Il y a des livres qui, avec les ans, deviennent des sortes d’incunables, dont on ne cesse de déplorer l’absence de réédition ou de traduction. Ce catalogue, qui accompagnait une mythique exposition présentée à la Triennale de Milan en 1936 par Giuseppe Pagano, en fait partie, on ne peut donc que se réjouir de son apparition sur les rayons des libraires et sur les tables des amoureux d’« architecture sans architecte » – avant que Bernard Rudofsky ne forge cette expression trente ans après. Pagano est une figure passionnante et complexe de l’architecture italienne : architecte, critique, théoricien, photographe, rédacteur en chef de la revue Casabella dès 1931, ardent patriote proche du fascisme puis engagé dans la résistance, ce qui lui valut la mort à Mauthausen en avril 1945, à moins de 50 ans. Cet intérêt n’est pas étrange dans la mesure où, quels que soient leurs pays d’origine, les « modernes » de l’entre-deux-guerres partageaient un même intérêt pour les architectures vernaculaires telles qu’elles semblent émaner naturellement des paysages naturels.
Le fac-similé Architecture rurale italienne qui vient de sortir comporte deux parties : d’une part, un propos général justifiant la pertinence du sujet, et illustré par la reproduction (trop souvent médiocre) des élégants panneaux photographiques à six cases qui constituaient le corps de l’exposition ; d’autre part, les magnifiques planches des constructions rigoureusement photographiées par Pagano. Le texte d’introduction, élégamment traduit, adopte une approche à la fois historique, géographique, esthétique, fonctionnelle et constructive. Il semble animé d’une forme d’aspiration au partage avec le paysage – une sobriété environnementale dont on sait désormais l’actualité. C’est que l’architecture italienne que célèbre Pagano défie toutes les modes et a pour seules lois son environnement et son utilité : « Pleine d’une beauté modeste et anonyme, elle enseigne à triompher du temps et à dépasser la caducité des variations décoratives et stylistiques, en renonçant à tout ce qui est inutile et pléonastique » (p. 76).
Le volume est complété de plusieurs annexes précieuses mais très difficiles à repérer et à utiliser, puisqu’elles sont graphiquement traitées comme la partie en fac-similé. Se suivent ainsi : une ambitieuse note du traducteur, des lignes de Pagano sur son rapport à la photographie (1938), des biographies de ce dernier par Gabriella Musto et par Alessandro Mauro, un texte d’Antonino Saggio sur l’engagement politique de Pagano, une lettre de Giulio Carlo Argan et, enfin, des indications bibliographiques. La présence de ces documents rend encore plus étonnant le fait que l’éditeur publie, au même moment, un volume plus modeste et surtout plus confus : la biographie controversée, rédigée en 1975 par Riccardo Mariani, Giuseppe Pagano, architecte fasciste, antifasciste, martyr (256 p., 21 euros), elle-même complétée de propos de personnes proches, dont Ernesto Nathan Rogers. Le catalogue de la Triennale de 1936 suffit bien amplement à la leçon toute moderne de l’architecture rurale.