Projet de Herzog et de Meron (lauréat) |
Comment
compléter un ensemble culturel des années 1960 quand autour de lui
tout a changé et quand aucun des principes qui portaient le projet
originel n’est encore partagé ?
Le Kulturforum, une acropole construite pendant la guerre froide pour se dresser face au mur de Berlin : d’un côté surgissaient musée d’Art moderne, philharmonie et bibliothèque ; de l’autre, miradors, barbelés et autres chevaux de frise. Un espace sacré ouvert vers l’au-delà où deux des grandes tendances architecturales de la fin des années 1960 pouvaient se déployer sans s’exclure : l’immense toit-caissons tendu au-dessus de ses huit pylônes cruciformes, conçu par Mies van der Rohe, et les auditoriums en étoile accompagnés de la chaîne des blocs oblongs de la bibliothèque, réalisés par Hans Scharoun. |
Cet ensemble se voulait le pendant contemporain des institutions culturelles historiques du centre-ville confisquées par le mur. Complété par d’autres constructions muséales, notamment la pinacothèque – Gemäldegalerie – et son architecture médiocre de la fin des années 1990, le Kulturforum conserve au fond de lui une violente volonté de rupture. Ce monde d’objets eucharistiques entourés de vastes espaces en jachère apparaît désormais désuet, voire anachronique, après la résurrection de la Potsdamer Platz, dont les voies piétonnes et les hauts immeubles parfois caricaturaux – réalisés par Helmut Jahn, Renzo Piano et Hans Kollhoff – engendrent une ambiance factice de centre commercial. Comme si après la chute du mur l’opposition est/ouest s’était ici simplement inversée.
Un concours a été lancé l’année dernière pour proposer une nouvelle construction capable d’accorder un espace digne aux collections d’art moderne, actuellement exposées ou plutôt entreposées dans le socle de l’aristocratique Parthénon de métal et de verre. Mais la vaste esplanade retenue accorde actuellement une respiration, une ampleur, une emphase au chef-d’œuvre de Mies van der Rohe. Son occupation risque de banaliser cette construction hors normes qui réclame impérativement un grand vide pour s’affirmer. Mais elle possède néanmoins un intérêt stratégique. Elle peut minimiser les effets pervers de la Potsdamer Strasse, ce grand axe routier dévastateur, et effacer enfin l’ombre du mur qui s’est subrepticement déportée en son centre pour générer à nouveau de la coupure : cette fois entre l’espoir utopique de la ville des années 1960 et la réalité triviale de la ville des années 2000.
Quarante-deux équipes avaient été retenues pour la première phase – dont les Français Dominique Perrault et Lacaton & Vassal. Seules sept d’entre elles sont restées en lice dans la seconde. Parmi les projets finalistes, certains cherchent à maintenir le fragile équilibre des forces en présence, alors que d’autres, au contraire, n’hésitent pas tout bouleverser. Certains répondent au programme sans se poser de questions, tandis que d’autres savent s’interroger en amont sur ce que doit être aujourd’hui un musée : lieu de rassemblement populaire, parvis incubateur d’événements, paradis ou espace hors du temps…
ENTREPÔT
Herzog & de Meuron, Bâle
Lauréats
Herzog et de Meuron proposent un dispositif qui sait s’appuyer sur les expériences antérieures de l’agence en matière d’espaces muséaux. Ainsi la forme archétypique de cette vaste halle fait d’emblée penser à la salle d’exposition récemment livrée à Weil am Rhein. Son plan basilical en croix, qui dessine un grand atrium creusant le sol pour atteindre parfois toute la hauteur de la construction, renvoie à l’organisation de la Tate Modern autour de son parvis intérieur. Un espace destiné à être envahi par les foules lors de manifestations événementielles. Un vide qui définit clairement quatre secteurs, dont certains savent déjà se déployer autour d’une œuvre phare comme le fameux Das Kapital de Joseph Beuys. Quant à l’épiderme de brique, comme celui de la Switch House, il se composera de parties opaques, ajourées ou érectiles, permettant de multiples jeux avec la lumière extérieure.
C’est un édifice générique qui répond à la difficulté du contexte par l’affirmation de sa masse, de son inertie. Il prive la Nouvelle Galerie nationale de Mies van der Rohe de l’espace qui la rend charismatique et tend à la reléguer au rang de sculpture urbaine, comme un vulgaire stabile de Calder. Mais il parvient à étreindre le vide sidéral introduit par la Potsdamer Strasse, cette véritable autoroute urbaine. Et il sait surtout se proposer comme une alternative culturelle crédible à l’atrium purement commercial du Sony Center d’Helmut Jahn. Il pose ainsi cruellement la question du musée d’aujourd’hui, qui n’est plus un salon élitiste comme le croyait encore Mies van der Rohe, mais un grand espace populaire. Comme la bibliothèque est aujourd’hui un générateur de silence qui n’a plus besoin de livres, le musée est un lieu extraordinaire qui pourrait se passer des œuvres qui le légitiment… Ce que nous prouvent la piazza en pente et l’escalator du Centre Pompidou, la Canopée de verre de la Fondation Vuitton, la pyramide cristalline du Louvre de Paris ou la coupole plate du Louvre d’Abou Dabi, d’où la lumière parvient à tomber en pluie. Et l’on peut affirmer sans crainte de se tromper que ce grand atrium et ses différentes résilles de briques distillant lumières et transparences sauront créer un effet spectaculaire du même type.
BLOCKHAUS
Lundgaard & Tranberg Arkitekter, Copenhague
2e prix
Les architectes de Copenhague semblent avoir cherché à préserver systématiquement les arbres existants, à croiser les flux piétons générés par les institutions attenantes ainsi qu’à jouer librement avec la lumière naturelle. Un scénario assez mince, au vu des enjeux urbains et programmatiques. Surtout quand cette architecture de la fluidité s’apparente aux blockhaus de la Seconde Guerre mondiale et quand le traitement de lumière par de long puits renvoie à la clarté blafarde des espaces sépulcraux. Un projet d’une invraisemblable laideur, si un tel mot peut encore avoir un sens, au moins ici celui de désigner une contradiction flagrante entre l’idée et sa mise en forme. Comment ces laborieux Danois – auteurs de projets très éclectiques, dont on ne retiendra que la résidence étudiante circulaire d’Ørestad – ont-ils pu obtenir le second prix devant les projets d’OMA, de Sanaa et d’Aires Mateus ? Nous aurions préféré ne pas avoir à nous poser une telle question.
USINE
Bruno Fioretti Marquez, Berlin
Ces architectes berlinois enterrent eux aussi une grande partie des salles, mais pour proposer une construction neutre dont les dimensions restent très proches de celles de la Nouvelle Galerie nationale. L’écriture brutaliste utilisée – des murs en briques prisonniers de leur chaînage de béton – permet de remonter habilement le temps pour pouvoir dialoguer avec les architectures fonctionnaliste et organique des années 1960. Des sheds couronnent la partie émergente de l’édifice, ils entrent en résonance avec ceux de la bibliothèque de Scharoun et préservent le caractère périphérique d’un site dominé sans partage par l’icône de Mies van der Rohe.
À l’intérieur, un vaste escalier hélicoïdal dessert le sous-sol dont le plan très graphique mérite d’être remarqué. Des espaces d’exposition aveugles alternent en quinconce avec des salles de service qui trouvent leur éclairage naturel grâce à des puits de lumière monumentaux. Un projet élégant et très bien dessiné, mais sans relief : réponse sage d’élèves studieux qui ne possèdent pas la touche de délire magistral que réclame aujourd’hui un équipement de cette envergure.
MUR (le retour)
OMA, Rotterdam
Sans doute le projet qui pose le plus de questions. D’abord, ce n’est pas un objet, ni une construction, mais un dispositif qui renonce à la forme pour mieux répondre en miroir au contexte. Ainsi, soignant avec un certain sadisme le mal par le mal, Rem Koolhaas se refuse à toute tentative de réconciliation et renoue avec ses obsessions pour pousser à son paroxysme la rupture existant entre les différents espaces programmatiques actifs sur le site. Deux murs viennent se croiser sur l’espace en jachère de manière à esquisser quatre secteurs correspondant aux nouvelles forces d’occupation en présence. L’édifice prend ainsi la forme de quatre accumulations : des tas qui viennent occuper les angles créés par le croisement des deux murs, à la manière des bonbons de Felix Gonzales-Torres. Dans le premier angle, face à la Nouvelle Galerie nationale, se succéderont les terrasses en losanges recouvrant les salles d’exposition. Dans le second, l’empilement de blocs correspondant aux services annexes se creusera pour préserver le grand arbre existant et faciliter l’accès au bâtiment. Le troisième sera envahi de rampes et d’amphithéâtres extérieurs orientés vers la Philharmonie de Scharoun. La dernière, enfin, présentera un audacieux étage en porte-à -faux destiné à abriter des expositions extérieures. Une loge qui saura accueillir des événements commerciaux en phase avec l’univers périurbain et venturien de la Potsdamer Strasse.
Rien de spectaculaire à chercher à l’intérieur. Le plan orthonormé se déforme pour répondre aux exigences des différents contextes de cette organisation cardinale déterminant une partition spatiale très cynique entre collections permanentes, boutiques et restaurants, auditoriums et espace à louer pour des manifestations privées. Tout se passe à l’extérieur et sur les toitures accessibles : comme si le musée d’aujourd’hui était avant tout un gigantesque parvis et qu’il ne trouvait plus sa légitimation en lui-même mais hors de lui-même, dans des événements organisés ou spontanés.
PARADIS
SANAA, Tokyo
Le projet de Kazuyo Sejima et Ryue Nishizawa déconcerte. Les salles sont enterrées et n’apparaît en surface qu’un toit transparent et presque immatériel qui semble flotter à quelques mètres au-dessus du sol. Cette toiture esquisse une serre minimaliste qui protège un paysage paradisiaque, dans l’esprit du montage adamique d’Archizoom mêlant femmes nues et élans pour exprimer l’un des possibles de leur No-Stop City. Une utopie légère et décalée qui sait jeter un regard distancié et amusé sur les projets moralisateurs et héroïques des années 1960.
ACCUMULATION
Staab Architekten, Berlin
Volker Staab et ses associés sont partis de la notion de ville-paysage souvent utilisée par Hans Scharoun ainsi que de sa manière d’inséminer des blocs dans un espace pour créer des tensions. Ils ont appliqué au site et au programme une méthode réservée à la ville et au territoire. Ainsi, dès les sous-sols, les volumes des salles se constituent-ils comme des bâtiments autonomes jetés pêle-mêle les uns contre les autres en laissant souvent entre eux des espaces résiduels utilisés pour les rangements, les sanitaires, les circulations ou les arrivées de lumière. En surface, les blocs émergents esquissent une skyline compatible avec les silhouettes des édifices existants. Un projet qui n’est pas inintéressant, mais qui se réduit à un exercice de style un peu vain.
CLOÃŽTRE
Aires Mateus, Lisbonne
Un monolithe blanc est posé en porte-à -faux sur une éminence engazonnée. Ce bloc neutre en retrait ne vient pas perturber l’équilibre précaire établi entre les verticales de l’église néogothique Saint-Matthieu (1846) réalisée par Friedrich August Stüler – un élève de Schinkel –, les obliques de Scharoun et l’horizontale de Mies van der Rohe. Il s’ouvre à l’intérieur sur deux patios, dont l’un vient protéger le grand arbre existant. Ces espaces fermés créent un contexte pacifié et protégé sur lequel s’ouvrent les vastes baies vitrées de l’étage d’accueil. Un escalier trapézoïdal à deux volées permet de descendre vers les salles d’exposition qui occupent le premier sous-sol. Tandis qu’une rampe traverse de part en part les niveaux enterrés pour permettre aux camions de rejoindre directement les réserves.
Une proposition d’une grande maîtrise, qui se situe dans la lignée du projet du concours pour le pôle muséal de Lausanne que l’agence a gagné l’année dernière.
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N° 250 - Décembre 2016
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