La mort, toute une histoire

Rédigé par Emmanuel BRETON
Publié le 11/10/2023

Giovanni di Simone, Camposanto monumentale, Pise, 1278-1464

Dossier réalisé par Emmanuel BRETON
Dossier publié dans le d'A n°311

« La vie est tragique simplement parce que la terre tourne et que le soleil se lève et se couche inexorablement et parce que le jour viendra pour chacun d’entre nous où le soleil descendra pour la dernière fois. Peut-être l’origine de toutes les difficultés humaines se trouve-t-elle dans notre propension à sacrifier toute la beauté de nos vies, à nous empoisonner au milieu des totems, tabous, croix, sacrifices du sang, clochers, mosquées, races, armées, drapeaux, nations, afin de dénier que la mort existe, ce qui est précisément notre unique certitude. Il me semble à moi que nous devrions nous féliciter de l’existence de la mort – nous décider à gagner notre mort en faisant passionnément face au mystère de la vie. Elle est le petit point lumineux dans toutes ces terrifiantes ténèbres desquelles nous sommes issus et auxquelles nous retournerons. Il nous faut négocier ce passage aussi noblement que nous en sommes capables par égard à ceux qui viendront après nous1. »
 
James Baldwin nous rappelle dans ce passage de La prochaine fois, le feu que c’est sous la plume d’auteurs profondément amoureux de la vie que se trouveront les mots les plus justes pour dire la mort. Camus, Tolstoï, Montaigne, Villon, Épicure nous accompagnent vers l’acceptation de cet horizon incompréhensible et indiscernable, que pourtant nous rejoindrons tous – mors certa, hora incerta. Leur capacité à dire et regarder en face cette réalité est l’envers d’un attachement puissant et lucide à cette vie que leurs personnages, témoins d’autres temps, acceptent de voir s’en aller.

1. James Baldwin, La prochaine fois, le feu, trad. Michel Sciama, Paris, Gallimard, 1963, p. 120-121.

Scandale et tabou
Notre époque se tient à l’extrême opposé de cette attitude apaisée, face à une réalité qu’on ne saurait pourtant nier. Ce qui a constitué l’attitude dominante face à la mort pendant des siècles – le mourant sait qu’il meurt et préside aux rites collectifs, publics, qui accompagnent son décès, tandis que les vivants assistent à cette mort et vivent avec – est aujourd’hui quasiment inexistant dans notre société. Le mourant, la mort, la tombe, le tombeau et le cimetière, comme l’ont montré de nombreux auteurs – Philippe Ariès, Geoffrey Gorer, Jean-Didier Urbain, Michel Vovelle, Louis-Vincent Thomas – disparaissant dans le langage comme dans la ville, c’est la capacité à faire face à la mort qui disparaît. Cette expérience, l’une des plus importantes de nos vies, tout se passe comme si nous ne savions plus la faire.
La seconde moitié du XXe siècle a vu s’installer les grandes crises écologiques, économiques, politiques et sociales – un état d’exception devenu la règle de notre quotidien2. Tous ces aspects critiques apparaissent aux anthropologues, historiens et philosophes3 comme autant de dimensions d’un même éloignement ou plutôt d’un aspect de notre rapport aux autres, au monde et à nous-même, devenu à la fois étrange et inquiétant. Alors que les grands monothéismes fournissaient jusqu’alors des préceptes guidant attitudes et actions qui offrent sens et consolation face aux événements de la vie, le recul des pratiques religieuses à la même époque laisse la plupart des hommes et des femmes face à l’inconfortable incertitude d’un monde flou, obscur et confus.

(...)

2. Walter Benjamin, Sur le concept d’histoire, VIII, in Œuvres, t. III, trad. Maurice de Gandillac, Pierre Rusch et Rainer Rochlitz, prés. Rainer Rochlitz, Paris, Gallimard, coll. Folio-Essais, 2000, p. 433.
3. Voir les travaux en anthropologie de Louis-Vincent Thomas ou d’Éric Crubézy ; en histoire de Philippe Ariès, Pascal Hintermeyer, Jean-Didier Urbain, Michel Vovelle et en philosophie de Françoise Dastur, Jean Baudrillard, Martin Heidegger, Vladimir Jankélévitch ou Edgar Morin.

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