Archipel mettront en présence des praticiens et des chercheurs : « Utopie ? une culture constructive éthique » réunira Gilles Perraudin, Pascal Rollet (Lipsky+Rollet, ENSA Grenoble), Alain Vargas (Tectoniques) et Corentin Fivet (Laboratoire d’Xploration Structurelle – EPFL), et « Utopie ? des pratiques alternatives » avec Sophie Ricard (Construire), Julien Choppin (Encore Heureux), Émilien Robin (Boidot & Robin). 

 

Matières à construire 

Terre, pierre, paille, bois (ré)intègrent petit à petit le champ de la construction grâce à leurs qualités structurelles et esthétiques, leurs vertus écologiques, économiques et locales. Ils tentent de trouver leur place dans un système qui continue pour l’instant à privilégier des process, des matériaux et des techniques industrialisés. À la Biennale, plusieurs propositions montrent que des alternatives sont envisageables. « Qui es-tu brique ? » est la question posée par l’Atelier Matières à Construire amàco, à la manière dont Louis Kahn demandait « Que veux-tu, brique ? ». Depuis plus de dix ans, l’atelier vise à « revaloriser, de manière sensible et poétique, les matières brutes les plus communes et élémentaires telles que le sable, l’eau, les fibres ou la terre », et prône la « redécouverte du génie du naturel et de la simplicité ». Pour la Biennale, amàco met en place une fabrique de briques de terre crue à l’intérieur de la Sucrière et questionne la place et les potentiels de ce matériau local, écologique et peu coûteux dans la production architecturale contemporaine, à l’heure où les techniques traditionnelles du pisé, de la bauge et du torchis, réactualisées par les travaux de Martin Rauch, d’Anna Heringer ou de Marcelo Cortes commencent à susciter l’intérêt des architectes, des constructeurs, des maîtres d’ouvrage, mais aussi du grand public. 

 

Explorer les potentiels du réemploi 

Si le réemploi semble peu compatible avec le système actuel de production de la ville et du bâti, qui fonctionne encore sur un modèle linéaire : « extraire, fabriquer, consommer, jeter », le réemploi est devenu un champ d’expérimentation pour de nombreux chercheurs et praticiens. Julien Choppin estime que « les lignes commencent à bouger. Les maîtres d’ouvrage, les promoteurs, les entreprises comprennent les enjeux, ils veulent nous accompagner dans l’expérimentation. La loi aussi évolue. L’idée du “permis de faire”, c’est une ouverture, et la question du réemploi ou de l’économie circulaire commence aujourd’hui à être intégrée dans les appels d’offres ». La Biennale est l’occasion d’explorer diverses applications possibles du réemploi. Avec son pavillon nomade en vieux skis simplement assemblés par des boulons, l’équipe du Laboratoire d’Xploration Structurelle (SXL) de l’EPFL cherche à sensibiliser au potentiel du réemploi pour la conception de structures porteuses dans le bâtiment (voir l’entretien avec Corentin Fivet page 61). Proposée par le collectif Craft Test, l’installation « Coques en stock » qui sera montée sur la façade de la Sucrière pendant le temps de la Biennale donne une seconde vie à des bateaux hors d’usage, abandonnés sur les cours d’eaux navigables. Ici, ce ne sont pas les matériaux qui sont valorisés mais les objets eux-mêmes, détournés pour produire une « architecture de la récupération ». 

 

Agriculture éphémère productive 

Entre l’Hôtel de région et le musée des Confluences, sur le site de la seconde phase du projet urbain Lyon Confluence, l’équipe de Fabriques investit 3 600 m2 de friches pour y faire pousser un champ de céréales (lin, orge et chanvre). Loin des discours formatés sur l’agriculture urbaine et la nature en ville, Pierre et Rémi Janin poursuivent leur exploration des liens possibles entre rural et urbain, entamée il y a maintenant plusieurs années sur le lieu de l’exploitation agricole familiale à Vernand dans la Loire. Ils proposent ici de tester en grandeur réelle la validité et la faisabilité d’une occupation agricole temporaire des friches de Confluence. Au-delà du nouveau paysage qu’elle mettrait en place, plus valorisant que l’actuel terrain vague, elle pourrait produire à la fois des usages publics et des ressources pour la construction, comme ici des matériaux à base de chanvre, de lin ou de paille. Après le nettoyage des sites en friche et le dépôt d’une couche de compost, les semis de prairie fleurie, de lin, d’orge et de chanvre ont eu lieu en avril. Pendant la Biennale, le champ sera ouvert au public et accueillera différentes manifestations avant d’être fauché collectivement à la main. Ce processus vivant se déroule sur plusieurs mois et se poursuivra après la fin de la Biennale (voir l’entretien avec Pierre Janin p. 60). Au-delà d’une possible alternative économique, écologique, voire esthétique, à la production urbaine traditionnelle, ces différentes propositions interrogent le processus même de fabrication de la ville. Les dispositifs mis en place lors de la Biennale montrent à la fois la proximité et l’imbrication des phases de conception et de construction, et la dimension collective de l’acte de construire, mêlant professionnels et néophytes, praticiens, habitants, enseignants et entreprises.

 

1. Voir l’ouvrage Cradle to Cradle, créer et recycler à l’infini, de William McDonough et Michael Braungart, publié en français en 2011 aux éditions Alternatives. 


Lisez la suite de cet article dans : N° 253 - Mai 2017

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