Chaumage Musée et centre de recherche sur la biodiversité - Beautour, La Roche-sur-Yon

Architecte : Guinée*Potin
Rédigé par Jean-Paul ROBERT
Publié le 16/12/2013

Architectes et paysagiste ont travaillé de concert pour faire du domaine familial du XIXe siècle d’un naturaliste vendéen un musée et un centre de recherche entouré d’un parc aménagé en site d’observation pédagogique. Une réhabilitation et une extension réussies, mais une proposition muséographique et programmatique décevante.

 

En 1934, Georges Durand (1886-1964) publiait dans L’Annuaire de la Société d’émulation de la Vendée une communication sur les naturalistes et collectionneurs vendéens du siècle précédent. Passant en revue les figures de géologues, de botanistes, d’orni- thologues, de zoologistes et d’entomologistes de l’Ouest, il concluait en déplorant que « la jeunesse et les étudiants ne s’intéressent plus aux sciences naturelles », dont l’étude est « la meilleure et la plus sûre des amies, capable de vous faire oublier vos peines et de vous apporter des adoucissements dans la douleur ». Il leur avait consacré sa vie, constituant une collection rassemblée dans la demeure qu’il se fit bâtir sur le domaine familial de Beautour, à une encablure de son Bourg-sous-La-Roche natal. Il légua le tout au Muséum national d’histoire naturelle de Paris, alors en pleine panade (la grande galerie devait fermer en 1965, faute d’entretien). En l’absence de projet, tout part à vau-l’eau. La maison tombe en ruine, le domaine se réduit comme peau de chagrin (passant de 230 hectares à 9), tombe dans l’escarcelle du conseil général, qui entrepose les collections, retourne au Muséum, puis est acheté en 2007 par la ville de La Roche-sur-Yon. Le maire, le socialiste Jacques Auxiette, promet alors à l’association Georges Durand de s’occuper de cet héritage, pour peu qu’il soit élu au conseil régional. Son vœu est exaucé, il en devient président, la Région rachète le domaine et lance en effet un projet que les indemnités versées par Total après la catastrophe du pétrolier Erika, au large de Belle-Île, en décembre 1999, pourront financer. 

Juste retour des choses, mis au service de la doxa sur l’environnement, la première étant d’autant plus invoquée que le second est malmené. Il s’agira ainsi bien moins de présenter les collections que de lancer un centre de recherche sur la biodiversité, réunissant activités pédagogiques destinées aux enfants (qui pourront peut-être adoucir la douleur de Georges Durand de les voir éloignés des sciences nat’), recherche scientifique avec les universités de Nantes et d’Angers, lieu d’exposition et parc. Un concours est lancé en direction d’équipes réunissant architectes et paysagistes, toutes vendéennes, à l’exception de la lauréate, composée de Nantais et d’Angevins. Pratiquement, il faudra restaurer la demeure, squattée et vandalisée, lui adjoindre une extension et redonner forme et vie au parc, à l’abandon. 

Le paysagiste, Guillaume Sevin, a résolu de s’emparer de cet état et de composer avec lui sans le bousculer ni le nier. Juste attitude, tant sur le plan écologique que sur le plan mémoriel : son parc est aussi bucolique qu’instructif, aussi varié que peuplé de diverses espèces végétales et animales. Les architectes, quant à eux, résolvent la difficile question d’une adjonction à la demeure néobretonne en construisant une sorte de chenille de chaume qui la flanque, s’étire en longueur, se meut sans bouger, adoptant une géométrie, des hauteurs et des épaisseurs variables, en réaction aux parcours, aux accidents du terrain, aux arbres, aux situations, aux vues, aux orientations, et bien sûr en fonction des éléments qu’elle abrite. Sans être organique ni mimer le naturalisme, elle y trouve, quoique provocante, une pertinence subtile, tout en retrouvant l’assise de la maison, son perron et sa cour arrière, pour l’articuler, autrement qu’autrefois, à l’allée d’arbres qui y mène et au parc qu’elle commande. La plasticité et la sensualité du nouveau bâtiment procèdent de sa matérialité. Elle résulte de l’usage du chaume, ici appliqué en toiture et en façade. Il lui donne corporéité, tactilité et unité. La continuité est assurée par la découpe en débord de la toiture, qui résout à la fois la mise en œuvre des bottes de paille et la chute de la goutte d’eau à la ligne d’acrotère. Tout cela donne au volume des allures de Goetheanum rustique – même si l’évocation de l’anthroposophe Rudolph Steiner, lui-même père de la biodynamie, aurait probablement surpris Georges Durand, plus positiviste que spiritualiste... Le régime des percements est plus trivial. Les découpes franches, orthogonales, des baies renvoient aux espaces intérieurs, qui ne doivent plus rien à ce registre. Ils se disposent sans mystère, le long d’un parcours intérieur, au fil du programme. 

De sorte que le bâtiment pourrait se révéler déceptif : comme si la radicalité de son entour s’arrêtait à son aspect. Ce serait oublier qu’il est confortable et facilement praticable, adéquat aux usages qu’il abrite et qu’il organise. Ceux-ci restent cependant encore improbables. La présentation de la collection permanente, aussi congrue que l’est l’évocation de Georges Durand, se trouve réduite à un tableau, où les animaux naturalisés ne sont présentés que pour leur valeur d’image – ce que confirment, dans une parfaite tautologie, les tablettes tactiles les faisant resurgir en 3D. De quoi amuser les enfants, sans faire naître aucune passion, ni transmettre de savoir ni susciter de question. La maison, restaurée au plus près de ce qui en était resté, accueillera quant à elle les chercheurs le jour où des programmes justifieront leur présence. En les attendant, elle profite aux employés du centre... 

La proposition architecturale de Guinée*Potin se heurte aux limites d’un montage programmatique aussi vertueux et ronflant sur le papier qu’il s’essouffle vite. À deux pas du centre se trouve, accroché à l’autoroute, un « actiparc », qui empiète déjà largement et violemment sur le bocage vendéen. Ceci tuera cela. Beautour pourrait bien apparaître comme un « bioparc », un alibi, le produit d’une idéologie périssable et vaguement coupable. Ce serait oublier la réussite de son existence matérielle, qui lui offrirait une chance si d’autres Durand venaient à s’en saisir.


Erratum : dans le magazine, les photos de la double page 112-113 sont de Stéphane Chalmeau. Toutes  nos excuses.



Maîtres d'ouvrages : Région des Pays de la Loire
Maîtres d'oeuvres :
Anne-Flore Guinée et Hervé Potin, architectes ; Solen Nico, chef de projet ; Guillaume Sevin paysages ; Block architectes, scénographie ; Warmgrey, Signalétique/Graphisme ; Stéphanie Vincent , Contenu muséographique ; ARP, Programmiste - BET : Isateg, structure/fluides.
Entreprises :
FGCV, gros œuvre ; Cruard, charpente bois ; Le Goff, couverture/bardage chaume ; Raveleau, couverture ardoise/zinguerie.
Surface SHON :
  2 057 m2
Coût :
5 000 000 € HT
Date de livraison :
2013


Lisez la suite de cet article dans : N° 223 - Décembre 2013

Vue de puis le champ voisin<br/> Crédit photo : GRAZIA Sergio Vue aérienne du centre © Spectrum - Xavier Poirier<br/> Crédit photo : DR  Accueil et point de vente<br/> Crédit photo : GRAZIA Sergio salle d'extension<br/> Crédit photo : CHALMEAU Stéphane

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