Il ne faut pas chercher d’ordre à cet imposant volume de 300 pages, parsemées de croquis de voyage pris sur le vif. Il s’agit plutôt de réflexions sur la biologie, la nature de l’architecture et des villes, l’organisation de la domesticité ; de réflexions sur la vie, le monde, la Terre, la nature et la culture ; et, comme l’indique modestement le titre, la vie et la forme. Il s’ouvre sur l’histoire d’Œdipe et se termine sur le défi que représente (nous sommes en 1962 !) la croissance démographique. Dans ce foisonnement thématique et idéologique, une constante originale revient : celle de la sensibilité des individus aux éléments, qu’ils soient naturels ou construits. Le texte s’ouvre ainsi sur un propos déroutant pour un livre d’architecte : « Où un enfant pouvait-il apprendre à aimer un monde différent, dans quel type de lieu possédant des sols chauds, sans joints, résistants, pas trop durs pour qu’un bébé légèrement vêtu puisse s’y asseoir ; disposant d’une baie transparente, lumineuse et large permettant de voir de beaux paysages, de l’eau, des arbres, un univers (…) » (p. 31) Cette ouverture est d’autant plus étonnante qu’elle reprend celle d’un livre antérieur au titre encore plus dramatique, Construire pour survivre (1954, traduction française 1971) : le narrateur y revient sur un souvenir d’enfance durant lequel, tout jeune enfant, il appréciait le sol de la maison familiale d’une manière très concrète, en le léchant.
L’architecte californien d’origine allemande Richard Neutra fut proche d’Adolf Loos, de Frank Lloyd Wright et de Rudolf Schindler. Auteur de plusieurs maisons devenues iconiques, dont la Lovell Health House, il participa aux Case Study Houses de John Entenza. Il fut aussi un écrivain prolixe (une douzaine de titres), aux interrogations d’une modernité étonnante pour son temps, et annonça celles qui nous préoccupent aujourd’hui. C’est pourquoi nous attendons avec impatience la traduction de ses autres ouvrages.