Le BIM est-il une promesse ou une menace pour la maîtrise de la conception architecturale ? Des architectes et des maîtres d’ouvrage qui l’utilisent déjà ou qui y réfléchissent et ceux qui en font la promotion au sein de la profession nous parlent des enseignements qu’ils en tirent. « Sans remplacer la réflexion sur l’espace, le BIM est utile à l’export et pour constituer des fichiers, archiver les données ou modifier simultanément le plan et la coupe et les descentes de charges de nos bâtiments flexibles, dit Jérôme Brunet de l’agence Brunet Saunier. Depuis 2005, nous disposons d’un logiciel de maquette numérique pour utiliser ce processus sous réserve que les maîtres d’ouvrage en disposent ou le souhaitent. La demande n’est pas impérative de leur part et ce n’est pas pour autant que nos partenaires des BET et des entreprises s’y sont intéressés. Être à l’initiative met l’architecte en position de force car les BET et les entreprises solliciteront nos données. C’est un moyen de permettre à l’architecte de rester l’homme-orchestre qu’il doit être. Au lieu d’être contraints à composer avec des corps de métiers qui parasitent notre rôle, pourquoi ne pas saisir cette opportunité pour intégrer de jeunes ingénieurs à dans un process BIM au sein de l’agence ? » |
Un outil assez lourd à gérer
Jérôme
Brunet se félicite d’avoir anticipé l’évolution prévue par
les textes européens car « l’outil, assez lourd à gérer,
représente un investissement et du temps de formation. » À
l’agence Brunet Saunier, il met en place le processus
progressivement par la pratique, la formation interne ou un BIM
manager sur les gros projets.
Michel Rémon, qui orchestre aussi des projets complexes à la tête d’une équipe importante, partage ce point de vue. « Le BIM s’impose comme un outil collaboratif moderne et pragmatique indispensable aux échanges avec d’autres acteurs du projet. Si intégrer des données multiples est précieux, notamment dans un programme d’hôpital, le BIM réduit le rôle du dessin au profit d’un objet, ce qui incite à porter un regard critique pour évaluer son impact sur l’espace et l’architecture. Un amoureux du dessin peut y voir une perte, mais c’est un gain de temps pour étudier des géométries complexes et assembler les apports de chaque cotraitant à la maquette numérique. »
La question est de savoir comment s’approprier utilement sans s’appauvrir cet outil en phase avec les évolutions informatiques. « J’ai commencé à l’appliquer projet par projet au stade de l’APD, ce qui intéresse le BET et des maîtres d’ouvrage comme l’AP-HP (Assistance publique-Hôpitaux de Paris). On ne pense plus en tracé et en coupe, on construit des murs et des poteaux, peut-être est-ce trop concret et dangereux ? Je m’interroge aussi sur le coût de ce dispositif pour les petites agences où il est difficile d’avoir un BIM manager. »
« S’il existe des formations et de nombreuses vidéos sur le fonctionnement du logiciel et de ses outils pour produire un modèle 3D, il n’y a presque rien sur le management de projet. Or sans cela, l’outil n’est pas exploitable », dit Emmanuel Aboulker. L’architecte a suivi plusieurs formations BIM pour améliorer ses outils de travail et anticiper l’application de la directive européenne. « Les Britanniques et certains pays d’Europe et d’Amérique du Nord ont produit des standards nationaux adoptables par les différents acteurs. En France, ce travail – à l’image de la production des CCTP – semble être laissé à l’initiative des intervenants. En l’absence d’un standard national et faute d’expérience, ils se tournent vers des sociétés de prestations de services qui, chacune à leur façon, s’inspirent des standards étrangers. Au lieu de multiplier les dépenses individuelles d’intervenants privés pour aboutir à des chartes différentes, ne serait-il pas plus ambitieux et plus profitable à notre industrie que des instances publiques françaises décident de créer à leur tour un standard national diffusable à tous ?
Des armoires à plans au BIM, Olivier Herbemont, directeur immobilier d’Air France, est « prudent à l’égard des processus censés tout faire ». Sans nier que « l’utilité d’un outil partageable optimisant le travail de tous ne peut être que bénéfique pour la filière », il réalise une usine en 3D sans recourir au BIM et à sa chaîne unique.
Ayant des bâtiments à entretenir, d’autres à construire et d’autres à transformer, il distingue plusieurs stades. « Pour une meilleure maîtrise de la qualité des études, de l’exécution puis de l’exploitation, le BIM est utile et il faut s’interroger sur la prise en compte de cette valeur ajoutée par la maîtrise d’œuvre au stade de la conception, puis sur son impact sur la réalisation et l’exploitation. »
Quand, vingt ans après la construction, il s’agit de restructurer un bâtiment tertiaire, les besoins sont différents. « Disposer de données structurelles et d’enveloppes précises pour rénover étant précieux, le BIM remédie aux incohérences des DOE et des relevés géométraux. Mais lorsqu’un bâtiment est vidé de ses fluides et du second œuvre, que m’importe la connaissance exhaustive des réseaux si nous cassons tout l’intérieur pour le faire évoluer ? Ne vaudrait-il pas mieux définir de A à Z l’indispensable pour éviter une inflation coûteuse des données et une saturation inutile des équipes d’exploitation ? »
Pour lui, la répartition des rôles entre architecte, maître d’ouvrage et exploitants évolue d’autant que les entreprises privées tendent à externaliser l’exploitation et la maintenance des bâtiments au profit de facility managers issus d’entreprises de maintenance technique proposant des prestations multiservices. « Ces “FMeurs” étant les futurs exploitants des bâtiments, c’est entre la maîtrise d’œuvre et eux que le curseur devrait être défini. »
L’obligation du BIM étant attendue, Cédric Dumesges, responsable du service maîtrise d’ouvrage de l’AP-HP, s’y intéresse. « Il est courant de dire que, pour produire les grands ouvrages hospitaliers américains très techniques, le BIM n’est plus une question, mais un élément de production. Du côté des BET et des architectes, nous sommes en phase de calage des réflexions et des fonctionnalités. En France, malgré les freins et les réglementations liées par exemple à la loi MOP, nous allons être obligés d’intégrer ce process dans la chaîne des ouvrages, ce qui obligera tous les acteurs à bouger : maîtres d’ouvrage, exploitants, architectes, BET, rédacteurs des textes réglementaires et législatifs. Plus qu’AutoCAD, le BIM modifie les façons de travailler et l’équilibre des jeux d’acteurs, d’où la nécessité d’une vraie réflexion. »
Architecte, codirecteur du master spécialisé BIM (voir encadré), Olivier Celnik participe aussi au groupe de travail BIM du Conseil national de l’Ordre des architectes (CNOA). « Je ne cesse d’expliquer que si la maquette numérique est un outil que les architectes ou d’autres fabriquent, le BIM ne commence que quand elle est échangée et enrichie par un processus collaboratif. Les agences d’architectes construisent des maquettes numériques depuis trente ans. Le BIM n’est donc pas un bouleversement, mais une évolution des outils. Si l’intérêt de se lancer dans ce processus reste à prouver pour certains, apprendre à manier l’outil s’impose sans considérer que c’est « tout ou rien ».
Il conseille aux architectes de commencer par faire en interne une maquette numérique des projets avant d’aborder le processus pour juger de son utilité. Pour lui, les échanges, les paramétrages et les aspects contractuels sont plus complexes que les points techniques. Si la maquette numérique produite par l’architecte fait gagner du temps aux autres, cela doit être valorisé par des honoraires dans une logique de coût global. Lorsqu’il l’a adoptée pour l’étude de faisabilité d’un bâtiment intégrant dans l’existant et les projets les données thermiques, l’accessibilité, la sécurité et la réorganisation fonctionnelle, le quart des honoraires de l’étude énergétique lui est revenu car il a fait gagner du temps aux différents intervenants. « Le CNOA étudie la mise en place d’un permis de construire issu d’une maquette numérique, ce qui devrait, à terme, générer une simplification et une accélération de l’instruction. Bertrand Delcambre, l’ambassadeur du BIM, a repris cette idée qui réaffirme que l’architecte est celui à qui la loi confie l’intérêt public de la création architecturale. Des architectes souhaitent aussi proposer des prestations sur l’appropriation et l’exploitation du bâtiment en cours d’utilisation. Et si, à un certain stade, notre client n’est plus le maître d’ouvrage, mais le FMeur, c’est au maître d’ouvrage de lui transmettre la maquette numérique en remettant l’architecte dans la boucle pour valoriser le travail effectué lors des études et du chantier, au bénéfice du client. »
Pour lui, le BIM manager ne doit pas
être un nouveau métier indépendant susceptible de complexifier
encore le jeu des acteurs, mais plutôt une « fonction
nécessaire à un processus ». Il s’interroge aussi sur
l’évolution du rôle des opérateurs urbains. « En gérant
la maquette, ne deviendront-ils pas les vrais propriétaires du
foncier au détriment des collectivités locales ? Si des
groupes industriels ou des villes confient leur gestion à des
acteurs extérieurs, ne va-t-on pas vers un monde à la SimCity ? »
Le master BIM conception intégrée et cycle de vie du bâtiment et des infrastructures (http://www.enpc.fr/node/12839)
Cette première formation diplômante sur le BIM en France – voire en Europe –, dont le comité de pilotage réunit la diversité des acteurs du monde professionnel, a été créée par l’École des ponts ParisTech et l’ESTP avec le CSTB, l’École des arts et métiers, Écotech, l’ENSG et trois ENSA. Avec 400 heures de formation partiellement à distance suivies d’une thèse professionnelle, la première session réunit de jeunes diplômés et des cadres architectes ou des industriels, un administrateur de biens et des consultants.
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