Entretien avec Christophe Thevenot : "Une approche trop académique de la part de l’administration"

Rédigé par Cyrille VÉRAN
Publié le 03/05/2018

Christophe Thévenot

Dossier réalisé par Cyrille VÉRAN
Dossier publié dans le d'A n°262

Sur les 300 cabinets de conseils spécialisés dans le financement de l’innovation, les consultants qui accompagnent les agences d’architecture dans le montage des dossiers éligibles au crédit d’impôt recherche se comptent sur les doigts de la main, et encore, cette discipline se place à la marge de leurs activités. Spécialisé dans la fiscalité foncière depuis soixante ans, et référencé auprès de l’administration fiscale (tous ne les sont pas), le groupe EIF fait valoir pour sa part un portefeuille de 80 agences à travers sa filiale EIF innovation. Christophe Thevenot, directeur associé du groupe EIF, décrit le fonctionnement du CIR, dispositif qui verse chaque année 5 à 6 milliards d’euros aux entreprises pour couvrir leurs dépenses de R&D. Sur cette somme, 600 millions d’euros sont consacrés au secteur du BTP, qui se place au quatrième rang derrière les produits manufacturés (automobile, aviation), l’industrie pharmaceutique et l’informatique-électronique.

D’a : Le CIR consacre chaque année entre 5 et 6 milliards d’euros aux dépenses de R&D engagées par les entreprises. Son opacité, comme la fraude fiscale dont il est régulièrement accusé, peuvent-ils menacer ce mode de financement ?

Non, à chaque gouvernement, comme celui de la nouvelle mandature, le CIR est sanctuarisé. Cette aide fiscale est un outil performant pour renforcer la compétitivité des entreprises et les encourager à poser un cadre méthodologique. Il pourrait cependant évoluer dans ses modalités, mais ce n’est pas à l’ordre du jour. Par ailleurs, les abus sont minoritaires, à mettre sur le compte de l’agressivité fiscale de certaines grandes entreprises. S’il n’est pas plafonné, le budget du CIR se maintient derrière celui du CICE ; il finance 30 % des dépenses de recherches déclarées (sur l’année N) lorsque celles-ci sont inférieures à 100 millions d’euros, et 5 % au-delà. Néanmoins, ce dispositif fait les frais d’une situation schizophrénique entre l’ambition politique et la réalité administrative de son application. La médiation interentreprise mise en place à la demande du ministère des Finances a vocation justement à fluidifier le dialogue entre l’administration fiscale et les candidats au CIR et à fixer un référentiel d’expertises minimum visant à clarifier les pratiques.

 

D’a : Les agences d’architecture rencontrent-elles des difficultés à faire reconnaître leurs travaux de recherche ?

Oui, l’administration défend aujourd’hui une approche très académique car ce champ d’activité est récent, et la doctrine n’est pas encore mûre. Il faut donc rentrer dans les codes pour répondre aux attentes des deux ministères, de l’Enseignement supérieur et des Finances, adapter les travaux des agences au formalisme tel qu’il est demandé. Notre rôle en tant que cabinet de conseil consiste à bien appréhender ces enjeux, et à faire en sorte que nos clients adoptent un positionnement clair. Nous essayons aussi, en tant qu’interlocuteur privilégié de l’administration, d’inciter celle-ci à faire évoluer sa doctrine pour se rapprocher de la discipline. Mais cela prend du temps.

 

D’a : En quoi consiste l’accompagnement de vos « clients Â» ?

Le groupe EIF réunit des scientifiques et des fiscalistes, et a la capacité, quelle que soit l’activité, à appréhender les fondamentaux, à corédiger un état de l’art, à apprécier les incertitudes d’après les connaissances identifiées. Ces dossiers exigent de rentrer dans une logique scientifique et de bien maîtriser le vocabulaire juridique et fiscal. Nous commençons par sélectionner les travaux qui s’inscrivent dans les objectifs d’une recherche conformément au manuel de Frascati, référence commune au niveau européen qui classe la R&D en trois types : la recherche fondamentale, la recherche appliquée et le développement expérimental, ces deux derniers prévalant pour les agences. Ces travaux sont aussi fléchés. Le crédit d’impôt innovation (CII) engage une notion de performance par rapport à l’état du marché ; il peut concerner les dispositifs de façades, les matériaux. Le CIR s’applique à des travaux de R&D pour lesquels il est nécessaire d’argumenter en quoi les connaissances accessibles et utilisables par l’homme du métier ne permettent pas de résoudre les difficultés répertoriées. Le CIR et le CII sont basés sur une procédure déclarative, mais nous préparons aussi les dossiers justificatifs – dessins, textes, prototypages, vidéos… â€“ car nous partons du principe qu’ils seront demandés soit par les experts pour des compléments d’information, soit par l’administration dans le cadre d’un contrôle fiscal, qui peut se faire trois ans après l’obtention du CIR.

 

D’a : Qu’est-ce qui caractérise selon vous la recherche dans les agences ?

Quelle que soit l’activité, la recherche est réalisée au travers de commandes, et pour l’architecture, c’est le projet. Les sujets se développent de projet en projet, c’est un travail récurrent et continu, avec à chaque fois des verrous à lever. Le cycle de l’innovation en architecture est lent, dix à quinze ans depuis la naissance d’un dispositif jusqu’à sa maturité, contre trois ans en informatique, par exemple ; c’est inhérent à la discipline. Le développement expérimental représente l’essentiel de la R&D dans les agences. Les ATEx, les brevets et prototypes sont des indicateurs forts. Pour autant, une ATEx n’enclenche pas forcément de la R&D et inversement. Il faut l’inscrire dans un contexte, examiner si, derrière cette résolution technique, il y a matière à faire de la recherche.

 

D’a : Comment vous rémunérez-vous et que se passe-t-il en cas de redressement fiscal ?

Les cabinets de conseil sont généralement rémunérés au résultat et selon un pourcentage du crédit d’impôt en fonction de la nature du travail effectué. Pour une agence, cette somme représente entre 3 et 9 % de son chiffre d’affaires annuel, mais le calcul du CIR repose essentiellement sur la masse salariale. Dans le cas des PME (soit la quasi-totalité des agences), le CIR dépasse souvent l’impôt de la société et donc est versé sous la forme d’un virement dans l’année qui suit la déclaration. Ce mode de financement justifie que l’administration regarde d’autant plus attentivement la somme qu’elle a allouée, et le déclenchement de contrôles fiscaux ou demandes d’informations. Lorsqu’il y a un redressement, nous nous engageons à reverser nos honoraires. Entre-temps, il faut adopter une stratégie dans le dialogue fiscal. On peut contester et entamer une procédure auprès du tribunal administratif, ou transiger et parvenir à un accord partiel.

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