Soixante ans, toujours moderne. Renaissance de deux tours sexagénaires, Rennes

Architecte : Atelier Robain Guieysse et bmc2
Rédigé par Maryse QUINTON
Publié le 02/05/2022

À Rennes, Maurepas-Gros Chêne fait partie de ces quartiers issus de la Reconstruction qui, longtemps stigmatisés, font l’objet de lourdes restructurations. Le bailleur social Archipel Habitat a privilégié la rénovation par rapport à la démolition pour donner une nouvelle vie aux dix « tours Mounier ». S’interrogeant sur l’habitabilité de ces bâtiments de l’après-guerre au XXIe siècle, l’Atelier Robain Guieysse et bmc2 se sont livrés à l’exercice complexe et stimulant de la réhabilitation de ce patrimoine mal aimé. Livrées cette année, les deux premières augurent certes du changement d’image attendu, mais témoignent avant tout de la capacité de cette architecture à se renou- veler depuis l’intérieur pour offrir des logements hautement désirables.

 

Au nord de Rennes, les dix tours de Maurepas-Gros Chêne sont le témoignage d’un modernisme héroïque. On jugea bon, entre 1959 et 1962, de construire cinq paires parfaitement identiques d’un même bâtiment de quinze étages. Toutes orientées de la même manière, les tours fonctionnent deux à deux – une bleue, une rose, teinte matérialisée par une pâte de verre appliquée en façade –, sur un plan d’étage répété à l’envi. Aux commandes, les architectes Jean-Gérard Carré, Jean-Michel Legrand et Jacques Rabinel, qui ont œuvré à la Reconstruction en France après la Seconde Guerre mondiale. Repères visuels à l’échelle de la métropole, elles font aujourd’hui partie de la skyline de la capitale bretonne au même titre – mais dans une tout autre écriture – que les fameuses tours des Horizons (1970) de Georges Maillols. Six décennies plus tard, les dix tours sont dégradées ; elles sont mal isolées thermiquement et acoustiquement et sont inadaptées à la demande de logements attendue dans le quartier. L’heure est donc venue de la réhabilitation. Un scénario bien maîtrisé par Archipel Habitat, OPH de Rennes Métropole, qui a fait le pari d’une rénovation plutôt que d’une démolition, bien que cette série de tours figure parmi les plus mal aimées de la ville. Pour Cécile Bélard du Plantys, actuelle directrice générale d’Archipel Habitat qui prendra la direction de Paris Habitat en mai, l’équation est limpide : « Tous les logements sont occupés. Pourquoi les détruire s’ils répondent à un besoin? Nous ne pourrions jamais en reconstruire autant au même endroit ni au même prix de sortie. » Cette opération s’inscrit dans le cadre du Nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) et concerne 1 220 logements parmi lesquels les 900 unités contenues dans ces tours. Longtemps stigmatisé, concentrant les maux urbains contemporains, Maurepas-Gros Chêne est ainsi en pleine métamorphose. Imminente, la desserte du quartier par la ligne B du métro rennais devrait contribuer à le désenclaver. Pour Archipel Habitat, acteur très engagé de l’habitat social à Rennes, le quartier est appréhendé non pas comme un patrimoine aux allures de fardeau mais comme « un véritable laboratoire d’expérimentations et d’innovations » en matière de logement. « Changer en profondeur tout en gardant son ADN de quartier populaire », c’est le leitmotiv du bailleur social qui, en 2018, a créé sur le site une école de la proximité destinée à former les futurs gardiens d’immeuble. Une fois rénovées, ces tours emblématiques sont supposées symboliser la nouvelle attractivité du quartier, si tant est que la bonne volonté suffise à se défaire d’une image ternie, ancrée de longue date dans l’inconscient rennais.

 

Le confort des habitants comme fil conducteur 

Pour restructurer ces tours, et en hommage à la composition d’ensemble initiale, le maître d’ouvrage a décidé de les attribuer par paire aux différents architectes. L’Atelier Robain Guieysse et bmc2 ouvrent le bal avec les tours 5 et 7, Groix et Guérande : « Le travail qui y est mené est également exploratoire pour les réhabilitations des huit suivantes », expliquent-ils. Une différence notoire, néanmoins, cette première équipe a eu l’opportunité de mener ce chantier en site vide, ce qui a permis des modifications importantes. Ce ne sera pas le cas pour les suivantes, dont la tâche sera nécessairement plus ardue. Respecter et valoriser l’architecture initiale, redonner aux tours une singularité par paire et espérer la réconciliation avec ce patrimoine malmené par certaines réhabilitations, telle est la feuille de route donnée aux équipes. Côté programme, l’objectif recherché est celui de la mixité sociale et intergénérationnelle, lequel passe principalement par une diversification de l’offre des logements existants et la création de nouveaux usages. « Une mise à jour bienveillante et raisonnée », résume Claire Guieysse. Un travail préalable d’analyse fut mené afin de définir « les qualités des tours pour les exploiter et les défauts pour y remédier », tout en conservant l’essence même de l’architecture originelle dont la rationalité efficace présente « une bonne base de transformation ». 

Après vingt-trois mois de travaux durant lesquels les habitants ont été relogés et seulement quatre mois de retard malgré la crise sanitaire, la première des dix à être livrée est la tour 5 (99 logements), tandis que la tour 7 (83 logements) retrouvera ses habitants d’ici à la fin de l’année. Ce premier acte mené par l’Atelier Robain Guieysse et bmc2 suscite un réel enthousiasme, qui témoigne de la capacité d’une architecture datée à se renouveler lorsqu’elle est repensée avec intelligence et pour peu qu’on prenne le temps d’y poser un regard bienveillant. Les deux tours sont restructurées dans toute leur épaisseur, toutes leurs dimensions, depuis les tréfonds du logement jusqu’à la peau extérieure, de manière à y injecter partout où cela est possible de la lumière, du confort, de l’espace et du volume, comme si la quête du bien-être des habitants l’avait emporté sur toute autre considération. 

 

Diversification de la granulométrie et des usages 

Entre Rennes et la concertation, c’est une longue histoire. Ici comme ailleurs, elle est au cœur des processus décisionnels. Des ateliers participatifs ont été menés avec les locataires – certains habitent ici depuis l’origine – et les différents acteurs du quartier, pour définir leurs besoins. Des questions très concrètes – fonctionnement de l’espace partagé sur le toit ou le choix d’ouvrir de la cuisine sur le salon – y ont notamment été débattues. 

Les typologies des logements sont redéfinies au profit d’une offre plus diversifiée et mieux adaptée à la demande. Jusqu’à présent, les tours étaient uniquement composées de T2, T3 et T4. La tour 5 comprend désormais 99 logements, dont 40 studios réservés aux jeunes actifs, concentrés du premier au quatrième niveau et incluant des locaux communs (buanderie, espace détente, espace de travail). Les 59 logements restants varient du T2 au T6 en duplex, situés dans les derniers étages et destinés aux grandes familles. Les architectes ont donc procédé au cas par cas, par regroupements horizontaux et verticaux. Les performances thermiques et le confort acoustique réglé par des faux plafonds entre les logements faisaient également partie des sujets essentiels à résoudre. Dans les appartements, les fenêtres sont remplacées par de grands châssis en aluminium et renouent avec leurs dimensions d’origine, sacrifiées dans les années 1990 pour des menuiseries en PVC. Les loggias qui servaient essentiellement de débarras retrouvent une vraie qualité d’usage extérieur, grâce aux nouvelles portes-fenêtres qui les desservent directement. Les allèges des ouvertures hautes sont également abaissées pour agrandir le clair de vitrage. Offrant des vues panoramiques sur tout Rennes, l’attique inexploité accueille la maison des habitants en lieu et place des anciens greniers, ainsi qu’une terrasse-belvédère au sud. Ces derniers ont été remplacés par des celliers placés dans les étages, offrant des rangements supplémentaires aux logements. Sur les paliers, les anciens séchoirs ont été supprimés pour laisser entrer la lumière naturelle dans les espaces de circulation jusqu’alors aveugles. Au rez-de-chaussée, les halls d’entrée sont en léger retrait pour redonner à voir le péristyle d’origine qui avait été rebouché lors d’une réhabilitation. Ils sont désormais transparents et lumineux, l’escalier ayant quant à lui été déplacé pour renforcer le caractère traversant. Et puis, bien sûr, il y a tout ce qui ne se voit pas. Le casse-tête des gaines, la nécessité de jongler avec la nouvelle réglementation incendie, de refaire l’ensemble des réseaux. On en viendrait à oublier le travail sur les façades, qui semble presque secondaire tant la métamorphose intérieure retient toute l’attention. Témoins d’une époque constructive, celle de la Reconstruction rennaise, les grands panneaux en béton préfabriqué en gros agrégats, fixés à la structure porteuse poteaux-poutres, sont conservés, assurant le lien avec les huit autres tours. L’isolation est entièrement repensée, notamment par un bardage au plissage fin en partie sud. 

Voisine de la tour 5, la tour 7 est également en cours de réhabilitation par la même équipe de maîtrise d’œuvre. De l’accession aidée y est introduite. Pour ces deux premières tours, 16,34 millions d’euros ont été investis pour 12 047 m2 de SDP, soit un prix moyen au mètre carré de 1 356 euros. La preuve par les chiffres que, au-delà de ses vertus environnementales, la réhabilitation est également intéressante économiquement.



Maîtres d'ouvrages :  Archipel Habitat
Maîtres d'oeuvres : Atelier Robain Guieysse (architectes mandataires) ; bmc2 (architectes associés); I2C Ingénierie (BET TCE)
Entreprises : Sogea Bretagne BTP (entreprise générale); Botrel (CVC PB); OmniMétal (menuiserie extérieure, serrurerie) ; CR Charpentes (charpente bois) ; Sygmatel et Aztec (électricité) ; AB Cloisons (cloisons et faux plafonds) ; Guérin Sols (sols souples et carrelages) ; Prosh (peinture) ; SEO (étanchéité)
Surface SHON : 12 047 m2 SDP ; 9 810 m2 SHAB
Coût : 16,34 millions d’euros HT, soit un prix moyen par logement de 89 780 euros HT
Date de livraison : 2022

Les loggias qui servaient essentiellement de débarras deviennent des espaces extérieurs à part entière pour chaque logement<br/> Crédit photo : GRAZIA Sergio Plan masse<br/> Crédit photo : DR  Les tours 5 et 7 sont les premières à être rénovées<br/> Crédit photo : GRAZIA Sergio Les tours 5 et 7 sont les premières à être rénovées<br/> Crédit photo : GRAZIA Sergio Le hall est reculé pour renouer avec la géométrie du péristyle d’origine. Son caractère traversant accompagne la topographie naturelle du site<br/> Crédit photo : GRAZIA Sergio Le hall est reculé pour renouer avec la géométrie du péristyle d’origine. Son caractère traversant accompagne la topographie naturelle du site<br/> Crédit photo : GRAZIA Sergio Vue du hall actuel. Le projet de l’Atelier Robain Guieysse et bmc2 révèle son côté traversant et y insuffle la transparence. L’escalier a été retourné afin de libérer l’espace du hall<br/> Crédit photo : GRAZIA Sergio Dans les étages, des séchoirs devenus obsolètes ont été supprimés afin de retrouver la lumière naturelle dans les circulations jusqu’alors aveugles<br/> Crédit photo : GRAZIA Sergio L’attique de la tour 5, jusqu’alors inexploité et occupé par des greniers, est restitué aux habitants sous forme d’espaces partagés<br/> Crédit photo : GRAZIA Sergio Vue de l’attique (espace partagé)<br/> Crédit photo : GRAZIA Sergio Vue de l’attique (espace partagé)<br/> Crédit photo : GRAZIA Sergio Les loggias deviennent de véritables pièces extérieures, desservies par de nouvelles portes-fenêtres<br/> Crédit photo : GRAZIA Sergio Les loggias deviennent de véritables pièces extérieures, desservies par de nouvelles portes-fenêtres<br/> Crédit photo : GRAZIA Sergio Coupe<br/> Crédit photo : DR  Plan de rez-de-chaussée<br/> Crédit photo : DR  Plan d'étage courant<br/> Crédit photo : DR  Plan d'étage courant<br/> Crédit photo : DR  Plan d'attique R+16<br/> Crédit photo : DR  Vue des dix tours Mounier bâties dans le quartier Maurepas Gros-Chêne entre 1958 et 1962<br/> Crédit photo : DR  Patrimoine stigmatisé, les tours Mounier sont parfaitement identiques, répliquées en dix exemplaires sur un même site<br/> Crédit photo : DR  Vue du hall existant<br/> Crédit photo : DR

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