Bassin culturel, artefacts et aventures constructives
Les monographies de l’agence BAST, d’Armando Ruinelli, ou encore de Peter Märkli ont ponctué agréablement cette année comme un joyeux puzzle ou une étonnante énigme. Ces architectes se donnent tous par leurs plans, coupes et relevés comme autant d’indices… À nous de déterminer ce qui fait socle dans ces pratiques. Peter Märkli se présente délicatement à nous par des pleins et déliés en mettant à distance sa production construite au regard de nombreux dessins préparatoires : une étude approfondie à travers un vaste corpus de 700 dessins de l’architecte suisse, agrémenté de huit essais, pour une approche herméneutique du dessin. BAST, agence toulousaine fondée en 2013, utilise l’assemblage, le montage, la superposition, un vaste collage entre éléments de façades, de structures ou d’usages… La logique générale découle des proximités, des différences, ambitionne une esthétique de la relation et casse la grammaire habituellement clinique du projet.
Le temps long, facteur invisible, effet sensible
Rarement un architecte n’a été aussi étroitement lié à son lieu de travail : Armando Ruinelli travaille dans le village où il est né en 1954, Soglio, dans le val Bregaglia, en Suisse. Sa posture et son travail se sont développés de manière quasi organique à partir des solides habitations en pierre du village d’à peine cent âmes. Ancrée, son architecture n’est pas pour autant limitée. Au contraire, la méthode de l’architecte consiste à prévoir les effets du temps. Considérer l’aspect d’un matériau, c’est prendre en compte son évolution, sa patine. En maître de la rénovation et de la réhabilitation, il prolonge en l’anticipant l’histoire du bâtiment. Mention donc spéciale pour cette publication particulièrement complète : des projets, conçus sur près de quatre décennies, qui témoignent à leur façon d’une attention au tissu existant et aux traditions constructives locales, tout en répondant aux exigences de l’habitat aujourd’hui, entre technicité et habitabilité.
Dernière valse, élégance et relève de la critique
Monographies qui abondent et fourmillent, et toujours la question des socles, des communs et des limites que nous empruntons à d’illustres aîné.e.s. C’est une aventure intellectuelle qui nous est donnée à lire de Anne-Marie Châtelet, Jacques Lucan à Cyrille Simonnet, déterminant chacune, chacun, les modes d’existence des architectures. Des Précisions de Jacques Lucan aux Fictions constructives de Cyrille Simonnet, tous interrogent la permanence ou la pertinence d’une délimitation fuyante de l’architecture – locale ? nationale ? autre ? – dans un contexte politique et économique qui oscille aujourd’hui entre mondialisation, ancrage local et déterritorialisation. Pour une histoire culturelle de l’architecture, textes offerts à Anne-Marie Châtelet se présente comme la relève, héritage toujours déconstruit et reconstruit. Surtout, bien plus qu’ils ne décrivent, ces auteurs et conteurs ne façonnent-ils pas en retour l’architecture ? Dans leur prescription. Par les idées, écoles, courants qu’ils portent.
Leggere il tempo, Armando Ruinelli Architetti Progetti Bauten 1984-2022, de Axel Simon (dir.), éditions Park Books, 21 x 28 cm, 248 p., 58 euros.
BAST, 2G, n° 89, texte d’André Tavares, Koenig Books, 160 p., 39,95 euros.
Peter Märkli. Dessins, coord. Fabio Don et Claudia Mion, Éditions Caryatide, 768 p., 700 illus., 48 euros.
Pour une histoire culturelle de l’architecture, de Shahram Abadie, Gauthier Bolle, Amandine Diener (dir.), MétisPresses, 17 x 22 cm, 317 p., 32 euros.
La fiction constructive, de Cyrille Simonnet, Éditions Parenthèses, 15 x 23 cm, 256 p., 18 euros.
Précisions sur un état présent de l’architecture, Jacques Lucan, éd. PPUR, 2015, 17 x 24 cm, 259 p., 39,50 euros.
L’architecture au futur depuis 1889 ; une histoire mondiale, Jean-Louis Cohen, Phaidon, mai 2012, 21 x 27 cm, 527 p., 59,95 euros.