Antipolis

Rédigé par Guillemette MOREL-JOURNEL
Publié le 02/12/2022

Antipolis

Article paru dans d'A n°303

Antipolis, Nina Léger, Gallimard, 14 x 20 cm, 176 p., 17 euros.

Dans une langue magnifique, à la fois classique, retenue et riche, ce roman est aussi un récit très informé de la création d’une nouvelle ville dédiée à la sagesse, au savoir et au progrès dans le sud de la France, Sophia-Antipolis. Il tresse habilement divers personnages et époques : on voit ainsi se déployer successivement la rencontre amoureuse du héros de cette épopée, Pierre Laffitte (1925-2021), tout jeune polytechnicien inspiré, avec la femme qui le poussera à conjuguer son utopie urbaine du mode conditionnel au futur de l’indicatif ; la découverte en hélicoptère d’un site de milliers d’hectares parfaitement sauvages face à la mer grâce à un préfet enthousiaste ; le chantier et ses atermoiements politiques, financiers et constructifs dans les années 1970 ; des années plus tard, alors que la ville est devenue une technopole internationale, les récits de vies plus mineures : celles de deux jeunes diplômées d’une prestigieuse école du campus, et surtout celles d’une jeune femme promoteur immobilier ambitieuse, confrontée à la présidente de l’association locale des harkis, qui vient rappeler que sur ce site où « il n’y avait rien et il y aurait tout Â», il y avait un camp de harkis qu’on dut chasser pour faire place aux promesses de la modernité.

Le livre, qui se lit bien comme un roman, est aussi un véritable travail de recherche – archives, entretiens, qui nourrissent la narration sans jamais l’alourdir. Par-delà la mise en scène parfois dramatique d’une pièce de théâtre paysagère, urbanistique et immobilière, c’est aussi le portrait d’une époque où la foi dans un progrès universaliste commence à vaciller sous les coups de mai 68, de la décolonisation en général et de la guerre d’Algérie en particulier. Par-delà le plaisir de lecture littéraire que cette fiction documentaire, ou ce récit romancé, apporte, c’est aussi une ode aux ambitions constructrices de l’homme pour lui offrir une vie meilleure, fût-elle au prix d’une autre colonisation, celle de la nature – préoccupation écologique qui eût alors relevé de l’anachronisme. Curieusement, la précision des descriptions de l’aventure aménageuse ne laisse presque aucune place à l’architecture. Le seul nom d’architecte cité est celui de Pierre Fauroux, et il ne l’est que pour signaler que l’édifice (au programme il est vrai paradoxal de mairie-église) qu’il a réalisé à Mouans-Sartoux fonctionne mal, que son escalier serait un repère de délinquants et qu’il est surnommé par les habitants « la lessiveuse Â». Ailleurs, nous lisons qu’à l’origine de l’opération, les constructions étaient « rectilignes Â», « mathématiques, donc universelles, donc éternelles Â» ; et que trente ans après elles « refusent les orthogonales, prennent modèle sur des plantes tropicales Â», mais la chose importante c’est que « des bâtiments naissent et la forêt recule Â» (p. 78-79). Nina Léger, normalienne, auteure d’une thèse de doctorat sur le retour à la perspective dans l’art contemporain, signe ici son troisième roman. GMJ

Les articles récents dans Livres

Pierre Chareau, enfin Publié le 07/07/2023

Sous l’apparence trompeuse de ces deux coffee table books se cache une savante et inédite somme s… [...]

« C’était la première fois que je lisais un écrivain qui parlait aussi bien d’architecture » Publié le 06/02/2023

Entretien avec Louis PaillardLe 2 novembre 2022, l’architecte Louis Paillard publiait son adaptati… [...]

Anna Heringer: Essential Beauty Publié le 02/12/2022

[...]

Le choix de la librairie Mollat Publié le 02/12/2022

Implantée sur 2 700 m2 au cÅ“ur de Bordeaux, la librairie Mollat consacre depuis de nombreuses annÃ… [...]

.

Réagissez à l’article en remplissant le champ ci-dessous :

Vous n'êtes pas identifié.
SE CONNECTER S'INSCRIRE
.

> L'Agenda

Décembre 2023
 LunMarMerJeuVenSamDim
48    01 02 03
4904 05 06 07 08 09 10
5011 12 13 14 15 16 17
5118 19 20 21 22 23 24
5225 26 27 28 29 30 31

> Questions pro

Quelle importance accorder au programme ? [suite]

C’est avec deux architectes aux pratiques forts différentes, Laurent Beaudouin et Marie-José Barthélémy, que nous poursuivons notre enquête sur…

Quelle importance accorder au programme ?

Avant tout projet, la programmation architecturale décrit son contenu afin que maître d’ouvrage et maître d’œuvre en cernent le sens et les en…

L’architecture au prisme des contraintes environnementales : le regard singulier de Gilles Perraud…

Si les questions environnementales sont de plus en plus prégnantes, les labels et les normes propres à l’univers de la construction garantissent…