Architecture et psychanalyse : Des points communs...

Rédigé par Hervé BENTATA
Publié le 07/02/2008

Dossier réalisé par Hervé BENTATA
Dossier publié dans le d'A n°170 L'amour de la lettre pourrait bien être le trait qui rassemble psychanalystes et architectes. La lettre que l'on trace sur une page, la lettre dans son corps, son dessin. Mais aussi en tant que graphème, c'est-à-dire en tant que valeur dans un système de notation graphique. Car c'est par l'inscription d'une ou plusieurs lettres qu'un bout de matière devient une production signifiante, tout en restant encore et toujours de la matière, comme c'est par le bâti que la terre devient territoire, tout en restant encore et toujours de la terre.


L'architecte, comme le psychanalyste, est confronté dans sa tâche à la prise en compte de l'espace, qu'il soit physique pour l'un, psychique pour l'autre. Dans cet espace, leur travail est soumis à un principe de continuité, puisqu'il s'agit d'aménager ou de dégager quelque chose qui serait de l'ordre d'un ensemble, d'une succession, d'un tout signifiant. Mais il est également soumis à un principe de discontinuité, puisque cet ensemble est formé d'unités discrètes, c'est-à-dire articulées entre elles, mais distinctes les unes des autres. Il en est ainsi, par exemple, dans l'interprétation d'un rêve où le psychanalyste repère les déplacements et condensations psychiques derrière les fragments qui apparaissent à la surface du rêve pour tenter de restituer la chaîne de pensées latentes du rêveur dans son intégralité. De même, dans le travail de parole que constitue une cure analytique, la tâche de l'analyste se situe souvent dans le repérage et l'interprétation des inflexions, des trébuchements (lapsus…) qui brisent le flux langagier. À lui de le remettre en forme par la reprise, la scansion, la ponctuation…
Dans ce travail de construction que je crois commun à la psychanalyse et à l'architecture, il pourrait au départ se trouver un goût commun : l'amour, voire la passion de la lettre. Qu'est-ce à dire ? Il ne s'agit pas là de l'amour des Belles Lettres, même si la préoccupation esthétique n'est pas absente de la psychanalyse et essentielle dans l'architecture. Non, ce trait commun n'est pas littérature. Il tient au corps de la lettre, à la lettre telle qu'elle s'écrit, se dessine et telle qu'elle découpe l'espace de
ses traits. Il tient de plus au double sens de ce mot qui désigne à la fois l'élément discret qui sert à construire des mots par son assemblage et aussi le résultat de cet assemblage de let-
tres : « je vous ai écrit une lettre… Â»
Comme éléments discrets (distincts), mais aussi comme résultat de leur assemblage, les lettres ont un fort pouvoir de représentation. Pour s'en convaincre, il suffit de prendre le titre de la revue d'a. Ainsi, à ces deux lettres, avec toute l'attention portée à leur calligraphie, vient se rattacher la constellation des représentations qu'elles doivent supporter : revue des architectes, de l'architecture, avec sa dimension d'art, mais aussi la revue leader, première, tant « A » représente la meilleure note, la première lettre de l'alphabet, etc.
Vive donc la calligraphie et l'arabesque qui nous permettent d'assembler, de construire des formes, des espaces, qu'ils soient physiques ou psychiques ! Il me semble en effet que ce qu'un architecte apporte à un bâtiment et qu'un ingénieur ne saurait amener, c'est l'articulation d'un certain nombre de formes (en continuité et en contiguïté), non pas selon la bonne technique mais suivant l'art qui permettra d'en faire une œuvre, quelque chose qui vous « parle », qui vous « dise », comme on dit pour marquer son désir d'une chose : « ça me dit ». C'est pour cela que je propose que ces formes que manie l'architecte soient assimilées à des lettres qui forment un mot, un concept, une œuvre avec son écriture.
Or il se trouve que pour les psychanalystes aussi, l'importance de la lettre et du « travail de la lettre » ne saurait être éludée. C'est que dans ces productions psychiques qui rejaillissent de l'inconscient, que ce soit le rêve ou bien les trébuchements du langage, ou même encore les symptômes morbides, le jeu de la lettre est au premier plan. Pour ne prendre que l'exemple historique du rêve, dont Freud se saisit pour donner consistance à la psychanalyse, voici ce qu'il en dit : « Le rêve est un rébus. » Il est ainsi fait de pictogrammes dont l'assemblage constitue un mot, une phrase ; c'est dire qu'il est à lire. C'est ainsi que cette présence de la lettre dans la psychanalyse est si prégnante que d'aucuns proposent de considérer la cure analytique comme une pratique de la lettre. Un point de recoupement possible entre psychanalyse et architecture pourrait donc être de se constituer comme lecture/écriture de lettres.
Pour l'architecture, cette segmentation en sous-unités signifiantes dont l'assemblage fait œuvre architecturale vaut autant pour le « bâti » en lui-même que pour son insertion dans le paysage. C'est-à-dire que l'en-vironnement de l'œuvre est lui-même composé d'unités discrètes dont l'assem-blage doit être cohérent, se doit de former un ensemble qui produise un sens, une unité. Prenons cet exemple de la « coulée verte » parisienne où la structure linéaire du projet, en déroulé, illustre cela facilement.
Si les représentations de formes architecturales, qu'elles soient simples (fenêtre, escalier, etc.) ou complexes, apparaissent souvent avec insistance dans des moments de cure et bien sûr dans les rêves, le travail du psychanalyste et de son patient sera en quelque sorte inverse de celui de l'architecte. Ainsi pour le psychanalyste, il s'agira de lire la lettre, de déchiffrer cette manière d'écriture de l'inconscient. Françoise Dolto lit, par exemple, dans l'image de « fenêtre » d'un dessin d'enfant, un « veut naître » annonçant l'apparition d'un nouvel enfant dans la famille. Inversement, pour l'architecte il s'agit d'écrire, de lier des éléments discrets en les intégrant dans un tout articulé et signifiant. Cela vaut aussi bien pour l'arc-boutant ou la voûte d'arête de la cathédrale gothique, qui ne trouvent leur raison d'être et leur cohérence que dans la dynamique de l'édifice envisagé comme un ensemble. Cela vaut également pour le pilotis, le toit-terrasse ou les façades-rideaux dans les bâtiments des Modernes… Du côté de l'architecture, le sens commun n'a-t-il pas déjà pris acte de ce goût de la lettre lorsqu'il parle d'écriture, voire de signature, en se référent au travail de l'architecte ?

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